Le réseau français de l'urgence médico-psychologique a trois ans et dispose, malgré son jeune âge, d'une solide expérience de terrain. En 2000, il a effectué 700 missions, dont 46 catastrophes traitées par plans rouges, 159 accidents catastrophiques à effets limités, 412 événements à fort retentissement psychologique, une cinquantaine d'autres événements, selon un bilan d'activité transmis par le Comité national de l'urgence médico-psychologique en cas de catastrophe (CNUMP), placé auprès du ministre chargé de la Santé. Plus parlant encore est le nombre de personnes prises en charge par le réseau au cours de l'année 2000 : 5 071 personnes prises en charge pour des soins immédiats, 4 100 autres traitées en « post-immédiat » et 1 040 adressées en consultation de psychotraumatisme.
Des résultats que le Dr Philippe Hrouda, haut fonctionnaire de la Défense et président du CNUMP, commente avec satisfaction : « Le réseau a plutôt bien fonctionné. Nous constatons une forte demande institutionnelle. » Beau bilan donc pour une action menée dans la plus grande discrétion. Qui, en France, tire les ficelles de l'aide médico-psychologique d'urgence ? Qui trouve-t-on derrière ce terme générique de « réseau » ?
Corvéables à merci
Psychiatres, psychologues, infirmiers psychiatriques, ils sont de toutes les tragédies, corvéables sur simple appel du préfet, pour venir en aide à toutes les victimes apparemment indemnes d'événements traumatisants. Crash du Concorde, incendie du tunnel du Mont-Blanc, inondations, explosion de l'usine AZF à Toulouse : ils sont là. Accidents d'autocar, explosion de gaz dans un immeuble, attentats : ils sont là. Décès brutal au sein d'une école, prise d'otages, tentative de suicide : ils sont toujours là. Pour aider tous ceux qui ont vécu une situation difficile à surmonter l'épreuve et à reprendre le cours d'une vie normale, sans séquelles psychologiques. Ils pratiquent les soins de psychiatrie d'urgence, effectuent le tri et l'orientation des victimes et des personnes impliquées, informent et conseillent sur les aides (médico-psychologiques, médico-judiciaires, associations de victimes) auxquelles les victimes pourront recourir si besoin.
Les soins post-immédiats s'effectuent dans les premières 48 à 72 heures par petits groupes de 10 à 15 personnes. Même les personnels des différents services de secours ont accès à une assistance psychologique, après leur retour de mission. Auprès d'eux comme des victimes, il s'agit de prévenir les troubles post-traumatiques.
« A partir des années quatre-vingt, la France a acquis une expérience de terrain forte en intervenant lors de catastrophes d'ampleur internationale, comme les tremblements de terre. Elle est rapidement devenue un pôle d'excellence. Pendant les dix années qui ont suivi, les professionnels se sont interrogés sur les conséquences psychotraumatiques d'un événement sur les victimes et sur les personnels des services de secours. Les attentats de Paris ont été l'élément déclenchant d'une prise de position politique en faveur d'un réseau national d'urgence », explique le Dr Hrouda.
1995 : premier attentat dans le RER à la station Saint-Michel. 1996 : c'est à Port-Royal que les terroristes frappent cette fois, faisant leur lot de victimes. Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire, crée une cellule de soutien médico-psychologique des victimes. L'initiative suscite des vocations en province. En 1997, un arrêté et une circulaire ministérielle tentent de mettre de l'ordre dans une construction anarchique, en créant un réseau national de l'urgence médico-psychologique en cas de catastrophe, chapeauté par un comité national.
Si la composition du comité national a été révisée (arrêté du 16 janvier 2001), la structure du réseau de l'urgence médico-psychologique en France reste peu ou prou identique à ses origines. Elle est faite de trois étages. Au niveau national, le CNUMP, placé auprès du ministre chargé de la Santé, a pour principale mission de veiller au bon fonctionnement du réseau. A l'échelon interrégional, le réseau repose sur sept cellules permanentes, chacune étant située dans une des sept zones de défense civile du territoire. Un découpage territorial que les Français connaissent mal.
« Pourtant, il existe bel et bien des préfets de zone de défense civile, chargés au nom de l'Etat des affaires de sécurité et de défense civile dans une zone déterminée », confirme le président du CNUMP. C'est aux zones de défense que l'on a confié, en 1998, la couverture sanitaire de la Coupe du monde de football, puis, en 2000, le soin de gérer le passage en 2001. « Nous avions prévu que le 31 décembre 1999 serait particulièrement festif, avec la série de problèmes que cela sous-entend, raconte - pour le plaisir de l'anecdote - le Dr Hrouda. Or rien ne s'est passé à cause de la tempête, mais la couverture sanitaire prévue s'est reportée sur cet événement climatique. Les dégâts ont été bien pires. » Les cellules permanentes de l'urgence médico-psychologique sont donc installées dans les chefs-lieux des zones de défense, c'est-à-dire dans les grandes métropoles qui sont aussi, selon le Dr Hrouda, les « bassins de risques ». Elles sont rattachées aux SAMU de Lille, Paris, Nancy, Lyon, Toulouse, Nantes, Marseille et comprennent chacune un psychiatre, un psychologue, une secrétaire. Elles ont pour rôle de mettre en place, à la demande de l'Etat - donc du préfet de zone -, un dispositif d'intervention opérationnel au niveau départemental et interrégional. A l'échelon départemental, un psychiatre praticien hospitalier, faisant office de médecin référent, constitue une liste de professionnels dont il organise les formations. Il définit un schéma type d'intervention.
Des propositions à Kouchner
Sur le papier, tout est clair. Sur le terrain, le réseau accuse quelques dysfonctionnements, plus ou moins sensibles d'une région à l'autre : astreintes non rémunérées, manque de matériel, beaucoup de petites choses qui, ajoutées les unes aux autres, font que l'enthousiasme des volontaires s'émousse. « J'ai été horrifié d'apprendre qu'il arrive qu'une infirmière et un psychologue partent en mission dans leur véhicule personnel », lance le président du CNUMP. « Je considère, dit-il , que ces trois dernières années ont été expérimentales. Si nous voulons assurer une réponse optimale du service hospitalier et public en cas de circonstances exceptionnelles et ce de manière pérenne, il y a un effort à consentir. »
Le CNUMP vient de faire une série de propositions au ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, pour que le réseau de l'urgence médico-psychologique fonctionne au mieux. Il demande notamment que la régulation et le déclenchement de la cellule médico-psychologique départementale soient faits systématiquement par le SAMU et que l'équipe parte dans un véhicule du SAMU-SMUR, conduit par un conducteur professionnel. C'est le cas dans un certain nombre de métropoles, mais la circulaire actuellement en vigueur prévoit un déclenchement par le préfet. « Il faut faire entrer l'intervention de ces cellules dans le champ de l'aide médicale urgente. Cela suppose un effort financier, mais il n'est pas exorbitant », insiste le Dr Hrouda. Le ministère de la Santé chiffre à 25 millions de francs environ le surcoût qu'entraînerait une restructuration du réseau. « Même s'il faut les trouver, l'objectif peut être atteint », estime-t-on chez Bernard Kouchner, où l'on approuve une pérennisation du dispositif. En revanche, les directions du ministère peinent à chiffrer en détail d'autres aspects « impalpables », notamment la rémunération de bénévoles figurant sur des listes d'astreinte.
Autres priorités, selon le Dr Hrouda : le renforcement des zones les plus exposées et l'assurance de disposer, dans chaque département, d'une équipe mobilisable à tout moment. « Devront intervenir les grandes directions de ce ministère pour que les conditions d'emploi du personnel des cellules soit pris en compte dans le cadre plus général de la réforme de la santé mentale mis en uvre cette année, souligne le président du CNUMP . L'idée serait - et elle me va bien - d'utiliser, pour constituer les équipes mobilisables dans les départements, la ressource de spécialistes, employés au niveau des SAU (services accueil d'urgence des hôpitaux). »
La catastrophe, « je suis tombé dedans pendant mes études de médecine et je n'en suis toujours pas sorti », s'amuse le Dr Hrouda. Aux côtés des grandes catastrophes naturelles, il constate aujourd'hui le développement « d'immenses catastrophes sociales » face auxquelles l'aide médico-psychologique devient indispensable. Il ne nie pas pour autant « la tendance actuelle à tout psychiatriser ». C'est pourquoi il défend une régulation médicale de l'urgence médico-psychologique, « pour qu'elle reste limitée aux situations exceptionnelles ». « Je vous donne un exemple. A Paris, il y a trois braquages de banques par jour. L'habitude a été prise de prendre en charge les personnels des agences de banque au plan psychologique pour les aider à absorber ce psychotraumatisme. Les cellules ont-elles cependant vocation à intervenir ? La réponse des professionnels est "non" . Il faut trouver d'autres solutions, au niveau hospitalier, pour prendre en compte ce genre de situation. »
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