Le Dr Thomas Borghol, 57 ans, est gynécologue obstétricien au centre hospitalier de Saint-Amand Montrond. Cela fait 22 ans qu’il est praticien hospitalier. Une longue carrière qui lui a permis d’observer le poids que représente un syndicat au sein de l’hôpital public. Membre du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof), il n’appartient à aucune autre organisation : « On ne peut pas s'affilier à tous les syndicats, cela coûte cher ! »
Le Syngof lui offre surtout des éclairages sur certaines spécificités liées à la pratique de sa spécialité, comme la cotation d’un acte médical par exemple. « Il s'intéresse et s'implique dans la défense administrative et éventuellement judiciaire de nos dossiers. Par contre, il se préoccupe moins de la progression de nos carrières de PH, ce qui est le rôle des syndicats PH et qui le font bien », explique-t-il aussi.
Pour Thomas Borghol, l’intérêt principal de ces syndicats plus généralement liés au statut de praticien hospitalier repose sur un point essentiel : « Un médecin seul peut souvent passer pour quantité négligeable ». À l’hôpital, à moins d’être un professeur renommé, les médecins ont donc besoin de se regrouper pour être entendus. Et d’après lui, les syndicats demeurent indispensables dans la mesure où ils offrent ce moyen de pression. Leur poids ne réside pas dans une forme de syndicalisme aveugle, uniquement contestataire, mais dans la défense de revendications bien précises. Il a ainsi pu observer leur intérêt à deux grands moments : Dans les années 2000, lorsqu’à l’issue de plusieurs mois de contestation, le gouvernement répond aux revendications des quatre grandes organisations syndicales (INPH, CHG, CMH, SNAM) de médecins hospitaliers. Grilles des salaires, durée de carrière, gardes et astreintes, la plupart de ces points sont alors mis sur la table. Et pour certains ce fut une véritable victoire. Il estime également qu’ils ont joué un rôle plus récemment. Lorsqu’il a fallu défendre, au moment des discussions liées à la loi HPST, la place et le poids des médecins dans la gestion hospitalière.
Le Dr Xavier Courtois est plus nuancé. À 49 ans, ce praticien hospitalier, chargé du pôle Santé publique et Santé communautaire de l’hôpital d’Annecy, est plus réservé sur le rôle que les syndicats ont réussi à tenir au moment de ces négociations. En particulier sur la position que les présidents de CME pourront désormais tenir au sein des comités exécutifs. Même s’il reconnaît l’intérêt de leur rôle, il avoue ne pas être très militant d’un point de vue syndical : « Je suis déjà très investi dans mon établissement. Je représente les médecins au conseil d’administration, je suis responsable de pôle et membre de la CME ». Participer, en plus de son rôle médical, à la vie et à la gestion de son établissement représente déjà un engagement de taille à assumer.
De plus, en tant que médecin de santé publique, il se sent à part de la majorité des syndicats généralement spécialisés : « La plupart sont des syndicats de cliniciens ». Il regrette ainsi que cela ne contribue pas à créer une véritable unité entre les médecins et empêche une mobilisation plus générale.
Ce sentiment de marginalité, le Dr Marc Rey le partage avec lui et a du mal à se reconnaître au sein des syndicats de praticiens hospitaliers. Neurologue au centre du sommeil de la Timone à Marseille, 55 ans, maître de conférence à la faculté de médecine, son statut ne correspond pas vraiment aux syndicats existants. En tant qu’hospitalo-universitaire, il peine à trouver des accointances idéologiques dans le discours syndicaliste, et également en matière de disponibilité professionnelle « Regardez le CNRS ou l’Inserm, c’est difficile de les mobiliser. Quand on a un poste d’intérêt aussi intense et difficile, on est très individualiste », explique-t-il. Pour lui, le rôle d’un syndicat est le même à l’hôpital que dans n’importe quelle entreprise. « Jusque très récemment, les médecins étaient considérés comme des cadres qui figuraient dans les organes de décision. Désormais, le médecin est un employé de l’hôpital et c’est contre les conditions de travail qu’on leur impose que les mouvements se créent ». En d’autres termes, puisque le médecin ne peut plus prendre de décision au sein de l’hôpital, il doit désormais se défendre. Et de l’avis de tous, il s’agit là d’une grande nouveauté. Cette culture syndicale n’était pas évidente chez les médecins. Mais les situations changent avec les réformes : « Nous allons devenir des ouvriers de l’hôpital », conclut-il.
Et le pouvoir des médecins ?
C’est précisément contre cela que s’insurge le Dr Perrin. Chef du service de pneumologie de l’hôpital de Cannes, il n’est pas non plus syndiqué. Quand on lui demande ce qu’il pense de la perte de pouvoir des médecins, il embraye directement sur le contexte lié à la loi HPST. En particulier sur le point visant « à donner plus de pouvoirs aux directeurs ». S’il comprend que l’on demande aux médecins de mutualiser leurs moyens et de réguler les dépenses, il pense que les réformes contenues dans la loi vont encore plus loin. Elles enlèvent du pouvoir au chef de service et n’en donnent pas plus au chef de pôle qui, devant la surcharge de travail, déléguera sans doute la gestion administrative des équipes au directeur. Il s’inquiète donc que « l’on dilue ou pire que l’on retire du pouvoir aux médecins, alors que ce sont encore eux qui sont au plus près des équipes médicales ».
Dans un contexte où ses équipes travaillent à flux tendu et dans des conditions de plus en plus précaires, le Dr Perrin n’est pas syndiqué. Mais il se décrit comme une « grande gueule » qui doit batailler au quotidien pour défendre les besoins de son service : « Je ne les lâche pas, mais je parviens à mes fins parce que mon service pèse lourd ». Et il se désole de devoir « parler argent avec la direction ».
L’hôpital de Cannes est l’un des rares à ne pas être en déficit. Malgré tout, s’emporte-t-il, « nous avons un service d’urgence et de réanimation clairement en sous-effectif médical ! »
Ce service qui comporte 14 lits nécessiterait six médecins réanimateurs, alors qu’ils ne sont que deux. Et si les conditions de travail se dégradent, il faut malgré tout préserver la qualité et la sécurité des soins.
« Heureusement, l’hôpital fonctionne à la bonne volonté, mais le travail des équipes médicales et paramédicales n’est pas reconnu à sa juste valeur », s’exclame-t-il.
Le Dr Perrin fait partie de la dernière génération éduquée par des mandarins dépourvue de cette culture syndicale : « Nous étions corvéables à merci, nous ne comptions pas nos heures ».
Il regrette aujourd’hui de ne pas être syndiqué : « On a réellement besoin des syndicats, on ne peut plus se contenter d’actions individuelles. Il y a très peu d’unité entre les médecins et le gouvernement. J’ai 49 ans et progressivement je vais y venir, au syndicalisme ».
Le Dr André Nazac est bien plus pessimiste quant à la mobilisation des médecins. 41 ans, gynéco obstétricien, PH à temps plein à l’hôpital du Kremlin Bicêtre, il a été chef de clinique à la Salpêtrière puis chef de service à Montreuil. S’il a été le président du Syndicat des internes, désormais il est sans étiquette. « C’est inhérent à notre situation. Au début de notre parcours, on est un peu utopiste », déclare-t-il pour expliquer son engagement des débuts. Il regrette également l’isolement des médecins déjà très occupés par leur activité médicale : « Je ne vois pas de mobilisation. Comment peut-on prendre le temps de s’informer et de s’investir ? » Selon lui, ce rassemblement devrait passer par une prise de conscience que les réformes actuelles ne provoquent pas encore complètement : « Soit je suis chef de service, soit je suis simple PH dans mon service lambda. 90 % des médecins ne se sentent pas concernés pas la loi HPST. Or, c’est le rôle des syndicats de montrer que tout le monde est concerné ».
Il pointe lui aussi un manque d’unité et de parole commune : « Nous sommes tous coincés dans nos individualismes, et presque concurrents, ce qui fait le jeu du gouvernement. L’avenir de l’hôpital ne repose plus tellement dans les mains des médecins mais sur la qualité des soins, qui va malheureusement se dégrader. Cela aura sûrement un écho politique. » Et c’est pour préserver cette qualité que le Dr Nazac a décidé de rester au plus près de ses patients et de ne pas briguer la direction d’un service.
Les syndicats de praticiens hospitaliers se disputent sur la question de leur majorité parmi les médecins. Mais le Dr Aubart, président de la CMH, reconnaît que le pourcentage de médecins hospitaliers cotisants reste faible : « Actuellement, toutes organisations confondues, ces derniers ne représentent que 10 à 15 % », estime-t-il environ.
« Le pouvoir médical plutôt que le syndicalisme »
Le diabétologue André Grimaldi, 65 ans, n’est pas syndiqué et n’appartient à aucun parti politique. Mais il est membre du Mouvement de défense de l’hôpital public. À la Salpêtrière, il a connu ces grands mandarins qui ont formé toute une génération et a fait partie de ces jeunes internes en 1968 qui ont contesté leur pouvoir. Et c’est encore en travaillant à la construction de ce service de diabétologie qu’il a forgé son opinion sur les réformes liées à l’avenir de l’hôpital public : « J’ai développé une réflexion liée à ma connaissance de la maladie chronique. Or, toutes les réformes engagées par les politiques pour l’hôpital n’envisagent qu’une conception, celle de la maladie aiguë et des gestes techniques : c'est une forme de pensée unique. L’hôpital doit trouver son équilibre dans la pratique de la dualité. » Il regrette que les réformes liées à la loi HPST conduisent l’hôpital vers un système de régulation marchande qui ne peut inclure d’après lui des soins du type de la psychiatrie, des soins palliatifs, de la grande réanimation, de l’éducation thérapeutique ou encore des maladies chroniques.
Pour André Grimaldi, des changements sont nécessaires. Un organe de régulation publique doit être trouvé, et cela doit passer par le biais d’une véritable contractualisation entre les gestionnaires et la communauté médicale organisée : « Au contraire, avec la fin des mandarins, le pouvoir médical a été complètement éclaté entre les présidents de CME, les syndicats, les doyens, les chefs de services puis de pôles… Aujourd’hui, il est très affaibli et aux ordres du pouvoir de gestion. » « Nous sommes passés des mandarins aux PDG ! » lance-t-il. S’il se réclame de la procédure de Robert Debré lancée en 1958, c’est surtout par la logique qu’elle avait de regrouper les domaines de recherches, de soins, d’enseignement et les modalités de financement. « Ce fut une erreur historique de dissocier les statuts en créant des PH non U. Cela a favorisé les logiques corporatistes au détriment des cohérences d'équipe », déplore-t-il. Même s’il reconnaît l’intérêt de leur engagement et la nécessité de nuances et de variations, il reproche aux syndicats leur division. « Il faut renouer l'alliance entre les gestionnaires, les médecins et les patients attachés à la défense du service public », postule-t-il. Un postulat qu’il tente de défendre au sein du Mouvement pour la défense de l’hôpital public.
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