LE TEMPS DE LA MEDECINE
Des avatars de l'antipsychiatrie : les premiers appartements thérapeutiques sont apparus en France au début des années 1970, dans la montée au créneau des antipsychiatres contre le tout-asilaire. Aujourd'hui, ils semblent connaître un regain d'intérêt, portés cette fois sur la vague des économies hospitalières et de la limitation du nombre et de la durée des séjours en institution. Les expériences se multiplient, avec autant d'unités que de manières d'y travailler, rattachés ou non à un secteur de psychiatrie, intégrés ou non à un projet de service.
Entre l'enfermement et la ville, place est donc faite à des structures de sortie d'asile qui se construisent toutes sur un paradoxe : avec, d'un côté, l'appartement, qui établit les relations et les comportements de ceux qui l'habitent du côté du privé et, de l'autre, la qualification thérapeutique qui, quant à elle, introduit une dimension publique.
Foyer thérapeutique
Exemple récent de ce paradoxe, la Métairie. Dans ce vaste immeuble de cinq étages situé à Paris dans le XXe arrondissement, le centre hospitalier de Maison-Blanche (situé à Neuilly-sur-Marne, dans le 93, mais avec compétence territoriale pour le nord et l'est de la capitale) a installé en février 2001 une structure de 32 lits. Les résidants sortent tous de l'hôpital, où ils ont en général effectué des séjours de plusieurs années (jusqu'à dix ou quinze ans) ; chacun d'eux dispose de sa chambre, avec douche et WC indépendants. Huit sont logés en chambre double. La durée moyenne de séjour est comprise entre un an et dix-huit mois.
Les pensionnaires, âgés de 18 à 65 ans, prennent en général leur déjeuner à l'extérieur, mais le petit déjeuner et le dîner sont servis à la Métairie, avec un partage des tâches dites de restauration, en fait pour dresser le couvert, desservir et remplir les chariots des lave-vaisselle. Avec quatre salles de télévision équipées de magnétoscopes, une médiathèque, les résidants peuvent partager quelques loisirs.
« Nous nous définissons d'abord comme un foyer thérapeutique, insiste le Dr Florin Popescu, psychiatre qui travaille ici à temps plein, avec une équipe d'infirmiers spécialisés. Tous les résidants sont suivis par un centre médico-psychiatrique et je les rencontre moi-même en général deux fois par mois, plus s'ils le souhaitent. Pour la gestion de notre projet de réhabilitation psychosociale, nous collaborons avec un club thérapeutique et des ateliers de CAT (centre d'aide par le travail). L'objectif est de stabiliser les gens en milieu ouvert pour qu'ils trouvent ensuite un logement, un stage, un emploi. »
Ce nouveau départ ne va pas de soi. D'autant plus que l'équipe ne recule pas devant les cas dits lourds. Toutes sortes de difficultés surviennent. Par exemple, ce pensionnaire, qui n'arrive pas à gérer son argent, dépense les quelques liquidités remises tous les jours par la tutelle en quelques minutes avant d'être pris de crise d'angoisse. Ou ces patients, heureusement peu nombreux, dont les familles demandent la réhospitalisation, habitués qu'elles sont à la tenue à distance de leur proche entre Paris et Maison-Blanche.
Quelques allers-retours entre la Métairie et l'hôpital sont parfois nécessaires. Malgré tout, les situations d'échec se font rares.
Contrats de soins et d'hébergement
En banlieue parisienne, secteur psychiatrique de Suresnes-Puteaux, une structure plus légère accueille depuis 1981 des résidents dans six appartements collectifs dits de suite, de quatre pièces chacun, à raison de trois personnes par appartement. La durée de « bail » est de six mois, renouvelable jusqu'à dix fois (cinq ans au maximum, moyenne de séjour comprise entre 18 et 24 mois). Chacun acquitte un loyer, payable tous les mois, avec le bénéfice éventuel d'une allocation logement.
A l'entrée dans les murs, un contrat dit de soins et d'hébergement est conclu, qui détaille le suivi médical (rencontres régulières avec l'équipe, au moins une fois par semaine) et la nature des activités socialisantes (atelier CAT, stages en associations, aide à l'apprentissage...). Sont également définies les modalités pratiques de cohabitation, avec des réunions dites de régulation. « Nos pensionnaires ont des niveaux de pathologie et de sociabilité très variables, précise Patrick Halmos, le psychologue clinicien attaché à la structure. Mais comme ils ont tous un vécu en HP (hôpital psychiatrique), ils présentent généralement une grande tolérance sociale. L'accompagnement qui leur est proposé est très particulier, à la fois éducatif et médical, il ne doit pas être trop intrusif. »
Ces appartements de suite permettent aux deux tiers des pensionnaires d'accéder à la sortie à un logement indépendant. Le taux d'échec atteint donc la proportion du tiers, pour lequel un retour au milieu hospitalier sera nécessaire.
La solution ambulatoire n'est d'ailleurs pas toujours praticable. A telle enseigne que l'hôpital de Maison-Blanche vient de décider la création d'un pavillon destiné à accueillir dans la durée les patients pour lesquels le retour à la ville n'est pas possible. Mais les indications de cette orientation restent complexes à poser. L'autonomie psychique et l'autonomie dans la vie quotidienne ne vont pas forcément de pair. Un malade délirant peut manifester une autonomie parfaite dans la vie quotidienne, tandis que des patients stabilisés se révèlent incapables de faire face aux nécessités les plus élémentaires de la vie en ville. C'est toute la problématique des psychoses dont l'un des symptômes majeurs est la dissociation.
L'éclatement des expériences en matière d'hébergement thérapeutique ne permet pas de dresser une perspective d'ensemble pour leur fréquentation. Quelques études permettent toutefois de fournir des ordres de grandeur. Publiée par le GERART (Groupe d'études et de recherches sur les appartements de recherche et de thérapeutique), celle du Dr Zerbib, réalisée à l'hôpital de jour de la MGEN (une structure mutualiste qui accueille des patients de tous horizons dans le 16e arrondissement de Paris), montre que sur 28 patients psychotiques venus consulter au cours des deux dernières années, 3 vivent en appartement associatif, un en foyer, les 24 autres résidant dans un logement privé. Parmi ces derniers, 17 vivent seuls. Les sept autres vivent chez leur parents.
Restent bien sûr les exclus d'entre les exclus : les handicapés psychiques sans domicile fixe, qui ne bénéficient ni d'hébergement ni de thérapeutique.
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