LE TEMPS DE LA MEDECINE
De vivi (vivant) et section, d'après dissection : l'étymologie de vivisection rappelle qu'on a affaire à l'origine à une dissection pratiquée chez le vivant. Et le dictionnaire « Le Robert » de citer en exemple Henri Mondor : « Pasteur éprouvait une véritable répugnance pour la vivisection. »
Sémantiquement présentée, la cause semble entendue. Pourtant, l'opinion publique européenne est très divisée. A la question « Les scientifiques devraient-ils être autorisés à faire des expériences sur des animaux tels que les chiens et les singes si cela peut aider à résoudre les problèmes de santé humaine ? », 45,4 % des 16 029 personnes interrogées répondent plutôt oui, 41,3 % plutôt non et 13,3 % disent ne pas savoir (Eurobaromètre publié en décembre 2001 par l'Union européenne).
Plus précise, une enquête britannique* indique que 77 % des personnes interrogées jugent l'expérimentation animale justifiée quand elle concourt au traitement des cancers et 71 % pour la recherche sur le sida. Mais ils ne sont plus que 13 % à l'accepter pour les travaux sur le fonctionnement cellulaire et 4 % lorsqu'il s'agit de cosmétique.
La torture hors la loi
A la Ligue française contre la vivisection (LFCV), on ne fait pas de partage. Son président, Jacques Desmeules, qui se présente comme biologiste et agronome, en appelle à la « mise hors la loi de la torture sur tous les êtres vivants ». Ce qui a pu le conduire lui-même à défier les lois, comme en 1986, quand il a été placé en garde à vue après une « opération de libération » dans un laboratoire biterrois. Désormais, précise Jacques Desmeules, « nous avons renoncé aux opérations commando, trop lourdes et trop chères à organiser, pour privilégier le renseignement de qualité. »
« L'apostolat » (comme ils le décrivent) des abolitionnistes les plus véhéments se fonde sur une littérature qui se veut documentée. En la parcourant, on découvre que « 87 % des animaux en laboratoire ne sont pas anesthésiés », qu'« au nom de la science, tout est permis, même la cruauté la plus extravagante » et qu'ainsi « un disciple de Pavlov s'est vanté d'avoir maintenu un chien en vie pendant neuf ans avec l'estomac ouvert. »
D'autres associations militent dans le même sens, mais avec d'autres arguments. Pro Anima a été créée il y a quinze ans sous la présidence d'honneur de Théodore Monod. Tout en adhérant à la même éthique compassionnelle envers les animaux, elle revendique une approche « strictement scientifique » pour récuser l'intérêt de toute expérimentation animale en santé humaine. « Chaque année en France, 20 000 personnes trouvent la mort du fait des effets secondaires des médicaments, assure Hélène Sarraseca, vice-présidente, neurophysiologiste de formation. Or, tous ces médicaments ont fait l'objet de tests chez l'animal, ce qui prouve que de tels essais cliniques sont dangereux pour la santé humaine. » L'argument tient en quelques mots : la non-reproductibilité des tests de l'animal à l'homme : « Chaque espèce a son patrimoine génétique propre, expliquent les militants de Pro Anima ; or les gènes déterminent les productions de protéines qui, à leur tour, déterminent les fonctions biologiques. Celles-ci ne sauraient donc correspondre entre espèces différentes. Ainsi, l'aspirine est tératogène chez certaines espèces et pas chez l'homme. » CQFD.
Le lobbying non violent de l'association s'exerce surtout dans les sphères européennes, où elle se sent moins ostracisée qu'en France.
Politique des petits pas
D'autres abolitionnistes de l'expérimentation animale privilégient un discours nuancé qui leur vaut de siéger dans les instances concernées, comme la Commission nationale à l'expérimentation animale au ministère de la Recherche. C'est le cas de la Ligue française des droits de l'animal et de la Confédération nationale des SPA. La présidente de celle-ci, Anne-Marie Hasson, tout en s'estimant « incompétente pour dire si, oui ou non, l'expérimentation animale reste indispensable dans un certain nombre de cas », se présente comme « partisan de la politique des petits pas ». « Nous avons fait tomber le mur qui existait entre les scientifiques et nous en privilégiant des rencontres pour veiller à limiter la douleur et l'angoisse de l'animal de laboratoire », se réjouit-elle.
Même objectif et même stratégie à la SPA, l'organisation parisienne homonyme que préside Serge Belais, vétérinaire, qui admet que, « pour la recherche sur les vaccins ou les techniques expérimentales chirurgicales, on ne peut éviter la mise en cobaye d'animaux », mais qui martèle qu' « on doit y procéder de manière propre et correcte, sans infliger stress ni violence, comme c'est toujours le cas dans des tests neurologiques qui soumettent des chiens à des crépitements de flashes ».
Serge Belais juge que « la prise en considération du sort de l'animal est aujourd'hui générale, y compris dans la communauté scientifique ». Et même à la LFCV, on ne disconvient pas de l'évolution positive observée partout.
La vigilance reste quand même de mise. A la présidence du groupe d'étude de l'Assemblée nationale consacré à l'animal, Geneviève Perrin-Gaillard, vétérinaire de formation, se félicite certes des progrès accomplis partout, « mais il faut plus que jamais poursuivre les contrôles, estime-t-elle. Y compris dans les facultés de médecine, qui, redoute-t-elle, pourraient ne pas être à l'abri des trafics de chiens. »
* Animals in Medicine and Science, Market et Opinion Research International.
Quel « retentissement émotionnel » de la douleur chez l'animal ?
« Oui, il existe un système nociceptif dans la quasi-totalité des espèces animales, affirme Daniel Le Bars (unité INSERM de physiopathologie du système nerveux). Chez les mammifères, son activation s'accompagne d'une sensation, la douleur ; c'est une évidence. En ce sens, le plus petit mammifère peut manifester clairement des signes correspondant sans ambiguïté à une sensation de douleur. Et on peut faire une remarque simple : tous les scientifiques qui justifient leur recherche sur l'animal s'accordent pour affirmer que la plupart des conclusions qu'on peut en tirer sont suffisamment robustes pour être appliquées à l'homme. Pourquoi considérerait-on alors que ce qui génère de la douleur chez l'homme ne le fait pas aussi chez l'animal ? Tant de similitudes sont patentes entre les mammifères et l'homme ! On n'imagine pas que l'incision de la peau, la piqûre, la brûlure ne déclenchent pas de douleur chez l'animal. Toutes ces réactions évoquent les sensations douloureuses de l'être humain. Ce qui est moins évident, en revanche, c'est le retentissement émotionnel de la douleur, qui varie en fonction du développement cortical. Il semble légitime de s'interroger à ce sujet, notamment chez les vertébrés non mammifères. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature