À LA FIN DU MOIS de septembre, alors que les syndicats médicaux étaient sur le pied de guerre pour obtenir le C à 23 euros en temps et en heure, rappelant Nicolas Sarkozy à ses promesses électorales, le feu a pris dans le monde de la santé là où on ne l'attendait pas. A l'hôpital. Chez les futurs et les très jeunes médecins.
A l'origine de l'incendie : l'annonce de l'écornage du principe de la liberté d'installation par un président qui, en craquant cette allumette, ne s'est sans doute pas rendu compte de la portée de son geste.
« Le Quotidien » décortique les ressorts d'une crise.
Cartes politiques brouillées.
Gauche, droite : à peine cinq mois après l'élection présidentielle, les rôles s'inversent. Le PS demande au gouvernement de retirer son projet (articles 32 et 33) du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale, voir aussi page 4). C'est pourtant lui qui, pendant la campagne électorale, a attaqué le plus frontalement – avant de mettre de l'eau dans son vin – la liberté d'installation (1). Pendant ce temps, le candidat Sarkozy promettait tranquillement de ne jamais s'attaquer aux piliers de la médecine libérale…
Non content de s'abattre « là » où personne ne l'avait anticipé, le coup est donc parti « de qui » on ne l'attendait pas.
Corporatisme ou pragmatisme?
Le combat des futurs médecins est-il corporatiste, comme aiment à le laisser penser leurs détracteurs ? Pas si sûr. Arrivant frais émoulus sur « le marché de la médecine », ayant déjà subi l'impitoyable sélection du concours de P1, les jeunes supportent mal, après dix années d'études, de voir subitement changer les règles de leur installation : pourquoi, se disent-ils, subirions-nous la très mauvaise anticipation politique des questions de la démographie médicale et de la répartition des médecins sur le territoire ? Rappelons à ce sujet que, après des années de régime sec, le numerus clausus n'a recommencé à augmenter qu'en 2000 (2) et que le MICA (mécanisme d'incitation à la cessation d'activité), inventé en 1988 pour juguler l'expansion en ville d'un corps médical à l'époque jugé pléthorique, n'a été fermé qu'en 2003.
Une mauvaise réponse à une question mal posée?
Attention, terrain mouvant. Les sujets de la « juste » densité de médecins et de leur « bonne » répartition sur le territoire prêtent à toutes les analyses et interprétations. Dès lors, l'idée de limiter l'installation des médecins dans les zones surdotées peut être, selon les points de vue, jugée : néfaste, inutile ou bien nécessaire, mais pas suffisante. Il est certain que, même si l'on met de côté les aspirations spécifiques des nouvelles générations (voir encadré), personne n'obligera des jeunes médecins à s'installer là où ils ne trouveront pas d'école pour leurs enfants, de travail pour leur conjoint et, sur un plan purement professionnel, de réseau de soins sur lequel s'appuyer – rappelons que, dans les zones sous-médicalisées, la tendance est souvent à la démédicalisation des hôpitaux de proximité.
A l'inverse, si on contrecarre les projets d'installation des jeunes dans des zones déjà surmédicalisées, ils trouveront toujours des biais soit pour y exercer autrement, soit pour attendre de pouvoir s'y établir (remplacements, carrière hospitalière plus longue que prévue…). Il faut noter que, depuis plusieurs années, l'âge moyen de l'installation recule : il est passé de 34,5 ans en 1991 à 39 ans.
Par ailleurs, un danger existe qu'il ne faut peut-être pas négliger : d'autres pays d'Europe (l'Angleterre, l'Espagne) manquent de médecins et viennent de plus en plus faire les yeux doux au vivier français.
Erreur de méthode.
Passée la surprise de l'annonce, les grévistes (qui ont été reçus une quinzaine de fois au ministère de la Santé) ont parfois du mal à suivre et la méthode et le discours du gouvernement. Le président a-t-il cédé à une impulsion pour s'attaquer à la liberté d'installation ? A-t-il pris de court la ministre de la Santé ? Au-delà du « qui – de l'Elysée et de l'Avenue de Ségur – décide quoi », la position des pouvoirs publics peut se résumer ainsi : nous sommes attachés à la liberté d'installation mais nous préférons ouvrir quand même la possibilité de sa restriction dans le PLFSS. Nul ne peut contester que la formule a un petit parfum de piège. D'autant que les infirmières, citées en exemple (pour leur bonne volonté en matière de rééquilibrage démographique) par le président de la République quand il a lancé le débat, ont elles-mêmes peu goûté l'expérience, n'ayant pour l'heure signé aucun avenant conventionnel révisant effectivement leurs conditions d'installation.
Aujourd'hui, d'autres professionnels de santé prennent peur, qui descendent désormais dans la rue avec les internes : «Il y a eu les infirmières, puis les médecins; nous sommes les prochains sur la liste», s'inquiètent les kinés et les orthophonistes.
Piège absurde.
L'impasse d'aujourd'hui frise l'absurde. Les pouvoirs publics veulent inscrire dans la loi le principe de la restriction de la liberté d'installation afin que les partenaires conventionnels puissent aménager les choses par la suite. Mais l'avenant n° 20 à la convention prévoit déjà l'éventualité de mesures « désincitatives » à l'installation dans les zones surmédicalisées. Même si la désincitation (qui peut prendre la forme de modulations des prises en charge des cotisations sociales des médecins) va moins loin que le déconventionnement prévu par le PLFSS, la question se pose : le gouvernement mettrait-il des milliers d'internes dans la rue pour défendre une idée… qui existe déjà ?
Quid de l'incitatif?
Si les alertes sur les déséquilibres – voire les insuffisances – de la démographie médicale existent depuis des années, les rapports, missions, enquête… se succédant sur le sujet, les mesures incitatives mises en oeuvre pour corriger la situation sont, elles, toutes récentes – on peut au mieux faire remonter à 2003 l'invention d'un dispositif organisé. On manque donc de recul, aujourd'hui, pour mesurer leur efficacité.
Les spécialistes, paradoxale locomotive de la grève.
Grève des gardes le 27 septembre, grève totale des soins le 5 octobre : depuis le début de la crise, ce sont, via l'ISNIH (Intersyndicat national des internes des hôpitaux), les futurs spécialistes qui sont le moteur de la grève. Un paradoxe quand la restriction projetée de la liberté d'installation touchera d'abord les généralistes. La preuve que jeunes spécialistes voient plus loin que leur début de carrière hospitalière et tiennent à pouvoir le moment venu visser leur plaque où bon leur semble. C'est-à-dire, la plupart du temps, à proximité d'une clinique.
(1) «A partir du moment où l'Etat prend en charge les études médicales, il faut réfléchir à une meilleure répartition des médecins sur le territoire, jugeait Ségolène Royal lors des “primaires” à l'investiture socialiste. Cela se fait déjà pour d'autres professions, et au moins pour une partie de leur carrière.»
(2) Pendant les années 1990, le numerus clausus était inférieur à 3 600, il a été porté à 4 100 en 2000 puis progressivement augmenté pour atteindre aujourd'hui 7 100.
A quoi rêvent les généralistes de demain
Notre confrère « le Généraliste » publie dans sa dernière édition (datée du 19 octobre) les résultats d'une enquête dans laquelle 827 internes de médecine générale dévoilent leurs projets d'installation. Interrogés en 2006 (bien avant la crise, donc), ces très jeunes médecins montrent un profil surprenant. Moins de la moitié d'entre eux (48,5 %) aspirent idéalement à un exercice libéral et, en pratique, 38,5 % seulement sont prêts à sauter effectivement le pas et à s'installer en ville.
Le milieu semi-rural (petites villes) ne les rebute pas (43,2 % y sont prêts), si tant est qu'il satisfasse les besoins (écoles, travail, commerces...) de leur famille. En revanche, l'exercice rural ne fait pas recette : 8 % seulement sont tentés. Quant au mode d'exercice, c'est le travail à plusieurs (cabinet de groupe ou maison médicale) qui est plébiscité : 89,3 % des internes de médecine générale envisagent de fonctionner ainsi.
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