«POSSIBLE DÉRIVE vers des actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants», c’est la crainte qu’exprime au sujet du PIE, devant l’Assemblée nationale, Christophe Masse, député socialiste des Bouches-du-Rhône. «Depuis 2001, 152personnes sont mortes aux Etats-Unis après l’utilisation du Taser; dans près de 30cas, en 2005, il a été prouvé un lien entre son utilisation et la mort des suspects», s’émeut Amnesty International, qui fait campagne contre le Taser et réclame le lancement d’une évaluation rigoureuse du risque de son utilisation.
«Taser, dernière gégène au pays des droits de l’homme», accuse carrément le Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme (Raidh), qui part en guerre contre une «arme dangereuse, cruelle, voire mortelle», et «regrette que le ministre de l’Intérieur, en se faisant le VRP de la société américaine Taser International, commette un déni de mémoire sur l’usage de l’électricité comme moyen répressif».
A l’opposé, la « Tribune du commissaire de police », organe du Schfpn (Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale), décrit le PIE comme une «arme antibavure par excellence» et affirme qu’il a réduit de 82 % le nombre de blessures infligées aux policiers par des suspects et que «les policiers, qui, eux, ont vu, testé et utilisé le Taser, sont à 100% pour; dans certaines banlieues parisienne et lyonnaise, le travail est devenu plus simple, plus sûr et plus rapide, et le policier plus respecté». Du reste, lors des congrès de syndicats de police, le stand de Taser est l’un des plus visités, les policiers venant y tester sur eux-mêmes les effets de l’arme.
Nouvelle gégène ou pistolet du futur ?
Après le flash-ball, qui tire des balles de caoutchouc comprimé et dont la police de proximité est dotée en France depuis 2002 (« le Quotidien » du 27 mai 2002), le dernier-né des armes technologiques provoque une très vive polémique : nouvelle gégène pour les uns, ou pistolet du futur qui épargne les vies pour les autres. Techniquement, cette arme à létalité réduite (appellation préférée, au ministère de l’Intérieur, à celle d’arme non létale) se présente comme un gros pistolet de couleur rouge et noir, d’une portée maximale de 6 m, qui propulse à la vitesse de 50 m/s (deux fois moins rapide que celle du flash-ball) deux électrodes appelées dards, reliées à un fil isolé. Au contact de sa cible, le Taser libère une décharge électrique de 50 000 volts à 26 watts. Si son cycle n’est pas interrompu par le tireur, il dure jusqu’à cinq secondes. L’électrisation de la cible bloque son système nerveux, le PIE envoyant un signal semblable à celui des ondes T, qui neutralise les signaux normaux des fibres nerveuses. L’arme a été conçue pour bloquer le système nerveux central sans effets à long terme, afin d’immobiliser brièvement la personne touchée, de façon à ce que les policiers puissent intervenir sans danger et l’immobiliser. Dans quel état risque-t-elle alors de se trouver, tel est tout le sujet du débat.
Quarante-trois mille pages de recherches anglo-saxonnes.
Un débat où les médecins prennent évidemment la parole. C’est ainsi que Cardiostim, 15e congrès international du genre, qui s’est tenu à Nice les 14 et 15 juin derniers, a consacré cinq communications au Taser. Elles font l’objet d’une publication dans « la Revue des Samu « (numéro spécial, tome XXVIII). Pas moins de 43 000 pages de recherches et d’études ont été passées en revue pour élucider la question des 150 morts dénombrés aux Etats-Unis, étudier la question de savoir si le PIE risque ou non de créer une fibrillation ventriculaire, aggrave l’arythmie, etc. Les urgentistes et cardiologues anglo-saxons ont tous conclu à l’innocuité, à ce jour, alors que 4 400 corps policiers et pénitentiaires au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sont équipés de Taser. Certes, note le Dr Tony Bleetman (universités de Birmingham et Warwick), «il existe des risques de lésions mineures ou occasionnelles à des endroits vulnérables, mais l’action du Taser s’arrête très précocement et réduit les risques de lésions graves et de mortalité». Le taux de réduction des lésions pour l’utilisateur comme pour le sujet cible après utilisation du Taser va de 90 % pour les utilisateurs à 70 % pour les sujets cibles.
Les investigations sur les effets arythmogènes potentiels du Taser semblent également rassurantes. Selon le Dr Bob Sheridan (Defence Science and Technology Laboratory, Grande-Bretagne), «les expérimentations faites sur un modèle électromagnétique qui reconstitue virtuellement le corps humain sur la base de données IRM et scanner montrent que le facteur de sécurité du Taser est égal ou supérieur à 60fois la charge nécessaire à l’induction de rythmes ventriculaires ectopiques». Concernant la fibrillation ventriculaire, on n’en observe pas avec une densité de courant 240 fois supérieure pour le X 26.
En France, à ce jour, aucune publication n’a été consacrée au PIE. Mais une communication a été faite le 13 novembre dernier devant la Société française de médecine légale, qui a remporté le prix de la meilleure communication 2006 et devrait être reproduite dans le « Journal de médecine légale ». Elle concerne l’autopsie effectuée il y a un an, dans un service d’Ile-de-France, sur un patient qui présentait tout à la fois des impacts de flash-ball et de Taser, sans que la cause de sa mort, indirectement ou directement, soit liée à l’une de ces armes. Selon l’un des membres de l’équipe, le Dr Cédric Houssaye, l’étude «du potentiel lésionnel des deux armes conclut au caractère très peu lésionnel du PIE. Pour autant, des dommages peuvent être occasionnés par la zone d’implantation des deux dards, par exemple s’ils atteignent un oeil. D’autre part, l’électrisation du patient provoque une tétanie paralysante réversible avec chute du patient. Les lésions possibles sont alors variées, comme avec n’importe quelle chute» .
Les observations de l’équipe médico-légale permettent, quoi qu’il en soit, de conclure au caractère nettement moins létal et moins morbide du Taser par rapport à n’importe quelle arme de poing.
Cependant, des incertitudes ne sont pas complètement levées, estime le Dr Houssaye, au sujet de possibles altérations des simulateurs cardiaques.
Quant à l’affaire des 150 morts aux Etats-Unis évoqués par Amnesty, elle est pour le moins douteuse. «Aucune publication ne signale de décès à l’heure actuelle, souligne le Dr Houssaye. L’indépendance des médecins légistes américains exclut complètement que des cas aient pu faire l’objet d’une dissimulation.»
En l’état des investigations médicales internationales, le Taser reste donc une arme non létale.
Tests sur volontaires
Pour évaluer les effets in vivo des pistolets à impulsion électrique, des expériences ont été menées sur des animaux, notamment des cochons. Mais la littérature américaine rapporte aussi que des volontaires ont été soumis à des tirs électriques, recrutés parmi des services de police et au sein de la population carcérale. Un article de l’« Academy of Emergency Medicine » rapporte des études faites sur 66 volontaires qui ont été soumis à une surveillance ECG de 24 heures : trente-deux ont un ECG à 12 dérivations, montrant que le Taser n’a eu aucun effet sur l’activité électrique cardiaque dans les 24 heures qui ont suivi une décharge de 5 secondes. « Les auteurs n’ont pas été en mesure de détecter la moindre arythmie induite par le Taser ou des effets délétères sur les cellules cardiaques pouvant être en relation avec une mort soudaine.»
En France, de tels essais humains paraissent éthiquement inenvisageables. Tout au plus confirme-t-on au ministère de l’Intérieur que des membres des forces de l’ordre se sont livrés à des tirs sur eux-mêmes, à des fins d’autoévaluation. Mais, souligne-t-on, «il s’agit d’initiatives individuelles qui n’ont pas été encouragées par la hiérarchie».
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