LA PESTE, effroyable fléau qui ravagea l'Orient et l'Occident durant quatorze siècles, et faucha au XIVe siècle entre un quart et un tiers de la population occidentale, et douze millions de personnes en Inde à la fin du XIXe siècle, n'a pas livré tous ses secrets. Elle reste une menace et constitue une question d'avenir, explique l'archéozoologue Frédérique Audoin-Rouzeau, spécialiste des rapports de l'homme et de l'animal depuis l'Antiquité. «D'autant que l'irruption toute récente de cette maladie, aux côtés de la variole et de l'anthrax, dans le débat mondial sur la guerre bactériologique, confère à ce sujet une acuité nouvelle.» La peste n'a pas disparu ; elle est présente aujourd'hui en Iran, à Madagascar, au Brésil et dans bien d'autres pays. Est-elle transmise par la puce du rat ou la puce de l'homme ? La question n'est pas accessoire : comprendre la chaîne de transmission et identifier les vecteurs de la maladie conditionne les modalités de prévention d'une nouvelle épidémie. Cette prévention est d'autant plus indispensable en l'absence de vaccin réellement efficace et de la nouvelle résistance du bacille aux antibiotiques.
La première pandémie occidentale, plus connue sous le nom de «peste justinienne», frappe l'Europe vers le VIe siècle ; elle délaisse l'Europe pendant six siècles avant de faire un retour dévastateur via la Crimée en 1347 sous le nom de «mort noire», pour se propager sur tout le pourtour méditerranéen et faire vivre l'Occident pendant près de cinq siècles dans la terreur permanente. Puis la pestilence déserte mystérieusement l'Europe et réapparaît en Asie. Elle tue des milliers de Chinois. L'Europe dépêche alors le pasteurien Alexandre Yersin pour étudier la propagation de la maladie. Il isole le bacille pesteux, auquel il donnera son nom à la fin du XIXe siècle lors de l'épidémie de Hong Kong, et démontre que la même maladie affecte les rats et les hommes. Les résultats de ses travaux et ceux de Paul-Louis Simond en Inde plaident en faveur du rôle fondamental de la puce du rat. Mais, dans les années 1930, R. Jorge, puis, dans les années 1940, M. Baltazard et G. Blanc imposent une nouvelle théorie : celle de la seule transmission interhumaine, via la puce de l'homme. De ces deux théories émergent des modalités préventives radicalement différentes : lutte contre les rongeurs, les rats, en particulier, dans la première hypothèse (puce du rat), désinfections des hommes et de leur habitat dans la seconde (puce de l'homme).
La piste des origines.
De l'apparition du rat noir en Europe, avec les Romains, à la difficulté physiologique de Pulex irritans (puce de l'homme) de transmettre le bacille du fait des particularités de son tube digestif (pas de bouchon bacillaire, comme la puce du rat Nosopsyllus fasciatus), en passant par la nécessaire période de latence de trois à six semaines entre les premiers cas humains et l'explosion de l'épidémie et de très nombreux autres faits peu contestables, Frédérique Audoin-Rouzeau analyse vingt-neuf faisceaux d'arguments historiques, épidémiologiques, biologiques, archéozoologiques pour démontrer la validité de l'hypothèse de la puce du rat. Fin limier, amateur d'énigmes en tous genres (F. Audoin-Rouzeau est aussi l'auteur de romans policiers – « rompol » – Fred Vargas), mais aussi scientifique aguerrie, elle remonte la piste des origines, pour accumuler les preuves en faveur de l'hypothèse de la puce du rat, hypothèse abandonnée jusqu'aux années 1980 et encore contestée par de nombreux chercheurs, tout en expliquant comment d'autres explications ont pu être avancées.
Une fois comprise cette analyse remarquable de la responsabilité respective de la puce, du rat et de l'homme, la lecture de « Pars vite et reviens tard », célèbre roman policier de Fred Vargas évoquant la bouffée parisienne (petite épidémie) de peste atteignant les « chiffonniers de la bordure », prendra encore un autre sel.
« Les Chemins de la peste ; le rat, la puce et l'homme », de Frédérique Audoin-Rouzeau, Editions Poche, Tallandier, collection « Texto », 622 pages, 12 euros.
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