LE TEMPS DE LA MEDECINE
LE PROBLEME est vieux comme la médecine : Hippocrate lui-même ne déconseillait-il pas à ses élèves de déshabiller un malade en présence de témoins, qu'il s'agisse de proches du patient, d'élèves ou d'assistants du médecin ? Et quand l'examen nécessitait le déshabillage intégral, il suggérait de procéder en deux temps, d'abord pour le haut, ensuite pour le bas. Plus près de nous, dans son traité de « Déontologie médicale », premier du genre publié en langue française en 1845, le Dr Max Simon précisait que le médecin devait être « un homme chaste sans être prude », et que, vis-à-vis d'une patiente, il lui fallait respecter sa pudeur tout en la soumettant aux examens nécessaires, sans se laisser séduire ni prendre parfois à son jeu.
Un jeu qui peut se révéler très délicat : dans son rapport adopté par le Conseil national de l'Ordre en décembre 2000, le Pr Bernard Hœrni le soulignait : « Tous les patients ne sont pas vieux et décatis et, pour être médecin, on n'en est pas moins homme ou femme. De là, constatait-il, surgissent des tentations auxquelles les uns et les autres sont exposés, en transgressant gravement un interdit absolu s'ils y cédaient. »
Le Pr Hoerni rappelait que « l'examen clinique se fait en général sur un patient dénudé et comporte des contacts intimes entre mains et doigts du praticien et régions sensibles du corps du patient : en particulier examen des seins chez la femme, des parties génitales avec touchers pelviens dans les deux sexes, mais aussi autres zones érogènes selon les individus ».
Or le rapport le soulignait : pour tous ces gestes qui peuvent susciter la gêne chez le patient et l'embarras, voire la tentation chez le praticien, aucune formation, initiale ou continue n'est prévue. « Cela devrait pourtant faire partie d'un programme obligatoire de formation théorique et pratique (...) sur les conduites à tenir dans des situations délicates. »
Et de citer les Pays-Bas, où l'apprentissage des touchers pelviens comprend un protocole précis, les étudiants examinant des volontaires sains sous le contrôle d'un moniteur qui guide leur comportement face à une réaction imprévue. Les médecins peuvent être exercés à voir un patient dénudé, à le soumettre à des contacts délicats en considérant tout cela comme naturel et en veillant à n'aller plus loin en aucun cas.
Stage obligatoire de gynécologie-obstétrique.
Cet apprentissage des gestes techniques et, en même temps, du contrôle de réactions personnelles qui, pour être naturelles, n'en doivent pas moins être maîtrisées quoi qu'il arrive, est maintenant organisé dans le cursus initial. Depuis la rentrée 2001, donc quelques mois seulement après le rappel du Conseil de l'Ordre, un stage obligatoire de gynécologie-obstétrique effectué en maternité a été inscrit dans la formation générale. L'époque où un étudiant pouvait devenir médecin sans avoir jamais pratiqué un toucher est donc révolue.
« C'est un progrès extrêmement profitable, se félicite le Dr Cousin, président du Syngof (Syndicat des gynécologues-obstétriciens de France). Autrefois, il n'était pas rare en effet qu'un généraliste s'abstienne d'effectuer un frottis vaginal. Notre discipline s'enseigne par le compagnonnage et, parfois, cela nécessite de mettre à contribution la patiente en lui demandant d'accepter par exemple un deuxième toucher pelvien, qui soit pratiqué à la suite de l'enseignant par l'étudiant, de manière à ce que celui-ci ressente personnellement les effets de ce geste. C'est plus facile lors d'actes chirurgicaux, pratiqués avec des patients placés sous anesthésie, mais ces formations pratiques n'en sont pas moins du plus haut intérêt médical. »
Nécessaire présence d'un adulte.
« Ces enseignements vont de pair avec des conseils sur les précautions indispensables désormais pour l'examen des patientes mineures, ajoute le Dr Raymond Bélaiche, gynécologue à Montpellier (Hérault). La présence d'une adulte aux côtés de l'enfant ou de l'adolescente, soit la mère, soit, à défaut, la secrétaire du cabinet, est nécessaire pour parer à toute éventualité et éviter qu'une gamine aille raconter que le médecin s'est jeté sur elle. »
Cela dit, les gynécologues-obstétriciens ne vivent pas en permanence dans la peur de l'incident. A telle enseigne que, au Syngof, on ne se souvient pas qu'une réunion ait jamais été consacrée aux problèmes liés aux gestes sensibles ou gênants. Pour reprendre la formule du Dr Bélaiche, « c'est epsilon de chez epsilon ». En fait, les procédures engagées par les instances ordinales à la suite de plaintes déposées par des patient(e)s se comptent chaque année sur les doigts des mains. « Et tous les cliniciens vous le diront, insiste le Dr Bélaiche : une créature de rêve est bien plus suggestive lorsqu'elle est habillée que dénudée et allongée sur la table d'examen. »
D'autres spécialistes peuvent être exposés à plus de difficultés, au premier rang desquelles bien sûr les sexologues. En sa qualité de présidente du Syndicat national des médecins sexologues (Snms), le Dr Frédérique Hédon reçoit chaque année quelques courriers envoyés par des patientes et des patients qui se plaignent de gestes commis par des praticiens. Et, bien sûr, certaines affaires qui ont mis en cause tel spécialiste très médiatisé ont une ombre portée qui demeure. « Le sexologue, explique le Dr Hédon, doit tout d'abord effectuer une évaluation des problèmes par un entretien. Il n'est pas censé vérifier l'excitabilité sexuelle de son patient, car, par définition, une telle excitabilité ne saurait avoir lieu avec un médecin. Cet entretien peut souvent être complété par un examen physique et, le cas échéant, un examen génital. Dans tous les cas, cela nécessite d'éclairer très précisément la personne sur la nature des actes qui vont être effectués et sur leur pertinence d'un point de vue strictement médical. »
Néanmoins, ces investigations, même pour des médecins expérimentés, ne vont pas toujours de soi. C'est pourquoi beaucoup de sexologues choisissent d'orienter leurs patients vers un gynécologue. Comme dit le Dr Hédon, « parler avec les gens et les faire se déshabiller constituent deux genres bien différents. Il ne va pas de soi de les mélanger ».
Mais, même chez les gynécologues les plus rompus à l'art de la clinique, on reconnaît que des progrès restent à accomplir en matière de gestes effectués sur un patient déshabillé ; le Dr Bélaiche cite les Britanniques qui prévoient, lors de ces examens, de remettre une blouse au malade. Ils disposent également d'une cabine de déshabillage. Alors qu'en France cette opération s'effectue le plus souvent dans un coin de la pièce, à portée de vue du praticien. D'où certains regards qui peuvent se croiser à des moments critiques du déshabillage ; comme le remarque le Pr Hoerni, une cloison ou un paravent suffiraient à les éviter. Le regard, voilà sans doute un élément primordial pour instaurer la confiance ; le rapport Hœrni recommande encore de regarder le visage pendant qu'on pratique un toucher pelvien. Beaucoup de malades, observent-ils, ferment les yeux à ce moment-là.
Avec ou sans chaperon
EN GRANDE-BRETAGNE, il est recommandé aux médecins qui font des examens intimes de ne pas le faire sans la présence d'un « chaperon », membre de la famille, secrétaire, infirmière... Qu'en est-il dans la pratique ? Des chercheurs de l'université de Londres* ont envoyé un questionnaire à plus de 1 800 généralistes anglais et analysé les réponses de 1 246 d'entre eux (754 hommes, 492 femmes).
La majorité des médecins hommes (68 %) proposent généralement, voire systématiquement, qu'une tierce personne assiste à l'examen, et 54 % recourent effectivement à un chaperon. Les médecins femmes sont peu nombreuses, en revanche, à en éprouver le besoin (5 % proposent le chaperon et 2 % l'utilisent). Ainsi, 70 % des femmes n'ont jamais eu de chaperon contre seulement 8 % des hommes.
Le plus souvent (78 %), le chaperon est l'infirmière. Cela peut être aussi un membre de la famille ou un accompagnant (47 %), un membre du personnel non médical (43 %), un étudiant ou un médecin remplaçant (22 %) ou encore un autre médecin (10 %).
L'âge du praticien, l'appartenance à un groupe ethnique non blanc et une petite clientèle sont les trois principaux facteurs corrélés à l'utilisation d'un chaperon. Cet usage a sensiblement augmenté chez les hommes depuis les années 1980 et 1990 alors qu'il reste très bas chez les femmes, note l'étude.
Devant ce constat, les auteurs recommandent un assouplissement des consignes pour les généralistes, car il faut reconnaître le manque de place et de personnel et tenir compte du type de relations qui s'établit entre médecin et patient dans ce type de pratique. Il serait bon aussi de connaître l'avis des malades.
> R. C.
* Joe Rosentahl et coll., « BMJ » online, 2 décembre.
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