De notre correspondante
En France, 400 000 enfants, soit de 2,5 à 5 % des enfants d'une classe d'âge, ont un quotient intellectuel global supérieur à 125, alors que la majorité de la population possède un QI entre 80 et 120. Comme l'ont souligné les intervenants au colloque, ils ne sont pas seulement en avance, ils sont « différents », mais il faut éviter le terme de « surdoué », qui implique une supériorité et risque de l'exposer à l'agressivité des autres enfants, des enseignants et même de ses propres parents.
Huguette Bonacchi, psychologue clinicienne, a évoqué la résistance de l'adulte face à la précocité de l'enfant : malgré une ambivalence dans le désir (ils nourrissent le fantasme d'un enfant merveilleux, mais imaginaire), les parents veulent un enfant sans problème, un enfant « normal », d'où leur désarroi. « Je n'ai pas l'impression d'être devant un enfant de son âge... il a toujours une longueur d'avance... j'ai peur de ne pas pouvoir répondre à ses questions », disent-ils. Pour la psychologue, ces enfants « bousculent l'adulte dans son rôle, l'angoissent, l'amènent à s'interroger sur sa supériorité ; ils ont l'impression qu'il n'est plus dépendant d'eux ». Certains parents jouent alors la carte du « petit génie » et risquent de « placer la barre trop haut » en ne le considérant plus comme un enfant. Pourtant, ces enfants ont besoin de se référer aux adultes pour construire leur personnalité.
Pédagogie différenciée
Situation difficile aussi pour les enseignants qui craignent que cet élève ne soit « plus intelligent qu'eux » et voient en lui un rival dès que son QI leur est révélé. Les « surdoués » ne sont pourtant pas toujours de bons élèves : les deux tiers d'entre eux ont même des résultats médiocres et sont souvent en échec scolaire ; ils passent pour être paresseux et les sanctions ne semblent pas avoir de prise sur eux.
Le système scolaire aime les bons élèves mais pas les élèves précoces : il fait plus facilement redoubler les élèves en difficulté que sauter des classes aux surdoués, constatent les responsables de l'Association française pour les enfants précoces. Pour eux, le saut de classe ne semble être qu'un pis-aller, car ils plaident pour une « pédagogie différenciée », qui ne peut être réalisée que dans quelques écoles privées.
Des signes avant-coureurs
Il faut de toute façon déceler la précocité des enfants le plus tôt possible, pour éviter qu'ils ne restent en marge ou au contraire qu'ils ne sacrifient leur talent potentiel pour se fondre dans le moule général ( « Si le don n'est pas nourri, il va s'étioler », note Sophie Cote, présidente de l'AFEP) et pour éviter des conflits parentaux. Les psychologues espèrent que l'information des adultes diminuera leur peur de l'inconnu et souhaitent que des lieux de parole soient créés pour les parents.
Le Dr Christian Peyrat, pédiatre toulousain, en appelle aux médecins, en attirant leur attention sur les enfants en difficulté scolaire en fin de primaire et au collège. Mais c'est en amont qu'il faut agir, selon lui : en grande section de maternelle, voire en moyenne section. « Votre attention, dit-il, doit être attirée à cet âge par un enfant manifestant à la fois rapidité d'acquisition, capacités de synthèse et de rapprochement, résolution d'un problème à une vitesse fulgurante par rapport aux capacités attendues à cet âge. Avant même son entrée à l'école, il s'est mis à parler très tôt, dans un langage d'emblée presque adulte, son vocabulaire est riche, ses phrases bien construites ; il est curieux et pose une multitude de questions dont la pertinence étonne ses parents, il a souvent beaucoup d'humour et les questions métaphysiques de vie et de mort ont tendance à le tracasser bien avant les autres enfants.
Le décalage est de ce fait évident, et le signe avant-coureur des difficultés est l'ennui pendant la classe, mais aussi parfois le décalage entre son savoir-dire et son savoir-faire : son exécution graphomotrice n'est pas en accord avec sa rapidité et son niveau d'abstraction. » D'où le conseil, dans ce cas, de faire pratiquer un test de QI (possible dès 4 ans d'âge mental), des tests de personnalité ainsi qu'un bilan orthophonique.
Dès 2 ans
Pour le Dr Pierre Fourneret, pédopsychiatre intervenant à l'Institut des sciences cognitives de Lyon, le rôle du médecin doit se situer à plusieurs niveaux : dépistage de la précocité dès 2 ans, lorsqu'il constate un décalage entre motricité et langage, ou entre langage et comportement ; des conseils de guidance lui semblent alors suffisants pour aménager les interactions parents-enfant. Vient ensuite « l'identification de la précocité » dès 3 ans, lorsque l'entrée en maternelle laisse apparaître des difficultés d'intégration : « L'indication de tests, leur interprétation didactique auprès des parents et des enseignants et les conseils d'enrichissement, d'approfondissement, voire d'accélération scolaire, aideront l'enfant et sa famille à sortir de l'impasse pédagogique. »
Au médecin aussi de dépister des complications de la précocité telles que le déficit d'attention, la dépression ou l'instabilité psychomotrice (d'autres intervenants ont souligné l'hyperactivité d'un certain nombre d'enfants précoces, garçons essentiellement), qui risquent d'aggraver sa marginalisation et de précipiter l'échec scolaire.
Pour le Dr Fourneret, « un médecin sera alors habilité à proposer des thérapeutiques médicamenteuses, psychologiques et psycho-éducatives qui atténueront largement les effets néfastes de la dyssynchronie ». Dans tous les cas, il plaide pour un fonctionnement en réseau avec la famille et l'école, pour apporter bonheur et épanouissement à ces « êtres en souffrance ».
Intelligence innée ou acquise
Le cas des enfants précoces conduit à poser la question des origines de l'intelligence : chez un enfant de 2 ans, le rôle de l'acquis semble faible. Au colloque de Marseille, plusieurs chercheurs sont venus évoquer des dissections de cerveaux, mettre en évidence des structures différentes montrant l'hypertrophie de certaines zones ou, au contraire des « trous » qui entraînent le développement de connexions susceptibles d'expliquer des intelligences supérieures. Le Pr Michel Habib, du laboratoire de neurologie cognitive de la Timone, à Marseille, a rappelé que le cerveau d'Einstein présentait une anomalie jamais observée ailleurs : l'absence de lobe pariétal inférieur sur chacun des hémisphères, notamment impliqué dans le raisonnement mathématique d'approximation, ce qui l'aurait conduit à surdévelopper d'autres zones.
La structure du cerveau se transforme avec les apprentissages et l'environnement. Le cerveau d'Einstein n'ayant été photographié qu'après sa mort, on ignore s'il était un enfant précoce. « En ce qui concerne la précocité, on ne sait pas s'il y a des facteurs génétiques, on sait seulement que ces enfants sont différents des élèves "performants", au QI également élevé mais qui n'ont pas présenté de précocité au cours de leur apprentissage », souligne Michel Duyme, directeur de recherche au CNRS - Paris-VII. Si l'environnement ne vient pas nourrir leur « don » de départ, ils risquent donc de le perdre rapidement.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature