Q UAND les parents du jeune épileptique de 14 ans, noyé dans un lac à l'occasion d'une sortie de classe, se sont rendus auprès des experts de la « British Epilepsy Association » pour obtenir des informations, on leur a répondu « que la natation est bonne pour la santé des épileptiques, à condition d'être surveillée ». Cette réponse a soulevé chez eux une grande perplexité. « Même en considérant la possibilité d'une surveillance individuelle, nous n'aurions pas su comment réagir en cas de crise, ont-ils expliqué. Tous les risques inhérents à l'épilepsie et les gestes à faire devraient être clairement expliqués aux parents. On attache moins d'attention aux enfants épileptiques qui n'ont pas de handicap visible qu'à ceux dont le trouble moteur est patent. »
Submersion rapide
Si tout le monde est d'accord pour surveiller les épileptiques lors d'une baignade, on sait peu de choses du risque en fonction du type de crise. Quand il existe une phase tonique, la contraction des muscles thoraciques expulse l'air des poumons, ce qui rend la densité corporelle supérieure à celle de l'eau et provoque une submersion rapide. Au moment du relâchement musculaire, la personne, toujours immergée, fait pénétrer de l'eau et non pas de l'air dans ses voies respiratoires, ce qui l'empêche de remonter à la surface.
Dans le cas du garçon anglais, les crises se manifestaient toujours par une rotation de la tête et des yeux accompagnée d'une flexion ou d'une extension du thorax et d'une gesticulations des membres. Le rapport d'autopsie de sa noyade dans 1,50 mètre d'eau, alors que les autres enfants jouaient autour de lui, est formel : il s'agit bien d'une noyade secondaire à l'épilepsie. Faut-il incriminer le traitement ?
L'enfant, épileptique depuis l'âge de 7 ans, avait été traité par valproate de sodium et carbamazépine. Au moment du décès, le second médicament avait été arrêté depuis trois mois et l'enfant n'avait fait que deux crises. A-t-il manqué de surveillance ? Les dix enfants et quinze professeurs qui l'accompagnaient ne se sont rendu compte de son absence qu'au moment du départ. Les parents, totalement ignorants du risque, n'avaient pas donné de consigne aux professeurs.
Plusieurs publications ont déjà fait état du risque de noyade inhérent à l'épilepsie.
En 1993, une étude avait estimé le risque relatif (RR) de noyade chez l'épileptique de 96 dans la baignoire et de 23,4 dans une piscine. Des observations de noyade sous la douche ou dans un jacuzzi ont été rapportées. La baignade en eau trouble, dans les lacs et autres sites non surveillés, majore le risque.
Baignoire, piscine, douche, jacuzzi
« Toutes les crises qui entraînent une perte de conscience devraient être considérées à haut risque explique Franck Besag, a fortiori s'il existe une phase tonique. Le surveillant de baignade doit être suffisamment fort et bon nageur pour sortir la personne de l'eau, l'idéal étant qu'il puisse se servir de ses pieds. Une grosse bouée de sauvetage capable de remonter le couple patient-sauveteur à la surface serait une autre solution. »
Pour se rapprocher du risque zéro, les épileptiques devraient donc nager en eau claire, où ils ont pied, et sous surveillance individuelle.
Franck Besag, « BMJ », vol. 322, 21 avril 2001.
L'attitude française nuancée
Le Dr Alexis Arzimanoglou, neuropédiatre à l'hôpital Robert-Debré (Paris), explique ses recommandations en matière de baignade.
« Les conseils à donner aux parents et aux proches vont dépendre d'un certain nombre de facteurs. Le plus important est le type d'épilepsie (crises diurnes, nocturnes, tonico-cloniques, partielles...) et surtout son caractère équilibré ou pas. Il est évident qu'un enfant qui continue de faire plusieurs crises par jour est interdit de baignade. En revanche, quand l'épilepsie est bien contrôlée, les activités en piscine sont tout à fait autorisées si l'enfant est surveillé par une personne préalablement informée de l'éventualité d'une crise. Dans tous les cas, on demande aux parents de ne pas laisser l'enfant se baigner loin en mer.
Mais il ne faut pas oublier que le risque durant une baignade est certainement moins fréquent et important que celui lié aux activités de la vie quotidienne comme la douche. Un amateur de pêche à la ligne qui présente des crises avec des automatismes entraînant la chute est aussi à risque de noyade. Aux Etats-Unis, l'association des épileptologues recommande la baignade avec en permanence une personne aux côtés de l'enfant. L'attitude française est plus nuancée dans la mesure où l'épilepsie est contrôlée. »
Le protectionnisme américain
Dans un éditorial joint à l'article du « BMJ », deux pédiatres américains mettent en avant quatre points qu'il convient d'améliorer pour éviter la noyade de l'enfant. Le premier porte sur le niveau d'information et de compréhension des proches sur la maladie, ses facteurs déclenchants et ses risques potentiels. Cela concerne le médecin traitant, les parents, les professeurs et le patient lui-même. Une étude menée en Thaïlande a montré que 38 % des instituteurs n'avaient aucune idée de ce que pouvait être l'épilepsie.
Le deuxième point est l'importance de l'environnement dans la survenue de l'accident. Le petit Britannique nageait pour la première fois en eau trouble et sans la surveillance de ses parents. Pour les professeurs qui encadraient le groupe, les circonstances étaient aussi inhabituelles. Or il n'y avait eu aucune préparation au danger. L'accident est prévisible et survient chez les personnes à haut risque quand les circonstances du danger sont présentes.
La troisième remarque des Américains concerne la préparation idéale au voyage qui aurait (peut-être) évité la noyade : adaptation, voire augmentation du traitement pour éviter une crise, vérification que les personnes en charge de l'enfant éviteront de l'exposer à des facteurs déclenchants, l'utilisation d'un gilet ou d'une bouée de sauvetage.
Enfin, le quatrième point est une simple suggestion car les avis sont loin d'être unanimes : peut-on considérer que l'éducation d'un enfant de 14 ans sur les risques inhérents à son épilepsie est une stratégie de prévention ?
Samuel Forjuoh et Bernard Guyer, « BMJ » du 21 avril, pp. 940.
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