Un entretien avec les Prs Gabriel Kalifa* et Pierre-Alain Cohen**

Enfants battus : c'est souvent l'os qui parle

Publié le 17/12/2003
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Comme tous les acteurs impliqués dans la maltraitance des enfants, le radiologue doit se garder des préjugés, car aucune classe sociale ni aucun groupe ethnique ne sont épargnés, même si le risque est plus élevé dans les familles vivant dans des conditions précaires.
La finalité de l'imagerie dépend du contexte. Chez un enfant qui présente des lésions cliniques faisant suspecter une maltraitance (brûlures de cigarettes, traces de coups...), l'examen radiologique vise à confirmer le diagnostic. En l'absence de suspicion clinique, il peut en être à l'origine. Dans tous les cas, le recueil de l'histoire est capital et l'enfant est hospitalisé au moindre doute.

Des fractures suspectes

En France, l'attitude est de pratiquer une radiographie de l'ensemble du squelette chez les enfants de moins de 3 ans (moins de 2 ans selon les recommandations de l'Académie américaine de pédiatrie), en réalisant des clichés de face, les profils n'étant pas systématiques, sauf pour le rachis. Chez les plus grands, le bilan, plus sélectif, sera défini en fonction des données de l'examen clinique. Les clichés des os longs devront inclure systématiquement les articulations sus- et sous-jacentes. La suspicion de maltraitance reste une des rares indications des radiographies du crâne. La scintigraphie osseuse n'est pas systématiquement recommandée. D'accessibilité souvent limitée la nuit, elle nécessite, en outre, une sédation et donne de nombreux faux négatifs chez les enfants de moins de 3 mois et au niveau des cartilages de croissance et du crâne. Elle peut néanmoins être utile au diagnostic en cas de doute, comme examen de deuxième intention.
Certaines fractures, par leur caractère inhabituel, sont très évocatrices de maltraitance. Ainsi, la présomption est forte chez un enfant de moins de 1 an qui souffre d'une fracture diaphysaire de l'humérus ou du fémur. Les arrachements métaphysaires avec fractures en coin (observées surtout avant l'âge de 18 mois) ainsi que les fractures de côtes (en dehors de la kinésithérapie respiratoire), les fractures des extrémités (écrasements des doigts) et les appositions périostées sont, elles aussi, très suspectes. Au crâne, certaines localisations doivent attirer l'attention, en l'occurrence les fractures occipitales et frontales, en particulier celles de plus de 4 mm, les fractures stellaires et les fractures embarrure. De même, le diagnostic de sévices est très probable en cas de co-existence de fractures multiples et d'âges différents.
À l'inverse, il existe des lésions osseuses peu ou pas suspectes. C'est le cas, par exemple, des fractures de la clavicule, classiques chez l'enfant qui chute sur l'épaule, des fractures isolées de l'avant-bras à l'âge de début de la marche, des fractures « en bois vert » et des fractures pariétales. D'autres éléments peuvent orienter le diagnostic, comme la localisation à gauche des lésions (la majorité de la population est droitière) ou les fractures concomitantes du radius et du cubitus chez l'enfant plus grand qui se protège des coups en mettant un bras devant son visage.

La recherche de lésions viscérales

Le bilan radiologique osseux est complété par une échographie et un scanner à la recherche de lésions viscérales. Celles-ci touchent avec prédilection les zones cibles que sont le foie, la rate, le pancréas, les parties fixes du tube digestif (duodénum) et le cerveau. Un hématome sous-dural associé à des convulsions chez un enfant de moins de 1 an est très suspect. Enfin, le fond d'oeil met souvent en évidence des hémorragies rétiniennes chez les enfants de plus de 1 mois victimes de sévices.
Le bilan radiologique donne lieu à un compte rendu dont chaque mot doit être soigneusement pesé. Les règles de base imposent de rapporter de façon claire et fidèle (« aux dires des parents ») les circonstances dans lesquelles s'est produit le traumatisme, de signaler les éventuels accidents survenus durant l'examen et de préciser le type des examens pratiqués, avec une description précise des images (siège et type de la lésion). Les signes négatifs (absence de déminéralisation osseuse, de fractures de côtes visibles...) ont aussi leur importance et aident parfois le diagnostic différentiel. Enfin, en aucun cas la conclusion ne doit comporter les termes de « syndrome des enfants battus » ou « syndrome de Silverman ». Seule la notion de traumatisme accidentel ou non accidentel sera évoquée.

*Hôpital Saint-Vincent de Paul, Paris
** San Francisco General Hospital, Etats-Unis

Pour en savoir plus : Paul K. Kleinman. Diagnostic imaging of child abuse. 2d Edition. Mosby-year Book Inc 1998

Diagnostics différentiels

- Les fractures banales répétées chez l'enfant remuant.
- La fragilité osseuse : les fractures multiples dès l'enfance font partie des manifestations de l'ostéogénèse imparfaite. C'est un diagnostic différentiel des lésions diaphysaires.
- Les enfants atteints de troubles congénitaux de la sensibilité ont souvent des fractures multiples, mais ces lésions métaphysaires n'existent pas dans la petite enfance. Le diagnostic de ces troubles est fait par l'examen neurologique.
- Chez les bébés, les appositions physiologiques des premières semaines de vie se caractérisent par leur symétrie, leur régularité et leur finesse.
-Les collections péricérébrales chez les enfants avec hygroma ou hydrocéphalie externe.

Dr Catherine FABER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7449