«A QUINZE ANS et trois mois, on change de catégorie», regrette le Pr Henri Pujol, président de la Ligue nationale contre le cancer. Cette frontière virtuelle entre l’adolescence et l’âge adulte ignore sept millions de personnes. Elles ont de 15 à 24 ans, intéressent les banques et la grande distribution, mais «ne sont toujours pas considérées comme une population à part entière au niveau des soins». Pourtant, pas moins de 1 700 nouveaux cas de cancer sont déclarés chaque année chez ces grands enfants ou jeunes adultes qui sont soit accueillis en pédiatrie, soit orientés vers les services pour adultes.
Conséquences psychologiques.
Le Pr Franck Chauvin, cancérologue, déplore ce cloisonnement et s’inquiète de ses «conséquences psychologiques, mais aussi thérapeutiques, sur les chances de guérison». Telle est la conclusion de l’étude épidémiologique menée depuis deux ans à l’initiative de la Ligue contre le cancer avec le soutien des centres Leclerc. «En tant qu’entrepreneur, on se sent tout petit face à la recherche. Mais derrière les comptoirs, les employés ont une vie personnelle, nous sommes à leurs côtés», indique Michel-Edouard Leclerc, qui réaffirme l’engagement de son réseau d’indépendants auprès de la Ligue. La collecte organisée un jour par an dans de très nombreux magasins de l’enseigne a permis de financer intégralement ce programme de recherche intitulé « Cancers et adolescents » qui ne fait que commencer. Selon la Ligue, l’étude permet, avant tout, d’évaluer les besoins et devrait conduire à la création d’unités spécifiques. Le Pr Chauvin estime que l’expérience de l’institut Gustave-Roussy en la matière doit servir d’exemple. Pour prolonger l’initiative, la Ligue s’apprête à lancer un appel d’offres pour créer quatre autres unités spécifiquement dédiées aux adolescents qui affrontent le cancer. Le Pr Jacqueline Godet, responsable de ce programme, insiste sur la nécessaire convergence des aspects thérapeutiques, psychologiques et sociaux de la prise en charge. Cette approche globale des adolescents appelle «une indispensable coordination des professionnels sans laquelle l’identification des grandes questions thérapeutiques, psychologiques, et la mobilisation des chercheurs et des cliniciens ne peuvent avoir lieu.
«Avec 80% de taux de survie à cinq ans, on considère que les avancées thérapeutiques de ces dernières années sont significatives, mais il faut à présent progresser et améliorer le reste.» C’est précisément sur l’environnement que la Ligue va poursuivre ses efforts, annonce son président.
Grandir malade.
La maladie ne retire rien aux perturbations et aux changements qui se produisent au moment de la puberté. Dès l’annonce, il arrive que les parents poussent involontairement l’adolescent vers une régression et les relations avec les équipes soignantes demeurent très complexes, notamment dans les services d’adultes. «Les réactions de révolte ne doivent pas entraver l’adhésion aux traitements», souligne le Pr Chauvin. Il est, selon lui, crucial de poursuivre des études à long terme dans cette voie. «Il faut aussi être en mesure d’aborder des questions que les jeunes ne se sont pas encore posées», reprend-il. En particulier lorsqu’elles concernent la fertilité : «Seul un patient sur deux sait s’il pourra avoir ou non des enfants un jour.» Les équipes qui les prennent en charge ont, pour évoquer le sujet, des approches différentes, déplore-t-il, pour suggérer qu’une information standardisée se développe en ce sens.
«Moins urgent mais tout aussi important, l’insertion socioprofessionnelle est une piste de progrès», poursuit-il. Comme tous les autres, ces adolescents auront peut-être besoin d’un prêt ou envie de passer des concours dans la fonction publique. Le cancer, là aussi, sera un frein. Un accompagnement adapté permettrait de prévenir et d’adoucir les rejets de la société ou de la scolarité qui doivent demeurer de simples maux de jeunesse. «On a envie de parler, de rencontrer des jeunes comme nous et la présence des parents n’est pas toujours souhaitée», explique Elise, 28 ans, membre de Jeunes Solidarité Cancer*. Sa rencontre avec une personne de son âge en chimiothérapie a été le fruit du pur hasard, mais «elle a tout changé». Elise en a fait son combat. Briser l’isolement dans la maladie des grands ados et des jeunes adultes mérite déjà, selon elle, «une adaptation des organisations pour permettre aux jeunes de se rencontrer et simplement de grandir».
* 4, rue Corvisart, 75013 Paris, forum : www.jscforum.net.
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