DEPUIS L'AUBE DES TEMPS, les peuples se sont rassurés avec des repères qui balisaient le temps comme si c'était un espace clos. Un temps mobile, certes, mais qui, par ses retours réguliers à la case départ, restait fondamentalement empreint d'immobilité. L'homme avait découvert que le déplacement de son ombre, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, lui permettait de se repérer non seulement au cours de la journée, mais aussi au cours de l'année, à cause des variations saisonnières.
D'où la conception cyclique du temps : cycle du jour et de la nuit, cycle de la lune, cycle des saisons.
Pour les anciens, bien qu'il y eût aussi une continuité, une partie du temps semblait se renouveler. Le jour pouvait se reposer durant la nuit, la nuit faisait de même durant le jour et, finalement, c'était le même temps qui revenait régénéré avec le jour et la nuit suivants.
Les phases de la lune (pleine, mi-éclairée, obscure, ascendante, descendante) permettaient d'observer des phénomènes qui leur étaient associés. C'est sur ces corrélations qu'ont été conçus les calendriers lunaires des Babyloniens et des Chinois.
Plus tard, c'est la répétition des phénomènes climatiques sur un mode régulier (alternance de périodes de chaleur, de froid, de pluie...), qui conduisit à la découverte du temps annuel avec le retour des saisons et le calendrier solaire. Un mixage des deux, de type luni-solaire, intégra approximativement rythme solaire et lunaisons, l'année étant réglée sur le soleil et les mois sur les lunaisons. Quitte, comme le firent les premiers les Egyptiens, à ce que les mois fussent séparés des cycles lunaires pour mieux les accorder au mouvement solaire.
Les cycles de la nature.
Mais toute cette mécanique temporelle restait vouée à une sempiternelle répétition, cyclique. Dans son enfance, le temps demeurait ainsi à l'abri des conflits, des drames et des apocalypses. La transformation des choses suivait son cours immuable dans le cycle toujours renouvelé des saisons. Les fruits succédaient aux fleurs et la mort apparente de la nature dans la saison d'hiver était démentie par le bourgeonnement nouveau du printemps. Des feuilles tombaient, d'autres pousseraient à nouveau. Tout, dans le monde de la végétation, semblait destiné à renaître au gré des cycles et la mort de certaines plantes compensée par le surgissement d'autres dans les saisons à venir. Quant aux formes minérales, hors cataclysmes, leur solidité défiait l'usure tant leur érosion était imperceptible au regard de la vie humaine.
Les mythes grecs témoignent cependant que, sous l'écoulement lisse du temps sur une nature inaltérable, pouvaient jaillir l'angoisse et le sang. Fils d'Ouranos (le ciel étoilé) et de Gaia (la Terre), Chronos, le dernier des Titans, après avoir émasculé son père, s'en est pris à ses enfants, averti que l'un d'eux le tuerait un jour prochain. Il les dévora les uns après les autres. Chronos, qui avait mis en route les cycles du temps, voyant en ses descendants des rivaux et des parricides, révélait son impuissance à comprendre l'avenir, son refus d'admettre sa finitude, d'accepter l'avenir qui lui faisait peur et la mort qui l'attendait au final. En mangeant ses enfants, il chercha à s'approprier le temps, à pérenniser le système cyclique qu'il avait instauré.
Toutes les civilisations se sont forgé des mythes de la création du monde, l'événement initial, qui peut être inscrit dans le temps, qui s'inscrit dans un processus temporel. Mais c'est avec la religion juive que, à ces temps protologiques du passé, vient s'ajouter dans l'avenir un événement final, un temps eschatologique. Entre les deux, l'initial et le final, c'est donc un cheminement historique que vivent les générations, avec ses grands événements exodaux, orienté vers l'éternité. Fini le temps qui tourne en boucle, place au temps linéaire. L'histoire naît.
La fièvre historique.
Ainsi s'est profilée dès l'horizon biblique l'aurore de notre modernité : avec le temps historique, c'est l'avènement du temps de l'aventure, de la guerre, du heurt avec les mondes étrangers. Jusqu'à l'avènement, en science, en philosophie et en politique, du concept de progrès. Successivement idéaliste, positiviste et matérialiste, la fièvre historique s'est emparée du temps et des hommes.
Le siècle dernier s'est cependant achevé dans un désenchantement général face aux sirènes des lendemains qui chantent, qu'ils soient politiques ou scientifiques. Accablé de passé, un passé dont elle perd la mémoire, sceptique quant à son avenir, incapable de s'y projeter, la postmodernité, comme disent les philosophes et les anthropologues, a maintenant tendance à se cramponner au temps présent. Un vertige de l'immédiat gagne les esprits, pour ne pas dire une idéologie ou une idolâtrie de l'instant. Et avec Internet, l'accélération de la vitesse des moyens mondiaux de communication a inventé un nouveau temps : le « temps réel ». Une invention paradoxale : ce temps intitulé réel ne marque-t-il pas l'avènement du virtuel, qui ne tourne plus en boucle, qui ne se dirige plus vers un point final, moins réel que jamais ?
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