LES FACTEURS professionnels sont la deuxième cause de cancer de la vessie après le tabagisme. En France, le nombre de cas est de l’ordre de 600 à 1 100 par an, selon une étude de l’InVS (Institut de veille sanitaire). L’Inrs a créé en janvier 2005 les PTI (projets transversaux institutionnels) « Cancers professionnels » pour prévenir ces pathologies dans les sphères du travail. Avec comme viatique la sensibilisation et la formation des salariés.
Si le cancer de la vessie n’est pas en augmentation dans l’ensemble des pays industrialisés – le nombre de cas stagne à 25 pour 100 000 par an –, il occupe toujours le cinquième rang des cancers les plus fréquents chez l’homme, fauchant 6,1 individus pour 100 000 chaque année. «Ce qui n’est pas négligeable, souligne Françoise Conso, professeur à Paris-V - Cochin. Pris suffisamment tôt, le cancer de l’urothélium se guérit parfaitement, même si les tumeurs récidivent.»
Une situation toujours préoccupante.
En vingt ans, la situation générale s’est tout de même considérablement améliorée. Les grands secteurs industriels, notamment le caoutchouc, la métallurgie, le BTP et les colorants, ont abandonné l’usage de produits dangereux avérés, contenant des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) et des amines aromatiques, «les deux grandes familles à l’origine du cancer de la vessie». Une victoire entérinée par le décret européen sur les substances CMR de 1989, qui interdit la production et l’utilisation des trois amines aromatiques.
Pour autant, il ne faut pas relâcher la vigilance. Des produits toxiques comme la Moca (méthylène-bis-orthochloroaniline) sont encore utilisés dans cinq usines françaises, directement en contact avec trente, voire quarante, ouvriers sur les chaînes de production. La prévention se joue donc aujourd’hui en amont par une surveillance biologique des produits, pour être sûr que l’on troque la Moca pour l’Ecature ou les dérivés du charbon par ceux du pétrole, sans risques.
«La situation est très ambiguë. Certaines entreprises n’ont pas fait de substitution mais ont rendu invisible l’usage de produits prohibés», explique Michel Héry, chargé de mission à la direction scientifique de l’Inrs et chef du projet « Cancers professionnels ». Une opération réalisée dans la grande distribution de vêtements a montré des taux en benzidine, un produit hautement cancérogène prohibé en Europe, cinquante fois supérieurs au seuil autorisé. «Le risque a été délocalisé en Asie du Sud-Est», affirme Françoise Conso. Si elle réprouve le dépassement des normes, elle se garde d’en conclure que les personnes qui porteront ces vêtements présenteront plus tard un cancer de la vessie, même si elle invoque le principe de précaution.
La prévention aujourd’hui.
Le cancer de la vessie ne fait pas exception aux pathologies cancéreuses : il se déclare dix ou quinze ans après l’exposition professionnelle. D’où la difficulté de mesurer les progrès préventifs. «On travaille, en théorie, sur des effectifs assez anciens. A côté de cas évalués, ceux qui sont reconnus sont assez faibles. Selon le système Hippocrate, sur soixante-dix déclarations en 2005, quarante-huit ont été reconnues», précise Françoise Conso.
Un manque à gagner qui n’empêche pas la finesse des résultats en France. «On a fait le ménage dans les grands secteurs comme les colorants ou le caoutchouc, dit la spécialiste. On en est à traquer les postes résiduels, là où il y a des expositions intermittentes.» Des organismes comme le service d’hygiène industrielle et de pathologies professionnelles de la Cramif (caisse régionale d’assurance-maladie d’Ile-de-France) et ses antennes passent au crible les maladies professionnelles dues au risque chimique et définissent des panels d’entreprises à visiter localement pour y promouvoir un dispositif global de prévention. On a réussi à identifier les postes où l’exposition cumulée entraîne un risque de cancer de la vessie. «On ne peut définir précisément une période d’incubation mais dire quand il y a surdose», nuance Françoise Conso.
La généralisation de la sous-traitance et de l’intérim ont malheureusement rendu le parcours des travailleurs beaucoup plus opaque et endormi la veille sanitaire. C’est pour éviter les abus et les indécisions que la Mutuelle familiale a lancé le Mémo pro santé, un carnet de bord de la vie professionnelle de chaque travailleur. Car malgré le protocole de surveillance postprofessionnelle (1993) et l’obligation des employeurs de remettre une attestation d’exposition à un produit cancérogène, l’évaluation des risques en entreprise reste une gageure pour les médecins du travail et les Chsct (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).
Le colloque organisé les 15 et 16 mars à Paris* analysera donc les expositions actuelles aux agents cancérogènes pour la vessie et fera le point sur les techniques permettant d’assurer le suivi médical des travailleurs. D’ici là, la réactualisation du tableau 16 bis de réparation des maladies professionnelles sera peut-être finie. Pour crier à nouveau victoire.
* Colloque « Pour en finir avec le cancer de la vessie en milieu professionnel » : www.inrs.fr, tél. 01.40.44.30.00, journeescancervessie@inrs.fr.
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