En matière de contagiosité, les données disponibles montrent peu de différence entre grippe A et grippe saisonnière, contrairement à ce qui avait pu être avancé initialement. Le taux de reproduction (nombre moyen de cas secondaires générés par une personne infectée) observé avec le A (H1N1)v au Mexique semble en effet comparable à celui de la grippe saisonnière, soit légèrement inférieur à 2. De même, l’intervalle de génération entre 2 sujets (temps moyen qui sépare l’infection d'une personne de celle de ses contacts directs dans une chaîne de transmission), proche de 3 jours pour la grippe A, diffère peu de celui de la grippe classique. Dans ce contexte, « les mesures d’atténuation sont à même d’être efficaces, si elles sont utilisées à bon escient et de façon collective » souligne le Pr Flahault.
Quoi qu’il en soit, la proportion de la population qui pourrait être atteinte en France reste difficile à prévoir. Dans l’hémisphère Sud, le taux d’attaque clinique de la maladie (proportion de personnes touchées par la maladie parmi les personnes susceptibles de la contracter) a été relativement faible, de l’ordre de 15%, conformément à ce que laissait entendre le modèle mathématique dit « de la demi-vague ». Ce dernier prévoit pour les régions australes un déploiement de l’épidémie en 2 phases hivernales modérées en 2009 puis 2010. Ce scénario pourrait se répéter sous nos latitudes, mais certains modèles de prévision envisagent plutôt une vague unique plus importante, s’étalant sur trois à quatre mois avec un taux d’attaque avoisinant les 20 à 30% de la population. Qu’en sera-t-il réellement ? Pour l’heure, « personne ne peut répondre à cette question pourtant majeure en termes de santé publique ».
Virulence : la grande inconnue
Classiquement, on distingue : la mortalité par pneumopathie virale et syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) ; celle liée aux surinfections bactériennes ; et la mortalité dite en excès qui correspond à la surmortalité observée au moment de l’épidémie grippale, mais sans aucun lien direct établi entre la grippe et le décès. Pour la grippe A, il n’existe pour le moment aucune donnée sur ce paramètre, ce qui rend impossible toute estimation globale de la virulence du H1N1. En revanche, on sait d’ores et déjà que la mortalité directe de la grippe A est bien plus élevée que celle de la grippe saisonnière : le risque de décès par SDRA, quasiment inexistant avec le virus saisonnier, serait de l’ordre de 1/10 000 pour le H1N1, d’après les données issues des îles du pacifique sud et de New York. Concernant les surinfections bactériennes, une étude récente des Centers for Disease Control and Prevention (MMWR, édition en ligne du 29 septembre, vol.58) retrouve la présence pulmonaire de bactéries pathogènes dans 30% des décès liés au H1N1, avec 15% de pneumocoques. « La surinfection par le pneumocoque, jusqu’ici au second plan dans la grippe A, revient sur le devant de la scène » commente le Pr Flahault. « C’est dire à quel point les choses sont mouvantes et encore très incertaines ».
Facteurs de gravité : inhabituels
Incertaine aussi, la protection des personnes âgées vis à vis du H1N1. S’il existe très probablement, passé un certain âge, une immunité résiduelle par anticorps, le parallélisme entre protection biologique et protection clinique n’est pas établi. « Il n’est donc absolument pas certain que cette pandémie n’atteindra que les jeunes ; il serait extrêmement hâtif de conclure au risque exclusif de décès chez les jeunes sur la simple observation des données rapportées jusqu’ici ». Outre le jeune âge, d’autres facteurs de risque de gravité ont été identifiés : les pathologies chroniques sous-jacentes (asthme, diabète, pathologie cardiovasculaire, etc.), mais aussi, de façon moins classique, la grossesse ou l’obésité. Dans ce dernier cas, « il s’agit surtout d’obésité morbide (IMC›30) et cela reste à confirmer ». Enfin, dans près de 40% des cas, le SDRA survient sans aucun facteur de risque identifié.
Vaccination : un intérêt individuel plus que collectif ?
Le rapport bénéfice/risque de la vaccination anti-H1N1 suscite de nombreuses interrogations notamment parmi les professionnels de santé. L’objectif de santé public est de vacciner 75% d’entre eux « mais cet objectif ne repose pas aujourd’hui sur un niveau de preuve extraordinaire ». De fait, seulement 4 essais randomisés, dont un publié récemment par une équipe française, ont mis en évidence l’intérêt « altruiste » de la vaccination des personnels de santé contre la grippe. Ces essais concernent tous des maisons de retraite ou des unités de long-séjour, alors qu’aucun ne porte sur les médecins et infirmières libéraux, ni sur des personnels de santé d’hôpitaux généraux. Ils montrent une petite diminution de la mortalité chez les pensionnaires des maisons de retraite où les personnels ont été vaccinés. Ainsi, « même s’il on a l’impression que la vaccination des personnels soignants au contact de patients peut être tout à fait utile, il faudrait que cela repose sur un niveau de preuve supérieur ». En revanche, pour les professionnels de santé comme pour le reste de la population, « il y a un véritable intérêt à la vaccination en termes de rapport bénéfice/risque individuel. Si l’on retient l’idée que la vaccination antigrippale est associée à un risque de Guillain Barré de 1/1 million, voire de 1/100 000, on est très loin du bénéfice d’une vaccination qui protégerait contre un risque de SDRA de 1/10 000 ». Enfin, « le risque vaccinal ne fait pas consensus, y compris pour le Guillain Barré ».
Antiviraux : la prophylaxie post-exposition en question
La prophylaxie post-exposition par antiviraux pose aussi question. Cette stratégie, qui consiste à traiter de façon préventive l’ensemble de la famille d’un sujet infecté, a démontré son efficacité dans plusieurs études. Mais elle pourrait aussi être à l’origine de mutation du virus. Environ 30% des personnes du foyer traitées de façon prophylactique sont en fait déjà atteintes. « On utilise donc à l’aveugle de façon curative un antiviral, alors qu’il est prescrit avec des posologies préventives ; c’est là que tous les risques de résistance peuvent arriver ».
La grippe A suscite toujours de nombreuses interrogations alors que les connaissances dans ce domaine ne cessent d’évoluer. Mais contrairement aux crises sanitaires du passé (Chikungunya ou SRAS), elle a été largement anticipée, ce dont on ne peut que se réjouir, conclut le Pr Flahault.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature