Plus de six millions : c'est le nombre de personnes exclues ou en situation de grande précarité, avancé par l'organisation humanitaire Médecins du Monde (MDM), dans son « baromètre » de l'accès aux soins, un recueil des tendances observées dans ses centres de soins et publié à l'occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, célébrée hier.
L'an dernier, 34 771 patients ont fréquenté les 32 centres d'accueil, de soins et d'orientation de MDM. Cela reflète une baisse de 20 % du nombre de consultations par rapport à 1999, baisse que MDM lie à la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU). Peut mieux faire, rétorque néanmoins l'association humanitaire qui n'admet pas que 30 000 personnes n'aient toujours pas accès au système de soins classique. « La loi sur la CMU montre au bout d'un an et demi ses insuffisances et ses limites », lit-on dans le rapport. Ou encore : « La CMU ne fonctionne pas comme il faudrait. Son accès reste discriminatoire et complexe. (...) Il est nécessaire de changer la loi. »
85 % d'étrangers
La diminution du nombre des consultations a conduit certains centres, de taille moyenne, à mettre la clé sous la porte. Il s'agit des centres de Metz, Saintes, Montauban, La Rochelle, Niort et Angoulême. Néanmoins, le ralentissement de l'activité des centres sur l'ensemble du territoire est très relatif. Dans les grands centres urbains, la baisse d'activité reste très modérée. Pourquoi ? Parce que Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux, etc. accueillent un public majoritairement étranger et que la proportion de patients étrangers fréquentant les centres de soins est en augmentation constante. Au premier semestre 2001, les étrangers représentent 85 % des patients contre 78 % en 2000 et 71 % en 1999. « Ces chiffres posent véritablement question quant à l'état de l'accès aux soins pour les étrangers en France », note MDM. Ces étrangers viennent en majorité du Maghreb (32 %) et d'Afrique subsaharienne (27 %). Phénomène nouveau, au premier semestre de l'année 2001, les Algériens représentent à eux seuls 25 % de l'ensemble des patients.
Baisse du nombre des consultations, mais augmentation de la population étrangère (généralement demandeurs du droit d'asile ou débouté de ce droit) : le travail devient « plus difficile » pour les équipes de MDM.
Mieux informer sur la CMU
Inscrite en tête des réclamations de l'association relatives à la CMU, « la mise en place d'une information sur les droits à la couverture maladie adaptée aux plus précaires » apparaît « nécessaire ». Selon le rapport, au cours du premier semestre 2001, sept patients sur dix n'ont aucun droit ouvert à la protection sociale, lors de leur premier passage à MDM et 31 % déclarent ne pas connaître leurs droits. L'organisation humanitaire se montre très critique à l'égard des PASS (permanence d'accès aux soins de santé) créées par la loi sur l'exclusion, qui devaient offrir partout en France un accès aux soins, au moins à l'hôpital, pour les personnes dont les droits n'étaient pas encore ouverts. « Toutes les villes n'en sont pas pourvues (Angoulême, Epinal, Montpellier, Pau, Ajaccio). Les PASS existantes sont souvent peu et mal signalées, et dans près de 50 % des villes où MDM est implanté, la PASS n'offre pas de consultation de médecine générale. De même, 60 % ne proposent pas de consultations dentaires. »
Bien qu'imparfaite selon l'association, la CMU demeure plus accessible aux gens en situation de grande précarité que l'AMER (aide médicale d'Etat rénovée), réservée aux seuls étrangers en situation irrégulière résidant sur le territoire. En 2001, les personnes concernées par la CMU ont huit fois plus souvent des droits ouverts que les personnes relevant de l'AMER. « Pour être effective, la loi doit être simplifiée, écrit MDM. Nous demandons une couverture maladie véritablement universelle, la même pour toutes les personnes résidant sur le territoire. Cela implique la suppression du double système mis en place. La maladie se joue des statuts administratifs. » L'association demande enfin que le seuil d'accès à la CMU, actuellement fixé à 3 600 F, soit relevé à 4 000 F afin d'inclure les bénéficiaires de l'allocation adulte handicapée et du minimum vieillesse et de se rapprocher du seuil de pauvreté calculé selon les normes européennes.
Pathologies banales et dépendances
Le public reçu dans les centres reste jeune : 19 % ont entre 16 et 25 ans. Trois patients sur quatre ont moins de 41 ans. Le public est majoritairement masculin (59 %). Les patients dans l'ensemble sont marqués par la précarité : logement précaire ou inexistant (63 %), dont 16 % sans domicile, isolement affectif (43 % vivent seul), absence quasi constante d'un emploi déclaré.
Il n'y a pas de pathologie de la pauvreté. Les pathologies rencontrées sont souvent banales : affections ORL (12,5 %) et atteintes dermatologiques (10,1 %) arrivent en tête des diagnostics. En outre, les souffrances psychiques et les pathologies psychiatriques représentent 10 % des consultations. Les conduites addictives sont fréquentes. Parmi les patients fréquentant les centres de MDM, 12 % se déclarent dépendants et abuser de l'alcool, 28 %, du tabac. Plus les étrangers sont en France depuis longtemps, plus leur consommation de tabac et d'alcool semble augmenter. Les soins dentaires sont nécessaires une fois sur cinq et le port de lunettes, une fois sur dix.
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