T OUS deux ont moins de 30 ans lorsqu'ils décident d'entreprendre, en 1999, un périple qui les mènera, pendant six mois, des alpages perchés du Kazakhstan jusqu'aux rivages asséchés de la mer d'Aral. Priscilla Telmon, 23 ans, et Sylvain Tesson, 27 ans (qui a déjà accompli plusieurs grandes randonnées à pied, à travers l'Asie), ont suivi l'un des études d'ethnomédecine et l'autre de géographie et sont déjà aguerris au rythme des expéditions.
Ils partent avec l'idée de parcourir les traces des explorateurs qui se sont succédé dans la région depuis le XIVe siècle, de Marco Polo à Ella Maillart, entre ce qui reste de la vie nomade des grandes steppes et ce qui s'est transformé sous le joug soviétique. A cheval, avec Ouroz, Boris et Bucéphale, ils parcourent 3 000 kilomètres. « L'histoire de l'Asie s'est écrite à cheval, raconte la jeune femme. Nous aurions commis une imposture si nous n'avions pas fait le voyage ainsi. Nous formions une caravane en marche. » Les deux jeunes gens se font palefrenier et maréchal-ferrant sans trop de difficultés.
Ce ne sont pas tant les obstacles naturels qui les font buter (tempêtes, aridité, froid) que les milices et polices des régions frontalières, parfois violentes. De temps en temps, quelques haltes s'imposent. « Visite à l'hôpital pour Sylvain, frappé de dysenterie. Il est instantanément et violemment guéri par les miracles du clystère intime, encore utilisé en ces latitudes, sous le nom de klysma, dans la plus parfaite tradition de la tuyauterie sous pression du XIXe siècle. Il ressort de la séance, soutenu par deux infirmières russes qui rient de toutes leurs dents en or de sa stupeur. » Infirmières aux ongles démesurées, chambres vaguement propres, l'ambiance est celle des hôpitaux de guerre, commente Sylvain Tesson. Les postes de santé sont en majorité tenus par les Russes, sur les terres du Kazakhstan. « Nous avons toujours pris nos propres seringues, reprend-il. Là-bas, la plupart sont réutilisées. »
La thérapie alcool
Priscilla Telmon fait également l'expérience de la médecine russe, lorsque, atteinte d'une maladie parasitaire (lambliase), elle met le pied, « avec l'innocente intention de (se) soigner », dans la polyclinique d'Osh. « Cour des miracles. Dernier salon où l'on vit. Vision de morgue. Pavillon des cancéreux. Quelques médecins coiffés de toques blanches vouent leur vie à repousser le flot grossissant de candidats à la guérison qui n'ont aucune chance de recevoir de soins de leur vivant. A peine Priscilla a-t-elle franchi le premier couloir encombré de mourants qu'une infirmière la pousse dans le bureau d'un médecin-chef, au mépris de la file d'attente, sans que personne, n'ait la force de protester.
- C'est l'appendicite ! déclare le médecin après une auscultation sans doute un peu trop rapide. »
Face à cette médecine, les habitants de ces régions choisissent généralement de recourir au remède vodka, plus efficace à court terme.
« Souvent, la bouteille sort d'un coffre et les verres sont disposés sur la table, par enchantement. Des verres beaucoup trop grands.
- Un petit peu ? nous propose-t-on, l'il allumé.
Ce qui veut dire un demi-litre. L'alcool à 45 °C arrache tout sur son passage. Désherbant du corps. Il faut boire et reboire à la santé des chevaux, de la famille, du dernier-né, à la santé de tout et à la ruine de la sienne, par-dessus chaque gorgée ». La bouteille est finie dans les cinq minutes. C'est une mauvaise vodka russe rehaussée de khumus kirgize, du lait de jument fermenté, ou coupée avec du kérosène. On boit plus de vodka que d'eau et les bouteilles d'alcool ont des goulots qui ne se ferment pas, comme celles qu'utilisent les cyclistes. Regardé à l'Ouest comme un folklore amusant, il s'agit plutôt d'un « suicide collectif par hara-kiri éthylique. Et glou et glou. La vodka coule dans les gosiers de l'Est. L'espérance de vie est tombée en dessous de soixante ans pour les hommes ».
Les hautes montagnes du Kirghizistan font place aux vallées sèches du Tadjikistan, aux oasis de Samarcande et de Boukhara, aux déserts d'Ouzbékistan, et aux marais de Karakalpakie. Six mois de découvertes et de rencontres. Le voyage touche à sa fin, il faut laisser les chevaux. La caravane s'évanouit mais les photographies et le carnet de bord restent, bien vivants.
* Editions Robert Laffont, coll. « L'aventure continue », 250 pages, 129 F (19,67 euros).
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