LE BIZUTAGE a-t-il déserté toutes les facultés de médecine ? Il ne serait plus qu'un vague souvenir à en croire l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). «Le bizutage a été remplacé par des journées d'intégration à destination des étudiants de première année, explique Chloé Moulin, vice-présidente de l'Anemf. Dans certaines facultés, un spectacle est organisé dans les amphis par les étudiants de deuxième année.» Le bizutage à l'ancienne et ses excès ont semble-t-il disparu. Aujourd'hui, les week-ends d'intégration sont réservés aux étudiants de deuxième année qui disposent d'un parrain de Dcem1 (3e année). Ce sont les corporations étudiantes, dont la responsabilité est engagée, qui en assurent l'organisation . «Il s'agit en général de petites animations, d'activités sportives. Des facs proposent des sorties de type accrobranche ou canoë. Il n'y a aucune obligation de participation de l'étudiant», poursuit Chloé Moulin.
L'objectif de ces journées d'intégration est de créer un esprit d'équipe entre les membres d'une même promotion. «Les trucs humiliants, et même l'obligation de participer au bizutage, tout cela n'existe plus, commente un étudiant de 6e année. Les sanctions sont très dissuasiveset le programme de la période d'intégration est minuté et tamponné par le doyen de la fac, alors…» «L'université est très attentive au déroulement des week-ends d'intégration car elle participe souvent en partie à son financement, confirme le Pr Bernard Charpentier, président de Paris-XI et de la conférence des doyens. S'il y a avait le moindre problème, l'université n'y mettrait pas un kopeck!»
«Ce n'est pas seulement la peur du gendarme qui a permis de mettre fin au bizutage, poursuit le Pr Charpentier. L'esprit de corps est moins fort que par le passé. La notion de caste ou de confrérie n'a pas résisté à l'évolution du monde moderne. Les plus vieux n'aident plus beaucoup les jeunes à démarrer leur activité.»
« Ceux qui refusaient étaient blacklistés ».
Le bizutage en médecine aurait donc vécu. Brimades, vexations et parfois sévices d'ordre sexuel ont pourtant été la règle dans les facultés. Secrets de polichinelle, les bizutages étaient tolérés par la plupart des doyens, jusqu'à ce que Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l'Enseignement scolaire, ne fasse campagne pour «éradiquer ces pratiques d'un autre âge» après plusieurs accidents dramatiques. Des carabins ont accepté de se confier. «J'ai dû me déshabiller en public, raconte Vanessa sur un forum de discussion . Tous mes vêtements y sont passés, même ma culotte et mon soutien-gorge. C'était humiliant de se retrouver en tenue d'Eve devant tout ce monde, même si à l'époque c'était très courant dans beaucoup d'écoles.» Salomé se souvient parfaitement de sa journée de bizutage. C'était à Angers, en septembre 1996 : «Tous les étudiants de première année, hormis les redoublants, devaient se prêter intégralement aux jeux de leurs parrains de deuxième année, explique la jeune femme. S'ils refusaient, ils étaient blacklistés. C'était pour eux comme signer leur arrêt de mort.» Cette année-là, dix étudiants ont bravé les anciens. «Ils ont été mis à l'écart, se souvient Salomé. Ils se sont fait harceler toute l'année, se sont fait voler leurs cours.» Salomé se rappelle les moindres détails de son bizutage, qui a duré plusieurs jours. «Nous devions vendre des feuilles de papier toilette dans le centre-ville, nous déguiser, éviter que l'on ne nous jette de la farine, des oeufs ou de la mousse à raser, confie-t-elle. Pour éviter que l'on ne se sauve, nous devions enlever une de nos chaussures que nous laissions dans l'amphi.» L'ancienne étudiante en médecine avoue pourtant avoir été épargnée lors de ce bizutage : «Cinq garçons et cinq filles ont été choisis au hasard dans l'amphi. Ils ont dû se mettre nus et mimer des actes sexuels. Les gagnants étaient récompensés par une ola de l'amphi. J'avais 17ans, j'étais terrorisée. En y repensant, j'en ai encore une boule au ventre. Et ce bizutage était déjà édulcoré pour l'époque.»
A l'Ecole de santé des armées de Lyon : démission de bizuts
«Nous avons interdit toute sorte de bizutage cette année. C'est tolérance zéro. Je l'ai écrit», déclare avec force le Dr Francis Huet, commandant en second de l'Ecole du service de santé des armées de Lyon-Bron depuis moins d'un an.
L'établissement forme principalement des médecins, mais aussi des pharmaciens et des chirurgiens-dentistes. «Maintenant, les étudiants sont des individus libres. S'ils vont en ville, ils ont des activités en dehors de l'école que je ne maîtrise pas», ajoute le médecin-chef.
La rentrée a eu lieu le 20 août. Les nouveaux étaient en stage initial, «à l'abri des anciens», et ils ne bénéficiaient pas de droit de sortie.
A SOS Bizutage, Jean-Claude Delarue a reçu le 3 septembre l'appel du père d'une étudiante de l'école de Lyon-Bron selon lequel sa fille et deux de ses camarades venaient de «démissionner au bout de 2jours de bizutage» et allaient s'inscrire en faculté de médecine.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature