Même en l'absence de relais en France, alors qu'aux Etats-Unis plusieurs dizaines de personnes ont été contaminées par la maladie du charbon, les bioterroristes, quels qu'ils soient, ont réussi à semer le trouble. Bernard Kouchner a dû une nouvelle fois, lundi, lancer un appel au calme et à la raison : « Il n'y a toujours pas un seul cas de maladie du charbon en France, aucune atteinte terroriste particulière, aucune souffrance de notre population », a-t-il martelé au cours d'un point de presse.
C'est que les alertes mettent les secours, les services de santé et la police à rude épreuve. On en a recensé plus de 10 000 la semaine dernière, a indiqué le ministre délégué à la Santé, avec un pic de 360 le jeudi 18 octobre. Les sanctions judiciaires qui sont rapidement tombées ont heureusement refroidi un peu les ardeurs des mauvais plaisants : le nombre des alertes est tombé à 222 puis 173 et 31 respectivement les jours suivants. Lundi, la présidence de la République elle-même a été victime d'une alerte et plusieurs gardes républicains ont été mis en observation après la découverte d'un courrier suspect. Pour Bernard Kouchner, les auteurs de lettres suspectes sont des « alliés directs » des terroristes.
« Les urgentistes et les pompiers sont épuisés par ces fausses alertes à la poudre », a souligné l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF), en résumant le sentiment général des secouristes. « Les secours sont prêts en cas d'attentat et le plan du gouvernement est opérationnel, dit l'AMUHF ; mais si nos concitoyens ne font pas preuve de responsabilité et de citoyenneté, nous risquons de ne plus nous mobiliser à bon escient. »
Quoi qu'il en soit, une nouvelle mesure a été décidée face aux menaces bioterroristes : à titre préventif, la chloration de l'eau a été augmentée pour prévenir les contaminations bactériennes, notamment par la toxine botulique.
Une FMC spécifique
La Semaine médicale lorraine a été pour 600 médecins de la région l'occasion de rafraîchir et de compléter leurs connaissances théoriques sur le bioterrorisme.
Le bioterrorisme ne date pas d'hier. Après l'utilisation des gaz toxiques en 1914-1918, la Conférence de Genève (1925) prohibe les armes chimiques, puis, en 1972, une convention internationale interrompt toute recherche concernant les armes biologiques, interdisant au passage leur utilisation militaire.
Convention que l'Union soviétique s'est empressée de ne pas respecter. En 1994, la secte Aum rappelle au monde l'existence du gaz sarin (8 morts et 1 038 blessés dans l'attaque du métro de Tokyo). Aux Etats-Unis, depuis 1996, les alertes bioterroristes sont prises très au sérieux par le FBI. Leur nombre est passé de 50 par an à 250 pour le seul premier trimestre 1999.
Sur le plan opérationnel, plusieurs scénarii se partagent la faveur des stratèges, la première difficulté étant d'identifier l'agent pathogène. La réponse médicale, qu'elle se fasse en phase de préexposition, en période d'incubation ou en phase d'état, repose sur les moyens classiques : traitement prophylactique, vaccination, diagnostic et traitements curatifs... Les problèmes posés sont surtout d'ordre logistique. La production, la distribution et l'administration de très grandes quantités de doses d'antibiotiques ou de vaccins n'est pas chose facile et demande une organisation toute particulière pour laquelle le système de santé n'est pas prévu.
La variole, le charbon, la peste, la tularémie, les virus Ebola et autres fièvres hémorragiques africaines, la toxinine botulinique (voir la série du « Quotidien » du 16 au 22 octobre figurent sur les listes possibles des adeptes de Ben Laden. Du point de vue du terroriste, la substance idéale est celle qui est facile à fabriquer, qui peut se diffuser facilement à une grande quantité de personnes (en aérosol, par exemple dans un stade, un centre commercial...), d'incubation rapide, très pathogène et sans traitement. La menace doit être prise au sérieux, car monter un laboratoire demande de faibles moyens et des connaissances en biologie limitées. D'autant que l'on trouve sur Internet rapports d'experts et manuels de fabrication artisanale. Sur le tableau ci-dessous, sont schématisés les propriétés des principaux agents pathogènes possibles.
Des millions de morts dans certaines simulations
Entre exercices et simulations, quelques données sont connues ou extrapolées de ce que pourrait être une attaque bioterroriste. Les Etats-Unis ont simulé les conséquences d'une contamination de variole par aérosol dans trois centres commerciaux. Deux mois après la contamination, il y aurait 3 millions de cas et un million de décès.
Les Américains disposent d'un vaccin (Dryvax), et disent en posséder 15 millions de doses. Mais pour prémunir la population, il en faudrait 60 millions. Les produire prendrait neuf mois, selon Aventis-Pasteur. La vaccination contre la variole est certes efficace, mais mal tolérée, et non durable dans le temps. De plus, la vaccination de masse entraînerait 350 décès pour 20 millions de vaccinés.
Qui devrait-on vacciner ? En tout état de cause, l'entourage proche, en contact direct. Famille, amis, équipe soignante, ambulanciers qui auraient été en contact pendant la durée d'incubation. Avec le délai de diagnostic (durant lequel la contamination continue) et le fait que chaque personne en contamine au moins 30, on arrive vite au chiffre d'un million de personnes à vacciner pour une seule contaminée. La destruction par les Etats-Unis de leur dernière souche de variole, prévue en 2002, n'est plus à l'ordre du jour.
Quelques cas humains de maladie du charbon sont documentés. La forme végétale de l'agent responsable (appelée bactéricidie) peut donner en une soixantaine de jours une spore très résistante présente dans la nature. C'est en inhalant ces spores que des ouvriers de terrassement ont contracté la maladie et en sont morts. Dans le cas des agriculteurs contaminés, la facilité du diagnostic entraîne un traitement rapide, qui évite l'issue fatale.
Dans les lettres piégées, la poudre n'est pas un aérosol, mais les terroristes utilisent des enveloppes ou paquets bardés de scotch. Au moment où l'enveloppe se déchire, vu la violence du geste nécessaire, la poudre se répand dans l'atmosphère et l'aérosol se crée. On a calculé que la dispersion de 50 kg de spores dans une métropole aurait les mêmes conséquences que la bombe d'Hiroshima.
En 1999, les Etats-Unis ont fait un exercice de contamination par spores au cours d'un match : selon les calculs, il y aurait 74 000 personnes exposées, 16 000 infectés, 4 000 décès et 250 000 à traiter par antibiotiques.
Une autre simulation datant de 1966, dans le métro, montrait qu'en quelques minutes (compte tenu des turbulences occasionnées par le mouvement des rames) l'ensemble de la ligne serait infecté, exposant 12 000 personnes.
Pour la toxine botulinique, c'est plus catastrophique encore. La DL 50 est de 0,001 μg/kg, c'est-à-dire qu'elle tue 50 % des animaux auxquels on l'injecte. 1 kg de toxine dans 1 000 m3 d'eau entraînerait donc 10 millions de décès.
Décontamination classique et antibiotiques
La décontamination méthodique et le traitement par antibiotiques restent les seules armes efficaces pour un grand nombre d'agents infectieux. Le plan Biotox prévoit un protocole précis. Dans tous les cas d'alerte (enveloppe), le SAMU, les pompiers et la police sont alertés. Après leur identification, les sujets-contacts sont conditionnés pour un transport vers une zone de décontamination. Il revêtent donc masque, grand chapeau, surblouse, surbottes et gants. Arrivés sur la zone, ils se déshabillent et se douchent (eau, savon, Dakin). Un écouvillonnage nasal est pratiqué. Ils rentrent chez eux, les habits dans un sac plastique. A + 48 heures, selon le résultat des analyses, ils sont soit traités (fluoroquinolones pour le charbon), soit totalement rassurés et peuvent reprendre leur activité. Les vêtements, les salles exposées sont mis en quarantaine en attendant les résultats. Les centres de référence Biotox (Nancy et Strasbourg dans l'Est) ont organisé leurs propres structures que Nancy a déjà testées lors de fausses alertes. Mais pour une fausse alerte à Verdun, inutile de faire le trajet jusqu'à Nancy. Le protocole est appliqué sur place.
D'après une conférence des Prs Ch. Rabaud et P. Canton et des Drs Bevilacqua et Schumacher, Journées d'actualités en antibiothérapie.
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Agent ou maladieVarioleAnthraxPesteTularémieEbola & fièvres hém. Afr.Botulisme
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AccessibilitéDifficileFacileFacile : foyers en AfriqueFacileDifficile et coûteux
(facilité de produire l'agent)2 souches sont conservéesLes souches sont simples à Culture facile, nombreux labos
au mondetrouver (foyers de charbon animal)
Relève du terrorisme d'Etat
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DiffusionAérosolAérosolDifficile, par aérosolAérosolAérosol,Dans l'eau
Il faut de 500 à 2 500 spores pour -> La stabilité de l'aérosol 15 à 50 μg possible expérimentalementToxine très puissante
une contamination pulmonairene dépasse pas 1 hsont infectants
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Potentiel épidémiqueTrès élevéQuasi nulTrès élevéFaibleFaible à élevé selon Très élevé
Une source atteinte contamine 30 pers.Taux d'attaque : virus en cause
infecté/exposé = 25 à 50 %
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Durée d'incubation12 jours1 à 6 jours, et jusqu'à 43 joursQuelques heures à qq jours1 à 14 jours2 à 21 jours18 à 36 h
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Etat de protection < 2 % de la pop. est vaccinéeAucuneL'URSS a développé dansAucuneAucuneAucune
de la population0% des moins de 20 ansles années 70/80 une souche
résistante aux antibiotiques
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Mortalité probable 20 à 30 %Traitement : fluoroquinoloneSans traitement : 100 %Traitement :Mortalité d'Ebola : proche de 80 %Mortelle sans traitement
TraitementsAvec traitement précoce : 20 % fluoroquinolonePas de traitements sauf
dans quelques cas
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