QUAND DEUX CONCUBINS décident d’acheter ensemble un bien immobilier, doivent-il constituer une SCI ? Répondre à cette question souvent posée revient à rechercher si oui ou non la société civile immobilière (SCI) présente des avantages par rapport à l’indivision, autre solution que l’on peut envisager. Contrairement aux voeux des notaires, cette question se posera encore après le 1er janvier 2007, puisque la loi sur les successions et les libéralités de juin 2006 n’a pas modifié l’ancienne règle de prise de décisions à la majorité renforcée des indivisaires lorsque ceux-ci souhaitent « disposer » du bien en indivision (c’est-à-dire le vendre).
La SCI critiquée.
Des concubins peuvent légalement envisager la constitution d’une société civile, laquelle achètera ou se fera apporter l’immeuble. Cependant plusieurs auteurs la déconseillent et affirment même que ce cadre juridique ne semble pas devoir être retenu, sauf si l’immeuble doit être loué aux concubins pour y exercer une activité commerciale (de façon à faire échapper les murs aux poursuites des créanciers commerciaux). Pourquoi ces réticences ?
D’après eux, l’inconvénient majeur, valable d’ailleurs pour toute SCI, est le caractère absolu et définitif de la répartition des parts entre les associés. S’il apparaît, après constitution, ou, plus souvent, après augmentation de capital ou cession de parts, que l’un des concubins associés dispose de 30 % des parts, mais a apporté en réalité 80 % des fonds, il ne retirera que 30 % de la liquidation-partage de la SCI ou lors de son retrait. Un arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation (27 mai 1999, pourvoi n° 97-15.287) a bien confirmé que l’associé qui se retire de la société a droit uniquement au remboursement de la valeur de ses droits sociaux en vertu de l’article 1869 du code civil.
Mais il est aussi vrai que la création d’une SCI assure une plus grande durée que l’indivision. Cependant, à tout moment, sa dissolution anticipée peut être prononcée par le tribunal pour justes motifs ou dans le cas de mésentente entre associés qui paralyse le fonctionnement de la société (article 1844-7, 5°, du code civil) ; la paralysie risque encore plus de se produire en cas de participation égalitaire. Difficile alors de dégager une majorité.
Des avantages perdus.
Il faut savoir que l’acquisition d’un logement en SCI ne permet pas de bénéficier de certains des avantages accordés aux personnes physiques qui acquièrent leur résidence principale ou réalisent un investissement locatif : pas de prêt à taux zéro, aucune réduction d’impôts pour travaux, impossibilité d’octroi d’un prêt d’épargne-logement, existences de limites à l’exonération de l’impôt sur la plus-value s’il s’agit de la résidence principale de l’un des associés.
Un acte de constitution bien rédigé.
L’acte constitutif d’une SCI peut prendre la forme d’un acte sous seing privé. Il suffit d’utiliser un des contrats types que l’on trouve sur Internet. Mais c’est prendre un risque élevé, car ces contrats ne correspondent en général à aucun des cas que l’on rencontre le plus habituellement. Mieux vaut faire appel à un notaire qui rédigera un acte notarié et adaptera le fonctionnement juridique de la SCI créée à la situation du couple. A noter que ce type d’acte s’impose si, au nombre des associés, on compte soit un enfant mineur, soit les enfants du couple.
Une fois la SCI créée, les associés reçoivent des parts sociales proportionnelles à leurs apports respectifs. C’est la SCI qui achète et devient propriétaire du logement ; les concubins associés sont l’un et l’autre locataires ou occupants à titre gratuit de la société. Si l’un des concubins est déjà propriétaire d’un logement, il peut l’apporter en nature à la SCI constituée à cet effet ; en contrepartie, il reçoit des parts pour une valeur équivalente. Il peut apporter à la SCI la pleine propriété du bien ou seulement la nue-propriété.
Liberté de fonctionnement.
Les associés jouissent d’une grande liberté pour organiser le fonctionnement de la société. C’est eux qui déterminent les règles de désignation du ou des gérants (article 1846 du code civil), prévoient la possibilité ou non de confier la gérance au survivant, incluent des clauses d’agrément ou de préemption (article 1870, alinéa 1, du même code), précisent les conditions de la continuation de la SCI, en cas de décès d’un associé, avec les seuls survivants ou avec une personne désignée soit par les statuts, soit par une disposition testamentaire (article 1870, alinéas 2 et 3). Cependant, ces différentes clauses ne comportent pas d’avantage significatif par rapport à l’indivision organisée (convention d’indivision).
Ils peuvent aussi convenir d’une répartition des bénéfices et des pertes dans des proportions différentes de celles du capital social (article 1844-1), et du partage de l’actif dans des proportions autres que celles des bénéfices (article 1844-9, alinéa 1), mais il existe un risque de requalification en libéralités.
Attention à certaines clauses.
Les clauses suivantes sont très importantes :
– Prévoir si, en cas de décès de l’un (le premier), la société sera dissoute ou si elle continuera avec le seul associé survivant ; dans ce dernier cas, il sera convenu que le survivant pourra dans ce cas racheter aux héritiers les parts du prédécédé, sans qu’ils puissent s’y opposer, en indiquant comment sera déterminée la valeur des parts.
– Réglementer les cessions de parts, avec d’éventuels droits d’agrément ou de préemption.
– Prévoir la mésentente : il est difficile de quitter une SCI dont la durée peut atteindre 99 ans. Il faut donc convenir que l’un des associés qui voudra se retirer dans les conditions prévues par les statuts pourra obtenir le rachat de ses parts par la société ou l’attribution du logement. Et, à défaut, prévoir aussi une décision de dissolution de la SCI aux conditions prévues par les statuts ; le bien est alors partagé à moins d’un accord pour sa vente. Sachez que le risque de contestation d’abus de majorité ou même de minorité, s’il se révèle, conduit devant les tribunaux et entraîne souvent la nullité des décisions prises.
– Essayez d’éviter le recours au tribunal pour prononcer la dissolution, sachant néanmoins que celui qui habite le logement pourra demander au juge qu’il lui soit attribué en priorité. Une clause de médiation préalable est recommandée.
Il est aussi conseillé d’envisager avec son notaire l’utilité d’une acquisition avec un démembrement croisé : chacun achète ou devient propriétaire de la nue-propriété d’une moitié indivise des titres sociaux et l’usufruit de l’autre moitié. Lors du décès du premier associé concubin, l’usufruit du défunt s’éteint ; le survivant se retrouve avec la moitié en pleine propriété et conserve l’autre moitié en usufruit. Les héritiers ne récupèrent que la moitié en nue-propriété du défunt ; le concubin survivant évite de la sorte le risque d’être évincé du logement par les héritiers du défunt. Au décès du second concubin, la pleine propriété de la moitié des parts va aux héritiers du premier décédé, l’autre moitié aux héritiers du second défunt. La décision de dissoudre la SCI est prise dans les conditions prévues par les statuts. S’agissant d’une SCI avec deux concubins, chacun possède la moitié des parts et l’usufruit de l’autre moitié, et peut s’opposer à la cession de l’immeuble.
Des contraintes à connaître.
Le coût de constitution d’une SCI est peu élevé si la société est créée avant l’achat du bien immobilier. Si l’un des concubins est déjà propriétaire d’un logement, il peut l’apporter en nature à la SCI constituée à cet effet et, en contrepartie, il reçoit des parts pour une valeur équivalente. En revanche, cette dernière opération est assez onéreuse car, pour l’administration fiscale, il s’agit d’une vente.
Il faut tenir des assemblées générales et une comptabilité régulière, faire des déclarations fiscales (une seule à l’origine si les concubins occupent le logement).
Les associés sont chacun indéfiniment responsables des dettes de la SCI, proportionnellement à leur quote-part sociale : 50 % du capital social oblige à 50 % des dettes sociales, après que la société a été vainement mise en demeure de payer.
En conclusion, il faut opter pour une SCI entre concubins uniquement si l’on accepte de prendre les conseils d’un professionnel ; sinon, mieux vaut opter pour l’indivision.
Article rédigé en collaboration avec l’office notarial de Baillargue, www.onb-france.net.
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