DE NOTRE CORRESPONDANT
DIX JOURS après l'arrivée du premier patient, c'est le quatrième que l'équipe de l'unité pour malades difficiles (UMD) de Plouguernével, tout près de Rostrenen (Côtes-d'Armor), s'apprête à accueillir ce jour-là dans une des deux ailes déjà en fonctionnement. La montée en charge de ce tout nouvel établissement – le cinquième de ce type en France – est volontairement progressive. «Nous avons préféré étaler les admissions dans le temps, explique le Dr Denis Chateaux, le psychiatre responsable de l'unité. Pour des questions d'organisation et d'acclimatation au lieu, mais surtout parce que les soignants ont besoin de bien connaître les patients qui ont des profils particuliers.»
Les 45 infirmiers, les 3 psychiatres, les 7 aides-soignants et les 4 ergothérapeutes ont beau venir du secteur psychiatrique, travailler dans une UMD est en effet loin d'être ordinaire. Les personnes qui arrivent ici sont des patients qui, malgré un protocole thérapeutique intensif et leur admission en hospitalisation d'office ou en hospitalisation à la demande d'un tiers, présentent une dangerosité permanente jugée incompatible avec leur maintien dans une unité psychiatrique classique. Ils sont dangereux pour les autres, mais aussi parfois pour eux-mêmes, comme c'est le cas pour ce patient arrivé à Plouguernével qui n'a pas connu autre chose qu'une chambre d'isolement depuis un an.
Entre soins et sécurité.
Toute la difficulté va donc résider dans cet entre-deux inédit pour des soignants : entre soins et sécurité. «C'était tout l'enjeu qu'a relevé le groupe de soignants, de techniciens et d'architectes qui a travaillé ces trois dernières années à l'élaboration du cahier des charges», explique Christian Codorniou, directeur général de l'Association hospitalière de Bretagne (AHB), gestionnaire de l'UMD et de plusieurs autres structures sanitaires et médico-sociales*. La construction de ce nouvel équipement est de ce point de vue une « chance » pour l'équipe bretonne, quand leurs collègues des quatre autres UMD doivent composer avec un existant déjà ancien, même si des adaptations à l'évolution des exigences sociales en terme de prise en charge psychiatrique sont effectuées.
Hormis le mur de 4,50 m de hauteur et de 600 m de long qui ceinture les 4 ha du site et le sas d'entrée particulièrement sécurisé, avec notamment ces trois lourdes portes métalliques pour les piétons et ces deux imposants portails à franchir pour les véhicules, l'environnement de l'UMD ne plonge pas dans un univers carcéral. Chacune des deux unités fonctionnelles, la cafétéria et le bâtiment dévolu aux activités d'ergothérapie, de rééducation et sportives possèdent leur propre cour entourée d'un haut grillage. Mais, là encore, la situation du site à l'entrée de la commune, dans une zone jusque-là non bâtie et entourée de grands arbres que l'on voit de l'intérieur de l'UMD, ne donne pas le sentiment d'être en prison. Les locaux sont très clairs. Dans l'espace de jour fréquenté par les patients et divisé en trois salons et une salle à manger, tout est vitré. Ce qui apporte de la lumière et permet à l'infirmier de faction à l'intérieur du PC infirmier de garder un oeil sur tout le monde.
De ce PC, les 5 ou 6 infirmiers présents en même temps dans chacune des deux unités peuvent observer ce qui se passe dans les deux chambres d'isolement qui ont été aménagés en plus des vingt chambres individuelles, grâce à un système de vidéosurveillance. C'est d'ailleurs là que tout nouveau patient passe les 24 premières heures de son séjour. Lit spécialement conçu pour cette UMD, oeil-de-boeuf donnant dans les sanitaires, même l'horloge fixée derrière une vitre, tout a été pensé pour s'adapter au comportement habituel d'un patient placé en isolement et aux interventions des soignants. «Nous avons supprimé tout ce qui pouvait représenter des arêtes vives qui auraient pu servir au patient pour se blesser», souligne le Dr Chateaux. On retrouve d'ailleurs cette même préoccupation pour l'ensemble des chambres : le haut des gonds a été rabattu pour éviter toute pendaison, chaque pièce est équipée d'un double accès pour empêcher un patient de bloquer l'entrée de sa chambre, un couloir technique sépare les chambres et permet aux soignants d'observer le patient et de couper l'eau, par exemple, si ce dernier est potomane, les lits peuvent recevoir rapidement des sangles pour le contenir… Car, dans une unité pour malades difficiles, les soins sont effectués sous contrainte.
Les soignants formés à la gestion de la violence.
Les soignants, transférés à l'UMD à la faveur d'un redéploiement de personnel suite à la fermeture continue de lits depuis dix-sept ans au CHS voisin (passé de 1 800 à moins de 200) – ce qui explique en grande partie le choix du lieu d'implantation de l'unité –, ont suivi une formation de quatre jours sur la gestion de la violence dispensée par l'institut Philippe-Pinel de Montréal. Car il ne s'agit pas de se laisser déborder par la violence des patients. «Notre objectif principal est bien de résoudre la problématique de dangerosité, précise le psychiatre Denis Chateaux. Nous cherchons donc d'abord à stabiliser le patient sur le plan clinique. Mais, ensuite, nous allons travailler au cours du séjour qui dure en moyenne près de huit mois sur la prise de conscience de son propre comportement.» En plus d'une prise en charge somatique, permise par les vacations d'un médecin généraliste salarié du CHS tout proche et la venue hebdomadaire d'un dentiste libéral, des activités thérapeutiques (sport, ergothérapie, expression, socialisation et créativité par le biais de la création d'un potager, de l'informatique), possibles sur prescription, doivent permettre ce temps de soins. Avant de retrouver le service d'origine.
* L'AHB est une association à but non lucratif regroupant vingt-deux sites de psychiatrie, huit structures sanitaires et médico-sociales, un service de médecine et deux services de soins de suite. www.ahbretagne.com.
Cinq unités
Les quatre UMD déjà existantes sont Villejuif (la plus ancienne, qui date de 1910), Montfavet (Vaucluse, 1947), Sarreguemines (Moselle, 1956-1957) et Cadillac (Gironde, 1963).
Celle de Plouguernével couvre la Bretagne, les Pays de la Loire, la Basse-Normandie et peut accueillir des patients venant d'autres régions en cas d'urgence ou de saturation des autres UMD.
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