Psychotropes chez les personnes âgées

En Belgique, un projet pilote de sevrage pour des patients plus autonomes

Publié le 14/06/2018
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Crédit photo : Benjamin Leclercq

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Ce mardi ensoleillé de mai, au 7étage de l’hôpital de Mons, c’est l’heure de papoter. Thématique du jour : gestion de la solitude et astuces pour l’adoucir. Attablées en compagnie d’une psychologue, cinq personnes âgées discutent de leur vie quotidienne et partagent leurs expériences. Un moment de parole qui dépasse le cadre purement psycho-social : c’est l’un des ateliers de « Psychotropes, trop c’est trop », projet pilote de sevrage médicamenteux en gériatrie.

Confronté depuis près de vingt ans à des patients dépendants, et interpellé par « l’indifférence générale de la profession », le Dr Pierre Lemaire, gériatre, a mobilisé son équipe pour agir, et s’attaquer au naufrage provoqué par les psychotropes sur le grand âge. Dans son viseur : les benzodiazépines prescrites contre l’anxiété et l’insomnie. Bien connus, les effets secondaires de ces molécules (troubles cognitifs, ataxie, troubles de l’équilibre, etc.) ont des effets dévastateurs sur le sujet âgé. Des études démontrent qu'elles sont la principale cause de chutes chez les personnes âgées ; chutes qui entraînent une surmortalité aiguë (première cause de décès accidentel chez les plus de 65 ans). De même, benzodiazépines augmentent le risque de développer la maladie d’Alzheimer en cas de prise prolongée (plus de 6 mois) et, parce qu’elles « ralentissent » le système cognitif, réduisent de facto l’autonomie des patients (confusion, perte de mémoire, troubles comportementaux).

Une « camisole chimique »

Des effets que l’équipe de gériatrie du CHR Mons-Hainaut connaît bien. « Il nous est arrivé de recevoir des patients dont on nous disait qu’ils étaient en stade avancé d’Alzheimer, et de constater qu’une fois sevrés de leurs psychotropes, ils retrouvaient mémoire et capacités intellectuelles, note le Dr Lemaire. Ces médicaments sont capables de mimer la démence, emprisonnant la personne âgée dans une camisole chimique et lui retirant toute autonomie ». De fait, les tests cognitifs menés chez les patients avant et après sevrage sont éloquents. Exemple avec le test MMS (mini-mental state, ou test de Folstein), qui évalue sur 30 points l’état de conscience d’un patient (un MMS inférieur ou égal à 24 indique un état de conscience altéré et oriente le diagnostic vers une possible démence) : sur 58 patients consommateurs de benzodiazépines testés par l’équipe du CHR de Mons, 33 livraient un MMS inférieur à 25 ; après sevrage, ils n’étaient plus que 9. Autrement dit, sevrés de benzodiazépines, ils ont recouvré une partie de leurs capacités cognitives.

Une quarantaine de journées

Pour maximiser l’efficacité des sevrages, l’équipe gériatrique a misé sur un accompagnement pluridisciplinaire, en hôpital de jour. L’idée ? Débuter la prise en charge lors des hospitalisations, puis la poursuivre en ambulatoire. « Un bon sevrage dure 3 mois. C’est évidemment trop pour une hospitalisation. Une fois rentrés chez eux, les patients sont donc conviés deux ou trois journées par semaine à l’hôpital pour toute la durée du sevrage », explique le Dr Lemaire. Soit une quarantaine de journées complètes, en groupe de six patients, de 9h30 à 17h. Le programme intègre un volet psycho-social étoffé. Journée type : petit déjeuner collectif ; séance de revalidation physique (avec un kiné) ; travail de la mémoire (avec les psychologues) ; repas et sieste ; atelier de cuisine pour réapprendre les gestes de la vie quotidienne (avec des ergothérapeutes) ; etc. « L’objectif est aussi de les occuper et de les sociabiliser, pour leur faire oublier les effets du manque », précise le Dr Lemaire.

S’agissant du sevrage lui-même, mené en concertation avec le médecin traitant et la famille, il consiste à substituer les psychotropes par le Diazépam à doses dégressives ; avec, si besoin, l’emploi de neuroleptiques (Haldol). Les médecins prescrivent en outre de la mélatonine (Circadin) pour favoriser le sommeil.

La Belgique est le premier pays consommateur de psychotropes en Europe. Selon une étude publiée en 2006 par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé, 68 % des résidents des maisons de retraite y consommaient des psycholeptiques (benzodiazépines et antipsychotiques).


Source : Le Quotidien du médecin: 9673