Le risque d'une pandémie de grippe par le virus aviaire est admis. Sa date possible est indéterminée et imprévisible. Le diagnostic, le traitement et la prévention restent des questions sans réponse... Il serait toutefois possible de contenir cette pandémie à sa source.
LA GRIPPE EST une maladie infectieuse ambivalente. Le virus provoque une maladie le plus souvent bénigne, mais elle peut survenir par épidémies. Le virus pourrait également être employé comme une arme dans le cadre d'actions terroristes. De plus, alors que la grippe saisonnière peut être prise en charge de manière planifiée, les épidémies doivent être contrôlées dans l'urgence. La grippe aviaire, provoquée par des virus de type A, et en particulier les sous-types H5, H7 et H9, entre dans le cadre d'actions à la fois programmées et urgentes. Elle peut atteindre presque toutes les espèces d'oiseaux, qu'ils soient sauvages ou domestiques ; dans ce dernier cas, elle peut devenir fortement contagieuse et induire une mortalité très élevée dans les élevages. Le virus A (H5N1), repéré pour la première fois en 1997 à Hong Kong, suscite l'inquiétude des spécialistes. Certes, presque tous les cas avérés d'infection humaine par ce virus qui ont été signalés depuis janvier 2004 concernaient des personnes vivant en Asie du Sud-Est et étaient en contact direct avec des volailles infectées. Mais une pandémie reste envisageable dans un délai impossible à préciser.
Des risques élevés en Asie du Sud-Est.
Les risques de l'apparition de cette pandémie en Asie du Sud-Est sont élevés, comme KS Li et coll. l'ont récemment montré (1). En effet, le virus, qui a été responsable de l'épidémie de grippe de Hong Kong en 1997, a également provoqué des foyers infectieux chez des oiseaux en 2001 et 2002. Le génotype dominant, noté Z, est alors apparu et a provoqué des foyers infectieux régionaux en 2003 et 2004. Pour K.S Li et coll., les canards d'élevage de Chine du Sud ont un rôle prépondérant dans la génération et la pérennisation de cette souche virale, alors que les oiseaux sauvages auraient contribué à l'extension géographique de l'épizootie. Le virus H5N1 serait ainsi devenu endémique dans cette région. Quant aux cas humains, à ce jour, selon l'Organisation mondiale de la santé, en date du 29 septembre 2005, le bilan global officiel des cas humains touchés par la grippe aviaire est de 116 cas, dont 60 décès. Ces cas ont été recensés au Vietnam (n = 91), en Thaïlande (n = 17), au Cambodge (n = 4) et en Indonésie (n = 4). Actuellement, le virus ne fait pas l'objet d'une transmission interhumaine efficace. La rencontre entre le virus aviaire et le virus humain est toutefois redoutée car elle pourrait conduire à des échanges génétiques entre les deux types de virus. Mais le virus aviaire peut infecter d'autres espèces animales, comme le porc, la souris ou d'autres animaux, comme le chat, domestique ou sauvage.
La localisation à l'Asie du Sud-Est de l'endémie pourrait avoir trois explications principales : l'insuffisance des bonnes pratiques d'élevage et de mise en vente des animaux sur les marchés ; l'absence de régulation des modalités de transport des animaux et, enfin, des migrations d'oiseaux sauvages. Ces dernières rendent compte des événements récemment décrits, comme la mortalité d'oiseaux sauvages due à un virus influenza H5N1 en Sibérie, en Mongolie et dans le nord de la Chine, ou l'épizootie constatée en Russie et au Kazakhstan.
Les atteintes cliniques par le virus aviaire peuvent être sévères chez les poulets et chez les humains. Il peut provoquer une pneumonie, une infection systémique, une diarrhée ou une encéphalite.
Des espoirs pour endiguer la pandémie à la source.
Les déterminants de la pathogénie du virus H5N1 sont multiples. Elle est en particulier directement corrélée avec le clivage de sa glycoprotéine HA par des protéases cellulaires, or ces deux structures sont au voisinage l'une de l'autre. Des travaux d'immunopathologie ont également montré que ce virus induit une dysfonction des cytokines (2). Une étude préliminaire très récente (3) a montré que le pouvoir infectant du virus est lié à sa capacité de réplication, l'article étant par ailleurs encourageant quant au rôle possible de l'oseltamivir sur ce point. Enfin, des travaux ont cherché à comparer le délai d'apparition de la symptomatologie en cas de charge pharyngée par le virus de la grippe humaine et par le virus aviaire. Dans ce dernier cas, la symptomatologie semble plus tardive.
Dans une étude publiée dans la revue « Science » par I.-M. Longini Jr et E. Halloran (4), un modèle mathématique a été réalisé afin de définir les meilleures stratégies susceptibles de contenir une pandémie de grippe aviaire en fonction des modalités de propagation du virus H5N1. Selon les experts du programme mondial de lutte contre la grippe de l'OMS, sur la base de ces travaux, « des mesures agressives fondées sur une prophylaxie antivirale pourraient endiguer une pandémie à la source ou tout au moins en ralentir la propagation, ce qui permettrait de gagner du temps pour mettre en place des mesures d'urgence et accroître les stocks de vaccins ». Ils précisent également que « la période théorique dont on dispose pour agir est très limitée ». Selon ces études, la prophylaxie antivirale devrait couvrir 80 % de la population initialement touchée dans les trois semaines suivant l'apparition des symptômes chez les premiers sujets infectés par le virus pandémique émergent. Elles donnent certaines indications sur les quantités d'antiviraux nécessaires pour que la
stratégie produise des effets concluants. Elles font également penser qu'il faudra associer
l'administration de médicaments à d'autres mesures, y compris la mise en quarantaine d'une zone.
L'expérience de la grippe espagnole de 1918, semble-t-il d'origine aviaire (5), permet de mieux comprendre que des mesures d'hygiène seraient indispensables en cas de menace de pandémie...
D'après la communication de M. de Jong. Human Infections with Avian Influenza A H5N1 : what do we Know, and not Know ?
1. Li KS et coll. Genesis of a Highly Pathogenic and Potentially Pandemic H5N1 Influenza Virus in Eastern Asia. « Nature » 2004 ; 430 (6996) : 209-213.
2. Peiris JS et coll. Re-emergence of Fatal Human Influenza A Subtype H5N1 Disease.
« Lancet ». 2004 ; 363 (9409) : 617-619.
3. Yen HL et coll. Virulence May Determine the Necessary Duration and Dosage of Oseltamivir Treatment for Highly Pathogenic A/Vietnam/1203/04 Influenza Virus in Mice. « J Infect Dis » 2005 ; 192 (4) : 665-672.
4. Longini IM Jr et coll. Containing Pandemic Influenza at the Source. « Science » 20055 ; 309 (5737) : 1083-1087.
5. Tumpey et coll. Characterization of the Reconstructed 1918 Spanish Influenza Pandemic Virus. « Science » 2005 ; 310 : 77-80.
Un retard justifié
L'élaboration des vaccins pandémiques passe par des phases incontournables qui rendent peu probable leur disponibilité au cours de la première vague :
- détection d'un variant pandémique (1-6 mois) ;
- sélection et préparation des souches, phase de recherche indispensable permettant de choisir les meilleurs procédés de production et de préparation des vaccins (1-2 mois) ;
- fabrication du vaccin (1 mois pour 1 million de doses) ;
- contrôles d'efficacité et d'innocuité (1-3 mois)
- distribution.
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