Il ne nous semble ni inutile ni tardif de revenir sur le cataclysme sanitaire du mois d'août. L'ampleur de la catastrophe a déclenché une foule de diagnostics de toutes sortes, et pas seulement médicaux : sociaux, économiques, sociologiques. Elle a porté atteinte à la crédibilité du gouvernement. Elle a terni ses convictions libérales. Il a réagi en recherchant les moyens d'éviter une répétition du drame et il songe sérieusement à créer une cinquième branche de l'assurance-maladie qui serait réservée aux personnes des troisième et quatrième âges.
On ne lui fera pas le reproche, après les critiques sévères et multiples qui lui ont été adressées, de se prémunir contre une autre crise de nature comparable. Mais justement la prochaine n'aura sans doute rien à voir avec la précédente. Au fond, nous ne savons pas quel autre malheur nous guette. Sans nier l'étendue du désastre, qui a causé le décès prématuré de plusieurs milliers de personnes, nous risquons de nous focaliser durablement sur les personnes âgées, tandis qu'un danger différent menace peut-être une autre catégorie de la population.
Un peu d'amour
Nous l'avons écrit dès le premier jour : on a dénombré trop de décès pour que l'Etat ne fût pas mis en cause. En même temps, l'hécatombe a démontré ce qu'il en coûte de tout attendre de l'Etat. Comme l'expliquent tous les spécialistes, il n'est pas difficile de prévenir l'hyperthermie et la déshydratation de la personne âgée, pour peu que veille sur elle une personne qui l'aime. Tout demander à des soignants, rares au mois d'août, et débordés par leur tâche, voilà le problème. Le temps qu'il a fallu à des vacanciers pour récupérer la dépouille d'un ascendant mort pendant leur congé en dit long sur l'indifférence qu'inspirent les seniors dans une société tellement éprise de jeunisme qu'elle en vient à détourner son regard du déclin physique auquel elle est pourtant promise.
C'est un peu comme si les gens rejetaient leur avenir et que le temps pouvait s'arrêter sur leur jeunesse ou tout au moins sur la pleine possession de leurs moyens. La vieillesse n'arriverait qu'aux autres et nous mourrons tous en pleine force de l'âge.
On a évoqué ces sociétés du midi de la France, de l'Espagne et du Portugal où la chaleur, pourtant tout aussi élevée, n'a pas causé une surmortalité particulière, pour la bonne raison que les seniors sont intégrés dans la famille et ne sont pas isolés. Quelles que soient les raisons sociologiques de la catastrophe française, rien ne peut justifier l'absence de devoir filial. On est donc amené à penser que les Français font une confiance aveugle à leur système de soins, qu'ils considèrent comme infaillible. En cas de danger, il va fonctionner, et justement, s'il ne fonctionne pas, s'en prendre aux carences de l'Etat revient à se disculper soi-même. Or qu'a décidé le gouvernement ? D'accroître l'efficacité du réseau de soins, de veiller d'une façon plus étroite aux besoins des personnes âgées, ce qui se traduira forcément par un surcroît de déresponsabilisation des familles.
Encore une fois, si le sujet n'était aussi douloureux, si la mort n'était un scandale, y compris pour ceux dont la vie se termine, un gouvernement qui ne serait pas assiégé par soixante millions de mentalités étatistes et ne craindrait pas pour sa popularité, renverrait à ses mandants la responsabilité de leur famille. Pas seulement celle de leurs enfants, mais celle de leurs parents ; pas seulement des êtres qui leur apportent la joie de la jeunesse, mais ceux à qui ils doivent leur propre existence et leur éducation ; pas seulement de ceux qu'ils ont mis au monde (une responsabilité considérable) mais de ceux qui les ont mis au monde. Si le maillage des générations n'avait cédé sous les tiraillements de la course au plaisir et à l'argent, des milliers de vies eussent été sauvées.
Une société du moi
C'est la leçon principale de cette crise étrange, mais c'est celle qu'on a passée sous silence. Le gouvernement n'est pas en mesure, après avoir été accablé d'invectives, de renvoyer son réquisitoire à l'électorat ; la variété des cas personnels rend inévitablement injuste toute généralisation : parmi les morts, un grand nombre de personnes n'avaient plus aucune famille et leur solitude ne pouvait être brisée que par l'Etat ; enfin, la loi de l'argent s'applique dans ce domaine aussi : ce n'est pas dans les maisons de retraite modernes et bien équipées, où le séjour est coûteux, qu'on aura compté des victimes, mais dans des foyers pauvres, chez des vieux abandonnés par une rue entière partie en vacances.
Et si on ne peut pas accuser davantage les familles que l'Etat, alors il n'y aurait ni responsable ni coupable, pour une tragédie qui a fait plus de victimes qu'un an d'accidents de la route. Il n'empêche : jamais l'Etat ne viendra à bout des égoïsmes. Nous sommes dans une société du moi. Un moi affranchi de tous les tabous, un moi qui ressent, à juste titre, la liberté personnelle comme le premier des droits et qui veut tout de la vie ; de la même manière qu'on divorce sans hésiter, sans se demander si les enfants ne vont pas en pâtir, de la même manière que les familles se recomposent dans un bonheur absolu d'où le freudisme est curieusement, mais faussement, absent, le moi prime, passe avant les enfants et a fortiori avant les parents. Oui, les Français sont libres, oui, ils ont le droit de concevoir leur vie comme ils l'entendent. Mais aucun droit ne va sans son corollaire, le devoir. Et à force de répéter que l'Etat fait tout, on en devient aveugle à ses devoirs.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature