PAR LE Dr CHRISTIAN DUALE*
LES DOULEURS chroniques postopératoires (DCPO) sont d'identification récente plus qu'elles ne sont émergentes : à la suite de la thoracotomie, par exemple, elles sont bien connues des chirurgiens qui la pratiquent et suivent leurs patients en postopératoire, mais la littérature scientifique est longtemps restée discrète sur le sujet. W. A. Macrae a défini le caractère postopératoire d'une douleur chronique : après une chirurgie, durant depuis au moins deux mois, inexistante avant le geste, à l'exclusion d'autres étiologies (cancer évolutif, infection chronique…) (1).
La prévalence des DCPO serait sous-estimée du fait de leur apparition différée et de la mortalité liée à la maladie justifiant la chirurgie (cancer, artérite évoluée). Cette chronologie explique que des patients soient perdus de vue, ainsi qu'un certain fatalisme de leur part, malgré le caractère invalidant de ces douleurs. Les études rapportant des DCPO fournissent des informations partielles. Prospectives, elles donnent des valeurs de prévalence, voire d'évolutivité, mais sont peu descriptives. Les études plus descriptives, en revanche, ne considèrent souvent que les patients déjà douloureux, et permettent mal de quantifier (1-4).
On peut classer les DCPO selon le contexte chirurgical et le mécanisme suspecté :
– lésion nerveuse périphérique probable ou certaine, symptomatologie évocatrice de neuropathie (amputation de membre, herniorraphie inguinale, mastectomie, thoracotomie, ostéotomie mandibulaire), dont l'incidence est forte, mais à repréciser ;
– lésion nerveuse périphérique incertaine, caractère neuropathique non démontré (ster- notomie, traumatismes graves du membre inférieur, césarienne, cholécystectomie, hystérectomie et colectomie par laparotomie, amputation périnéale, remplacement pro- thétique de hanche, saphénectomie, endodontie), dont l'incidence est aussi à repré- ciser ;
– syndrome régional complexe de type I ou algoneurodystrophie, dystrophie réflexe sympathique (arthroscopie de genou, chirurgie du canal carpien, chirurgie de la cheville, remplacement prothétique du genou, fracture du poignet, cure de maladie de Dupuytren), avec des incidences s'échelonnant de 2 à 40 % selon les séries.
Les DCPO associent de façon variable douleur spontanée (brûlure, strictions), allodynie (notamment douleur au frottement) et hyperalgie. La douleur neuropathique provient de mécanismes complexes, avec coexistence au sein de la fibre nerveuse sensitive d'éléments déficitaires et productifs (ectopies : « décharges électriques ») et extension de la pathologie à la moelle dorsale (sensibilisation centrale, réorganisation) et à l'étage supraspinal. Le diagnostic est facilité par le questionnaire DN4 (5) et l'examen clinique des régions cutanées concernées par le processus causal supposé et/ou celles qui sont le siège de la douleur rapportée. L'algoneurodystrophie est suspectée par l'existence d'un oedème local, d'une hypersudation et de phénomènes vasomoteurs.
Le traitement dépend des mécanismes suspectés.
Plusieurs types de traitements sont proposés pour les DCPO de type neuropathique, avec toutefois des possibilités d'échec en cas de monothérapie. Il n'y a par ailleurs pas de recommandation quant à l'algorithme thérapeutique à suivre. Mieux que l'association systématique, une piste d'avenir semble être l'administration ciblée, en fonction des mécanismes suspectés. Les médicaments proposés en première intention sont les anticalciques centraux (gabapentine et prégabaline) et les antidépresseurs tricycliques (amitryptiline). Sont également cités comme efficaces : la venlafaxine (antidépresseur inhibiteur de recapture mixte NA-5HT), la kétamine (anti-NMDA), les opiacés en appoint, sans oublier les techniques physiques (neurostimulation transcutanée [TENS], électro-acupuncture) et la thérapie cognitivo-comportementale. L'autoquestionnaire NPSI (Neuropathic Pain Symptom Inventory) est un outil de quantification de la douleur neuropathique qui permet d'assurer le suivi du patient et de son traitement (6).
La DPCO a un facteur déclenchant identifiable dans le temps, qui la différencie pleinement des autres douleurs chroniques, pour lesquelles les mécanismes sont complexes, l'évolutivité fluctuante et la connotation psychique prégnante. La recherche de méthodes préventives applicables par le chirurgien (nouvelles techniques) ou l'anesthésiste apparaît donc indispensable.
S'il existe un niveau de preuve raisonnable pour recommander l'analgésie postopératoire de qualité, l'anesthésie locorégionale et l'apport péri-opératoire de vitamine C pour prévenir l'alogoneurodystrophie (4), on attend des études plus concluantes pour proposer une prévention de la neuropathie, même si un espoir semble poindre avec le blocage des afférences par l'anesthésie locorégionale.
* Centre d'investigation clinique INSERM CIC 501/centre de pharmacologie clinique, CHU Gabriel-Montpied, Clermont-Ferrand. (1) Macrae WA. Chronic pain after surgery. Br J Anaesth 2001;87(1):88-98.
(2) Eisenberg E. Post-surgical neuralgia. Pain 2004;111(1-2):3-7.
(3) Bruce J, Poobalan AS, Smith WC, Chambers WA. Quantitative assessment of chronic postsurgical pain using the McGill Pain Questionnaire. Clin J Pain 2004;20(2):70-5.
(4) Reuben SS. Preventing the development of complex regional pain syndrome after surgery. Anesthesiology 2004;101(5):1215-24.
(5) Bouhassira D, Attal N, Alchaar H, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J et coll. Comparison of pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and development of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain 2005;114(1-2):29-36.
(6) Bouhassira D, Attal N, Fermanian J, Alchaar H, Gautron M, Masquelier E et coll. Development and validation of the Neuropathic Pain Symptom Inventory. Pain 2004;108(3):248-57.
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