Les psychiatres interviennent dans les processus visant à désendoctriner les jeunes attirés par le jihad, selon des protocoles qui relèvent principalement de la thérapie familiale. Face à la machine complotiste qui s’emballe, en revanche, la psychiatrie semble déclarer forfait.
Contrairement à l’idée reçue, les motivations des jeunes qui partent faire le jihad en Syrie sont rarement religieuses. « Dans la plupart des cas, observe Dounia Bouzar, directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), ces jeunes que ciblent les chasseurs de tête de Daesh sont surtout des altruistes qui veulent sauver le monde. L’argument des enfants syriens gazés par le régime de Bachar el-Assad a souvent été le déclic pour éveiller en eux des vocations de justiciers. » Et la bascule se produit d’autant plus facilement que « l’on a affaire à des jeunes en pleine crise identitaire d’adolescence, souligne le Dr Serge Hefez, pédopsychiatre, responsable de l’unité de thérapie familiale de la Pitié-Salpétrière, qui intervient aussi dans le cadre du CPDSI, à la demande des parents inquiets. Ces parents témoignent que leurs enfants ne sont pas vraiment engagés dans une démarche de croyance religieuse, mais qu’ils sont entrés dans un monde idéalisé, à la recherche de pureté, de justice et de fraternité. Chez les filles, nous trouvons beaucoup de Mère Theresa en puissance, chez les garçons des petits sauveurs de l’humanité. Ces familles sont souvent déclassées socialement et les ados sont dans une démarche de reconquête après avoir vécu des épisodes de honte et d’humiliation. »
La proposition du Dr Michel Debout, psychiatre et légiste, d’instaurer une médecine préventive des chômeurs, trouve à cet égard tout son intérêt. « La personne qui perd son emploi n’étant pas malade, explique-t-il, mais dans une situation traumatique à risque. » Le risque, en l’occurrence, c’est la désorientation des ados et le jihad.
Dans ce contexte économique et social dégradé, le Dr Hefez traite en priorité l’affrontement intra-familial. « Pour empêcher le départ pour la Syrie, comme encore récemment avec une ado qui venait juste de "se marier" sur internet avec un jihadiste, il faut donc avant tout réduire et colmater les fractures générationnelles. »
Quelle parade au complotisme ?
Toute autre est la parade au complotisme. Comme après le 11 septembre et les tueries de Merah, la théorie du complot s’emballe chez les jeunes au sujet de l’attentat contre « Charlie Hebdo », présenté comme une opération montée par les services secrets, français, américains ou israéliens selon les blogs. « Et pas seulement chez les ados, mais, via internet où circule le meilleur et le pire, chez beaucoup d’adultes aussi », souligne le Dr Patrice Louville. Un Français sur cinq ne se déclare-t-il convaincu de l’existence des Illuminati, en voyant partout le diable et ses complots (sondage IPSOS de juin 2014) ? « Mais gardons-nous de médicaliser ce public en posant un diagnostic de paranoïa, prévient le Pr Michel Lejoyeux, car nous n’avons pas du tout affaire à des malades en proie à un délire. »
Face à des décrochages qui touchent des classes entières dans les banlieues, « il faut reconnaître la prégnance d’une puissante contre-culture, estime le Dr Hefez. À ce stade qui constitue une première étape avant un possible recrutement jihadiste, aucun psychiatre n’est en capacité d’intervenir. Seule l’école, appuyée sur divers acteurs socio-économiques, peut transmettre et inculquer l’esprit critique qui est tombé en panne. C’est un défi auprès d’une génération qui semble perdue. »
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