Entretien avec le Dr Paul Benkimoun

« En 2020, on pourra fabriquer du muscle cardiaque»

Publié le 18/12/2009
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Médecin et journaliste au quotidien Le Monde et auteur de "Médecine : Objectif 2035" aux éditions de l’Archipel, un ouvrage dédié aux progrès médicaux qui vont révolutionner notre vie quotidienne d’ici à 25 ans, Paul Benkimoun se prête pour Le Généraliste à un exercice de réflexion et d’anticipation sur la médecine des dix prochaines années.
Le Généraliste : Comment avez vous procédez vous pour imaginer la médecine de demain ?

Dr Paul Benkimoun : Il ne s’agissait pas de faire de la prospective dans l’absolu et d’inventer ex nihilo la médecine de demain. La démarche d’anticipation est partie de découvertes réelles du moment mais à l’état parfois très expérimental. Nos projections pour 2035 ont leurs origines déjà visibles de nos jours.

Le Généraliste : quels sont les domaines qui aujourd’hui portent les germes les plus fertiles des progrès futurs ?

Dr P.B. Très clairement, il s’agit de l’imagerie, des nanotechnologies, de la génétique et des cellules souches. L’arrivée de l’imagerie par résonance magnétique dans les années 1980 avait provoqué la stupeur générale. Depuis, l’IRM fonctionnelle et la tomographie par émission de positons ont permis d’explorer des pathologies d’une manière jusque là inconnue. Récemment une technique d’IRM atteignant une résolution de l’ordre du dixième de nanomètre permettant de détecter les forces magnétiques d’un noyau isolé et de localiser des atomes d’hydrogène sur une molécule a été mise au point ! Ce ne sont plus les structures anatomiques mais bien le fonctionnement intime des organes qui deviennenet accessibles à l’imagerie. On pourra détecter une plaque d’athérome avant même sa constitution anatomique, sur la simple visualisation des éléments qui vont contribuer à la constitution de cette plaque. Les nanotechnologies sont désormais exploitées dans des domaines de la santé très variés, et particulièrement en pharmacologie. On attend beaucoup des nanovecteurs qui encapsulent des molécules pour mieux les concentrer au niveau de leur cible et réduire les effets secondaires. Les nanovecteurs de dernière génération sont plus complexes et précis. Surmontés d’anticorps, de sucres ou de peptides, des vecteurs sont capables de reconnaître sélectivement des antigènes ou des récepteurs hyperexprimés à la surface de cellules infectées ou tumorales.

Qu’attendre de l’exploitation du séquençage du génome et de l’utilisations des cellules souches ?

Dr P.B. L’entrée du séquençage du génome dans la médecine courante couplée à la réduction spectaculaire du coût de cette analyse, marque le début d’une ère nouvelle, analogue à ce que fut les débuts de l’aviation vis à vis de la conquête de l’espace. Pour espérer voir un jour le séquençage faire partie des examens courants et servir de base à une médecine personnalisée, il faut que son coût diminue. Or au cours de ces cinq dernières années, il est passé d’environ 50 millions de dollars à 5000 dollars ! C’est dire les perspectives ouvertes dans ce domaine.

Quant aux cellules souches embryonnaires humaines, les perspectives thérapeutiques qu’elles ouvrent dans la réparation des tissus lésés semblent infinies. Et d’une simplicité déoncertante puisque 4 facteurs de croissance suffiraient à influencer leur différenciation tissulaire ….

Quelles sont les grandes avancées médicales qu’il est légitimement possible d’espérer pour 2020 ?

Dr P.B. On pourra certainement fabriquer du muscle cardiaque avec des cellules souches. Des étapes expérimentales se sont déjà bien passées et des essais sont prévus sur le primate. Et l’écueil de la tumorogénèse semble sous contrôle. De même, on peut raisonnablement penser pouvoir réparer des lésions médullaires.

En cardiologie, la miniaturisation à l’extrême des dispositifs technologiques permettra l’implantation de défibrillateurs.

En cancérologie, on pourra mesurer d’infimes quantités de biomarqueurs sanguins de cancers spécifiques grace à des nanodétecteurs. Ce dosage passera sans doute dans l’arsenal des dosages biologiques d’ici à dix ans. En infectiologie, on peut raisonnablement espérer un vaccin anti-sida suite aux résultats très encourageants de l’essai vaccinal thaïlandais. Dans ce sillage, on peut imaginer obtenir des progrès significatifs dans la vaccination anti-palustre.

On semble proche aussi d’un procédé vaccinal qui parvienne à débarrasser le cerveau des malades Alzheimer de ses plaques amyloïdes ? les essais menés depuis 2001 et visant à stimuler la synthèse d’anticorps dirigés contre une protéine synthétique amyloïde-like finiront sans aucun doute par porter leurs fruits. Enfin, la téhérapie génique dans son ensemble est un champ qui semble redevenir fertile après les échecs des premières tentatives sur les « bébés-bulle » souffrant de déficits immunitaires.

Propos recueillis par le Dr Linda Sitruk

Source : Le Généraliste: 2509