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AVEC LE CHARME d'une personnalité très active, dynamique, pleine de projets et un profil de forte en thème, Emmanuelle Haïm semble être née pour diriger. Parisienne, elle n'a pas eu, comme tant d'autres, besoin de monter à Paris pour faire carrière. Pas plus que de montrer les crocs pour faire son chemin dans le monde hypermacho de la direction d'orchestre. Les portes s'ouvrent devant elle au fur à mesure d'un cheminement musical qui, jusqu'à ce jour, semble suivre une logique implacable.
Un secret ? Oui ! Etre prête. Prête, elle l'est depuis l'enfance avec une formation musicale des plus complexes et complètes que l'on puisse attendre d'un chef d'orchestre. Des études de piano dès le plus jeune âge avec une tante pianiste et de surcroît assistante d'un des pédagogues les plus réputés du moment, la regrettée Yvonne Lefébure. Cette bonne fée, à qui tant de pianistes avouent devoir le meilleur de leur formation, croyait avant tout en Bach et s'était fait une spécialité de la musique française du début du XXe siècle. Les émules de ces musiciens, d'Indy, Debussy et Ravel, connaissaient parfaitement et enseignaient aux pianistes la tradition des clavecinistes français, Rameau et Couperin. Solide bagage, mine de rien, pour une musicienne qui, plus tard, se vouera au clavecin avec des maîtres comme Kenneth Gilbert et Christophe Rousset. Mais entre-temps, c'est l'orgue qu'elle apprit avec André Isoir pour assouvir l'amour pour Bach contracté au piano. Aucun de ces instruments ne sut retenir la jeune Emmanuelle, trop encombrants, trop solitaires et trop restrictifs. Ne pouvant se faire à l'idée de s'enfermer dans une carrière de soliste, elle dévora alors au conservatoire les matières théoriques ardues, harmonie, contrepoint et fugue, celles réservées aux forts en thème. Là encore, insatisfaction ! Que faire, isolée dans une classe de conservatoire, même comme enseignante ? Le chant l'attirait et, ne pouvant elle-même chanter, elle frappa un jour chez William Christie, au Conservatoire de Paris, pour lui proposer d'accompagner ses chanteurs. Plutôt bien accueillie, comme toute bonne volonté, par ce maître pourtant réputé acerbe, elle commença le cheminement passant de continuiste à accompagnatrice de chanteurs, du travail avec les chœurs jusqu'à la tâche clé dans le monde du théâtre lyrique de chef de chant, celui qui fait travailler leurs rôles aux chanteurs, autant musicalement et phonétiquement que psychologiquement.
Cet apprentissage de direction d'effectifs de plus en plus nombreux, ajouté au besoin du contact avec les autres, devait la mener, parfaitement préparée à ce rôle, à la position de chef d'orchestre. L'occasion se présenta d'elle-même, catalysée par la bonne protection de Christie, qui, entre-temps, s'était annexé cette précieuse auxiliaire. Elle a été des dernières reprises de la mythique production d'« Atys » de Lully, par Christie et Villegier, et de tous les spectacles qui ont compté par la suite dans ce répertoire en France.
Un ensemble et quatre disques.
Former son propre ensemble, Le Concert d'Astrée, n'a plus été qu'une question de temps, le temps de réunir les bonnes volontés prêtes à travailler pour le seul amour de l'art, le temps de se faire connaître et apprécier et de trouver en la fondation France Télécom le sponsor sans qui, de nos jours, rien n'est possible. Autre bonne fée sur son chemin, le chef britannique Simon Rattle, à qui Christie l'avait recommandée pour faire travailler aux chanteurs « les Boréades », de Rameau, pour Salzbourg. Il lui a ouvert les portes en Angleterre. Glyndebourne d'abord, où Villegier reprenait pour le Glyndebourne Touring Opera sa « Rodelinda » de Haendel, et où elle découvrit ce qu'en secret elle idéalisait : que chacun fasse partie d'un édifice, puisse remplacer, servir à guider les autres comme c'est le cas dans la merveilleuse démocratie de ce festival unique au monde pour ses conditions privilégiées de travail de répétition. L'année suivante, c'est au pupitre de « Theodora », autre Haendel au répertoire du festival, qu'on la retrouve. Puis à Londres.
Virgin Classics n'attend pas pour l'engager et déjà quatre disques sont sur le marché : « Duos arcadiens » et « Aci, Galatea e Polifemo » de Haendel, « Dido and Aeneas » de Purcell et, tout dernier paru, « Orfeo » de Monteverdi.
En 2004, Amsterdam, Vienne, Bruxelles, Prague puis Lisbonne et Glyndebourne la verront à la tête de son ensemble ou comme chef invitée. L'Opéra de Lille l'attend cet automne avec « Tamerlano » de Haendel, en coproduction avec le Théâtre de Caen. En 2005 ce sera une tournée aux Etats-Unis, et, au printemps 2006, une vingtaine de représentations scéniques d'« Orfeo » sont prévues à Lille, Caen, à l'Opéra du Rhin et au Théâtre du Châtelet. En attendant, on pourra l'entendre ce mois-ci à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées*. Elle dirigera deux de ses compositeurs préférés, Claudio Monteverdi, qui recèle derrière une simplicité apparente un raffinement d'écriture merveilleux, et Marc-Antoine Charpentier, le plus italien des compositeurs français.
* Théâtre des Champs-Elysées (01.49.52.50.50), le 4 mars à 20 h à la tête du Concert d'Astrée (Monteverdi, « Combattimento di Tancredi e Clorinda ») et le 20 mars à 20 h à la tête de l'Orchestra of the Age of the Enlightenment (Charpentier, « David et Jonathas »).
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