RAREMENT LA POSTÉRITÉ aura été aussi péjorative pour un homme qui fut à ce point encensé de son vivant. Le président de la Société lorraine de psychologie appliquée eut son heure de gloire, bien au-delà de son officine de pharmacien nancéien. Fils d’un employé des chemins de fer, Emile Coué (1857-1926) s’est taillé en son temps une réputation internationale qui en a fait un conférencier à succès, de la Russie aux Etats-Unis, essaimant un peu partout dans le monde des instituts qui portent son nom. Celui que les médias américains avaient baptisé «le marchand de bonheur» a connu son triomphe en 1923, au cours d’un mémorable voyage aux Etats-Unis, où il fut reçu par le président Calvin Coolidge, Henry Ford ou Thomas Edison. On se l’arrachait.
L’auteur de « la Maîtrise de soi-même », en partant de ses observations de pharmacien auprès de sa clientèle, avait mis au point une méthode simple – ses détracteurs diront simpliste : notre inconscient détermine nos états physiques et mentaux, postulait-il. C’est par notre imagination que nous communiquons avec lui et que nous exerçons un pouvoir sur notre organisme et sur les maux les plus divers qui l’assaillent : neurasthénie, migraine, fibrome, entérite, phtisie, eczéma... Il s’agit bien, insistait-il, de l’imagination et non pas de la volonté.
S’imaginer guéri pour guérir.
Quand on veut, on peut, dit l’adage, mais M. Coué constate que la volonté ne suffit pas à l’insomniaque pour s’endormir ou à l’alcoolique pour parvenir au sevrage. Selon lui, il ne s’agit pas de vouloir guérir, mais de s’imaginer guéri. Pour bien se faire comprendre, Emile Coué aimait citer le texte de Blaise Pascal sur le vertige : chacun d’entre nous, rappelait-il, est capable de marcher sur une planche de 10 m de long et de 25 cm de large si elle est posée sur le sol. Supposons qu’elle soit placée entre les deux tours d’une cathédrale, alors bien peu de gens seront prêts de s’élancer ! Malgré tous les efforts de volonté qu’ils pourront multiplier, la chute est quasiment inévitable. Dans un cas, l’imagination nous enseigne que la traversée est facile, dans l’autre nous imaginons la chute. Quand il y a conflit entre l’imagination et la volonté, c’est l’imagination qui l’emporte, sans aucune exception. Lorsque la volonté et l’imagination sont en accord, elles font plus que s’ajouter, elles se multiplient. Cqfd.
Puisqu’il s’agit de commander l’imagination, la méthode se formalise en une phrase : «Tous les matins, au réveil, et tous les soirs, aussitôt au lit, fermer les yeux et, sans chercher à fixer son attention sur ce que l’on dit, prononcer avec les lèvres, assez haut pour entendre ses propres paroles et en comptant sur une ficelle munie de 20noeuds, la phrase suivante: “Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux.” A suivre toute sa vie, cette méthode est aussi bien préventive que curative.»
M. Coué a d’autres formules incantatoires dans son ordonnancier, comme son «Ça passe», censé venir à bout des douleurs en deux secondes :
«Chaque fois (...) que l’on ressent une souffrance physique ou morale, s’affirmer immédiatement à soi-même qu’on n’y contribuera pas consciemment et qu’on va la faire disparaître, puis s’isoler autant que possible, fermer les yeux et, se passant la main sur le front, s’il s’agit de quelque chose de moral, ou sur la partie douloureuse, s’il s’agit de quelque chose de physique, répéter extrêmement vite avec les lèvres les mots: ça passe, ça passe, etc., aussi longtemps que cela est nécessaire.»
Emile Coué serait encore, assurent ses adeptes, l’inventeur de l’effet placebo, le premier à commercialiser des flacons d’eau distillée aromatisée, censés être des préparations magistrales pour ses malades imaginaires – justement « imaginaires » –, en leur recommandant un strict respect de la dose prescrite.
Quoi qu’il en soit, la méthode va faire école. De son vivant, Coué s’associe aux Drs Liébault et Bernheim, au sein de l’école de Nancy, puis viendront, dans le sillage de l’autosuggestion positive, des approches nouvelles comme la pensée positive, la visualisation, le training autogène de Schultz, la sophrologie, l’analyse transactionnelle (AT) et la programmation neurolinguistique (PNL).
«On a fait payer cher à Coué le fait que sa méthode était trop simple, pour nous les amateurs de données complexes, estime Luc Teyssier d’Orfeuil, patron d’une entreprise de coaching (Pygmalion communication), pour expliquer pourquoi son nom et sa méthode ont si mal vieilli. Or, plaide-t-il, l’autosuggestion est partout à l’oeuvre, mais principalement sous sa forme négative. Si seulement chacun prenait conscience de ses propres tics de langage et s’efforçait d’éradiquer des formules comme “je vais essayer”, qui signifient surtout qu’on s’apprête à échouer!»
Mais le discrédit est tenace. Le dernier exemple en est fourni par un Premier ministre en exercice, Jean-Pierre Raffarin, qui, pour vanter la « positive attitude », a préféré se réclamer de la chanteuse à succès Lorie, plutôt que de se risquer à invoquer devant les caméras le marchand de bonheur nancéien.
A consulter : www.methodecoue.com.
OEvres d’Emile Coué, Editions Astra ; « Tous les jours, de mieux en mieux : Emile Coué et sa méthode réhabilités », par René Centassi et Gilbert Grellet, Editions Robert Laffont.
Le Dr Rossinot : Coué doit être redécouvert
«La méthode Coué est devenue une quasi-insulte dans la presse politique ou sportive, se désole André Rossinot, médecin (ORL), ancien ministre et maire de Nancy, la ville de M. Coué. C’est très injuste, confie-t-il au “Quotidien”, s’agissant d’un homme qui a cultivé toute sa vie un sens aigu de l’observation et de l’écoute, du dialogue, et qui a conçu la relation médicale sous le signe de l’humanisme et non de la technologie ou de la technique.»
«L’influence et la postérité d’Emile Coué sont importantes, observe le Dr Rossinot ; la définition que l’OMS a donnée de la santé (“un état complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”) s’inscrit bien dans cette démarche globale qu’il a embrassée à une époque où émergeait la psychologie, avec la bagarre entre l’école de Nancy, avec Bernheim, et l’école de Charcot.
«De nos jours, les approches du coaching, de la relaxation, des médecines douces, doivent beaucoup à Emile Coué. D’ailleurs, si vous allez dans les pays anglo-saxons, vous trouvez encore quantité de groupes de recherches et de publications qui se réclament publiquement de Coué.
«En France, constate le maire de Nancy, on adore, puis on brûle ce qu’on a adoré, avant, finalement, de rendre justice. Je pronostique que Coué sera réhabilité. L’an prochain, pour le cent cinquantenaire de sa naissance, nous allons organiser d’importantes manifestations qui pourront amorcer le mouvement. La méthode, c’est ni plus ni moins la quête individuelle du bonheur à la portée de tous, indépendamment de la partie technique ou pharmacologique. Coué doit être redécouvert. A Nancy, plusieurs groupes de médecins et de psychiatres y travaillent. Quant à moi, j’en tire souvent un profit personnel. Quand je me réveille le matin, un peu accablé par la journée complexe qui m’attend, je m’efforce d’arrêter de voir les choses en noir, je me mets en route, et je rayonne du bonheur autour de moi. C’est la méthode Coué au quotidien!»
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