PRATIQUE
En pratique, trois grandes situations cliniques peuvent se présenter :
- La première et la plus spectaculaire est le classique tableau de cur pulmonaire aigu avec son cortège évocateur : dyspnée d'installation brutale, collapsus cardio-circulatoire, cyanose des extrémités et signes de défaillance cardiaque droite. Cette entité traduit une obstruction massive de l'arbre artériel pulmonaire et fait souvent suite à de nombreux épisodes emboliques itératifs, passés inaperçus les jours précédents.
- La deuxième situation est celle de l'infarctus pulmonaire. Il se traduit volontiers par un syndrome pleural : douleur basi-thoracique augmentée à l'inspiration et à la toux, parfois associée à une dyspnée et à une hémoptysie. Il est la conséquence d'une embolie distale vraisemblablement hémorragique avec irritation pleurale.
- Le troisième mode de description regroupe un grand nombre de présentations cliniques auxquelles il convient d'accorder la plus grande importance dans un contexte évocateur de maladie thromboembolique pulmonaire. Il peut s'agir d'une douleur thoracique brutale souvent spontanément résolutive, d'une dyspnée passagère, d'un trouble du rythme paroxystique, d'un malaise lipothymique ou d'une perte de connaissance brève.
Ces principaux modes de présentation prennent toute leur signification lorsqu'il existe un contexte étiologique évocateur : alitement prolongé récent, intervention chirurgicale orthopédique ou du petit bassin, suites d'accouchement, long voyage, néoplasie, antécédent d'épisode thromboembolique personnel ou familial, obésité, prise de contraceptifs oraux, présence d'une insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs...
L'examen clinique est souvent peu contributif. Une polypnée, une tachycardie sont fréquemment retrouvées mais n'ont aucune spécificité. Il en est de même des signes de thrombose veineuse profonde qui sont absents ou non spécifiques dans plus de 50 %des cas. En revanche, l'association de plusieurs de ces signes dans un contexte évocateur augmente la probabilité du diagnostic d'embolie pulmonaire. Même si l'évaluation clinique à elle seule ne peut assurer le diagnostic, elle permet de classer les patients en trois groupes de probabilité faible, intermédiaire ou élevée. L'existence d'un contexte favorisant l'un des trois tableaux cliniques précédemment décrits et l'absence d'autre diagnostic évident constituent une forte probabilité clinique. En présence d'un seul de ces paramètres, la probabilité est faible. Les autres cas sont considérés comme intermédiaires.
Bien souvent, il s'agit des seuls indices dont dispose le praticien en ville.
Quelques examens complémentaires de débrouillage peuvent néanmoins l'orienter.
L'électrocardiogramme peut mettre en évidence un bloc de branche droit, des ondes T négatives dans les dérivations précordiales ou un aspect S1Q3. Ces anomalies peu spécifiques n'ont de valeur que comparées à un tracé de référence antérieur ou ultérieur dont on ne dispose pas encore.
La radiographie pulmonaire est d'interprétation difficile lorsqu'elle est réalisée en urgence chez un patient alité, dyspnéique. On accordera une grande importance à des signes évocateurs comme une hyperclarté pulmonaire localisée, une ascension d'une coupole, un foyer parenchymateux ou un épanchement pleural modéré.
Les D-dimères (DD) sont les produits de dégradation de la fibrine. Leur dosage posait jusqu'il y a peu un double problème : celui de la fiabilité et du manque d'adaptation à l'urgence. Désormais, les résultats sont obtenus rapidement (trente minutes environ) et le test ELISA, lorsqu'il est disponible, offre une excellente sensibilité. Ainsi, la présence de DD constitue pour de nombreuses équipes un critère de forte présomption. Dans les grandes études cliniques bien conduites avec cette technique, le diagnostic de maladie thromboembolique pouvait être exclu si la concentration de DD était inférieure à 500 μg/l. Toutefois, ce test doit être interprété avec prudence, car une fausse positivité est habituelle lorsqu'il existe un contexte inflammatoire.
L'embolie pulmonaire est, il faut le rappeler, l'expression évolutive la plus grave de la maladie thromboembolique pulmonaire. Le primum movens est une thrombose veineuse profonde des membres inférieurs dont la signature échocardiographique est facilement obtenue par l'échographie-Doppler des veines des membres inférieurs. Cet examen permet de retrouver l'image échogène d'un thrombus obstructif. L'impossibilité de comprimer un segment veineux, l'absence de flux au Doppler couleur lors d'une manuvre de chasse et l'atténuation ou la disparition du flux veineux au Doppler pulsé sont autant d'arguments supplémentaires. Dans cette démarche diagnostique, l'échographie-Doppler des veines profondes des membres inférieurs doit dans tous les cas explorer l'axe veineux profond des deux membres inférieurs dans son intégralité, des troncs suraux à la veine cave inférieure.
Cet examen est complété dans le même temps par une échocardiographie transthoracique. Si celle-ci peut visualiser un thrombus dans le ventricule droit ou l'artère pulmonaire, elle évalue surtout le retentissement de l'EP en mettant en évidence une hypertension artérielle pulmonaire systolique. La présence d'une hypokinésie de la paroi latérale du ventricule droit, d'une anomalie de la cinétique du septum interventriculaire (septum paradoxal), d'une dilatation des cavités droites (> 25 mm) et de la veine cave inférieure définissent l'embolie pulmonaire submassive. L'existence d'un rapport VD/VG > 0,8 est par ailleurs un facteur de mauvais pronostic. Cependant, la normalité de l'examen ne permet pas de récuser le diagnostic.
En pratique, il est fréquent d'observer une dissociation entre l'importance des signes échographiques veineux et cardiaques. Ainsi, dans les EP graves, les signes veineux sont souvent absents ou discrets. A contrario, dans les EP minimes ou d'importance moyenne, il est habituel d'observer une thrombose veineuse extensive, étagée, ou bilatérale et l'absence de retentissement cardiaque droit lors de l'échocardiographie.
L'étape diagnostique ultérieure ne peut être envisagée qu'en milieu hospitalier.
Pour confirmer le diagnostic d'EP, trois examens à la sensibilité et spécificité différentes sont à la disposition du praticien hospitalier. L'angiographie pulmonaire, en dépit de son caractère invasif et de sa iatrogénicité (de 0,5 à 1 % de morbi-mortalité), reste encore aujourd'hui l'examen de référence assorti d'une spécificité et d'une sensibilité supérieure à 98 %. Il est de plus en plus concurrencé par l'angio-scanographie hélicoïdale disponible dans la plupart des centres hospitaliers. Son accès relativement aisé, un protocole d'examen simple, consensuel, et son aspect peu invasif en font un examen diagnostique de choix. Il visualise l'image directe du thrombus endoluminal sous la forme d'une obstruction totale ou d'une lacune intravasculaire aux contours réguliers et entourée de contraste. Le volume d'exploration réalisé sur une hauteur de 12 à 15 cm autorise un diagnostic fiable des troncs artériels proximaux jusqu'aux branches artérielles de 4e ordre. Au-delà, l'analyse de la vascularisation sous-segmentaire ne permet pas une interprétation fiable (1).
La scintigraphie pulmonaire de ventilation/perfusion longtemps concurrente de l'angiographie pulmonaire comporte de nombreuses contraintes (2). La première est la disponibilité immédiate d'un laboratoire de radio-isotopes qui oblige dans bien des cas au transfert du patient. Cela est indéniablement une limite au diagnostic d'un patient hémodynamiquement instable. La seconde tient à sa faible spécificité. De nombreux patients porteurs d'une pathologie broncho-pulmonaire préexistante peuvent présenter des anomalies scintigraphiques non spécifiques. A contrario, une scintigraphie pulmonaire normale écarte l'EP lorsque les autres examens non invasifs ne sont pas discriminants. La dernière limite est la reproductibilité de son interprétation interobservateurs. Ses limites étant connues, la scintigraphie garde encore aujourd'hui une place de choix dans le diagnostic de l'EP. L'avenir sera peut-être l'angiographie par résonance magnétique des artères pulmonaires avec injection de produit de contraste (ARM). Cette nouvelle technique permet, grâce à une reconstruction en 3D, de visualiser avec une bonne spécificité les embolies sous-segmentaires. Cet examen disponible dans quelques centres reste pour le moment limité par sa durée et par la nécessité d'obtenir une apnée prolongée du malade.
En l'absence de tels moyens, quelle stratégie faut-il adopter en pratique de ville ?
En présence d'un cur pulmonaire aigu, la gravité du tableau et la fragilité hémodynamique du patient impliquent son transfert en urgence dans une unité de soins intensifs cardiologique. L'échocardiographie transthoracique complétée dans le même temps d'une échographie Doppler des veines des membres inférieurs est d'emblée réalisée. Elles rechercheront les stigmates directs ou indirects du thrombus. Lorsque celui-ci n'est pas mis en évidence, il faut recourir à l'angio-scanner pulmonaire ou à l'angiographie pulmonaire en fonction des disponibilités du centre et de l'entraînement des opérateurs. L'échocardiographie transsophagienne est dans cette situation un complément utile avant l'instauration d'un traitement thrombolytique lorsque le patient est peu échogène, et qu'il existe une image compatible avec un thrombus des cavités droites.
Lorsque le tableau clinique ne comporte aucun signe de gravité et qu'il existe une forte présomption clinique, l'algorithme décisionnel est celui qui a été défini par la TASK Force Européenne (Fig. ????) (3).
Dans tous les cas, il faut recourir en première intention à l'échographie-Doppler des veines des membres inférieurs couplée au dosage des DD par technique ELISA.
- Si les deux examens sont positifs, le patient est adressé directement dans une unité de cardiologie pour y débuter un traitement. La confirmation diagnostique sera obtenue dans un deuxième temps par l'angio-scanner et/ou la scintigraphie pulmonaire ventilation/perfusion en fonction de l'accessibilité de ces deux techniques.
- Si les deux tests sont négatifs, la recherche d'une autre étiologie devra être effectuée rapidement en milieu hospitalier.
- Si le Doppler veineux est négatif, les DD positifs, et s'il existe une forte suspicion clinique, le patient sera hospitalisé pour rechercher l'EP en urgence par angio-scanographie et/ou scintigraphie. L'échocardiographie cardiaque apportera parfois dans ce cas des arguments indirects d'orientation.
- Enfin, la coexistence d'un thrombus veineux à l'examen écho-Doppler veineux et de DD négatifs est une éventualité rare avec la généralisation du test ELISA.
Conclusion
En conclusion, la démarche diagnostique devant une suspicion d'EP s'appuie sur une stratégie combinée où l'anamnèse et l'examen clinique tiennent une place de choix. Leur bonne interprétation va orienter le choix des examens paracliniques. L'écho-Doppler veineux des membres inférieurs reste l'examen de première ligne complété dans tous les cas par une échocardiographie transthoracique pour estimer le retentissement pulmonaire et rechercher un éventuel thrombus des cavités droites. Les données fournies par ces deux examens conditionnent le choix du traitement. Celui-ci s'appuie de plus en plus sur les héparines de bas poids moléculaire, voire sur les héparines non fractionnées dans les formes graves, précédées parfois par les fibrinolytiques et ce en l'absence de contre-indication. L'opportunité de la recherche d'une cause curable est éminemment fonction du terrain, des arguments cliniques et de quelques examens paracliniques simples et ne prendra donc pas un caractère systématique.
Références bibliographiques :
1) Diagnostic strategies for suspected pulmonary embolism. A. B. Donkers-van Rossum. «Eur Respir J », 2001 ; 18 : 589-597.
2) The PISA-PED investigators. Value of perfusion lung scan in the diagnosis of pulmonary embolism : results of the prospective study of acute pulmonary embolism diagnosis (PISA-PED). « Am J Respir Crit Care Med », 1996 ; 154 : 1387-1393.
3) Guidelines on diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Task force on Pulmonary embolism. European Society of Cardiology. « European Heart Journal », 2000 ; 21 : 1301-1336.
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