IL EST DÉSORMAIS admis qu'en Occident on « aime » forcément ses enfants, d'autant plus que, selon une expression désormais convenue, ils ont été « désirés ». Qu'en est-il de cette réalité et y a-t-il plusieurs façons d'aimer les enfants ? L'amour qui leur est porté est-il universellement comparable, de même que ce fameux « désir d'enfant » désigné comme le responsable de tous les maux lorsqu'il semble avoir été absent ? Que peut et doit faire la société pour les enfants et leurs parents ? Les réponses et les pistes de réflexion proposées par Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, psychanalyste, à cette question de la parentalité «à la fois intime et collective» sont le fruit d'un double voyage, «d'un passage par l'ailleurs», dit-elle, observation ici des enfants de migrants et là-bas d'enfants d'autres contrées. En se penchant à nouveau sur ces enfants de migrants (après « Enfants d'ici venus d'ailleurs »*), sur ceux d'ici qui le demeurent comme sur ceux d'ailleurs et sur leurs parents, Marie-Rose Moro tente de penser ces liens de manière «moins idéale, théorique et affective, plus concrète, sensible et complexe». De ces innombrables histoires d'enfants de migrants qu'elle a l'occasion de prendre en charge en France, à l'hôpital Avicenne de Bobigny, de ces trajectoires qu'elle observe lors de ses missions pour Médecins sans Frontières, émergent mille et un portraits du métier de parent. «La parentalité n'est pas une et indivisible; elle n'est pas sacrée, elle n'est pas donnée, elle se bricole à partir de matériaux intimes, elle se négocie entre les générations et entre les couples», écrit la psychiatre, elle-même fille de l'émigration, comme l'évoque la jolie postface écrite par sa fille à partir du récit de sa mère, Ramona de Arriba Perancho.
Le désir d'enfant est une notion contemporaine et occidentale. Dans de nombreuses cultures, c'est l'enfant qui choisit de venir au monde et non les parents qui le désirent, comme l'explique au Pr Moro une femme camerounaise. Il n'en est pas moins aimé. Multipliant les exemples, croisant les cultures et les expériences, cette militante de la cause des enfants et des parents démontre que soigner consiste à aider les uns et les autres à résister à la fatalité sans a priori et sans préjugé.
Soutenir la parentalité.
Notre société est traversée par un mouvement massif d'identification aux enfants et valorise tout ce qui touche à l'enfance, avec une contrepartie : l'exigence de perfection et de conformation au modèle idéal fantasmé par les parents. Les parents s'identifient aux enfants et réciproquement. Sans toujours réussir à en tirer tout le bonheur attendu. En Occident, les pédopsychiatres sont de plus en plus consultés pour ces enfants d'autant plus précieux qu'ils sont rares ; et les tribunaux appelés à punir de plus en plus tôt sans leur «laisser une seconde chance, celle de devenir des adultes dans une société qui leur donne une place», déplore l'auteur. Manque de désir parental ou carence d'amour sont invoqués à l'envi pour expliquer les échecs, avec la menace corollaire d'imposer aux parents une manière de faire. Ces idées s'imposent le plus souvent devant des situations sociales défavorisées ou des situations culturelles différentes. A l'inverse, un amour étouffant expliquerait d'autres formes de difficultés, liées à l'impossibilité d'émancipation et de rupture du lien et ceci plutôt dans des familles favorisées, urbaines avec peu d'enfants. Ne peut-on pas voir les choses autrement, de façon plus ouverte, en ne laissant jamais la culture oblitérer la singularité et l'humanité de l'autre ? La parentalité est aussi une affaire de structure, d'où la nécessité pour la société de « porter » les parents, de les aider à se fabriquer. Ce besoin, cette question du lien aux enfants et aux groupes qui les portent paraissent universels et transculturels, mais encore plus indispensables dans toutes les situations de ruptures graves et de traumatismes extrêmes. L'enfant palestinien ou du Darfour rejoint en cela le petit Parisien victime de la violence parentale. Les enfants représentent une fragile utopie qu'il faut à tout prix préserver et c'est là le rôle de la société qui les porte, explique Marie-Rose Moro.
Une approche subjective nuancée.
Présenté comme un manifeste argumenté contre l'invasion d'une pensée psychothérapeutique unique, l'ouvrage du psychiatre Jean-Pierre Klein explique, à partir du récit détaillé d'un certain nombre de psychothérapies et d'autant de situations individuelles, en quoi la psychothérapie (réussie) peut être définie comme une intersubjectivité de langages. Par langages, Jean-Pierre Klein, auteur de nombreux ouvrages sur la psychiatrie en général et l'art-thérapie en particulier, mais aussi auteur de théâtre, entend mise en oeuvre de signes ne se réduisant pas au verbal. L'objectif principal de la psychothérapie, dit-il, est de permettre au sujet de se récréer lui-même dans un parcours symbolique, «de jouer avec ses multiples». Idéalement, «la psychothérapie ne prescrit pas, elle précède d'un pas, d'un pas tout juste et pousse plus avant ce qui est en germe», écrit l'auteur. Ni destiné bien sûr à corriger les symptômes, pas plus qu'ayant pour objectif de prendre le pouvoir sur autrui, contrairement aux thérapies cognitivo-comportementales ou à la «chimiatrie exclusive», entre autres techniques qu'il dénonce sévèrement, le modèle de symbolisation accompagnée qu'il propose se présente avant tout comme un outil de lutte contre l'aliénation, à soi-même, aux autres et au monde. Vaste programme ! La lecture de ses histoires cliniques cherche à nous convaincre de la compatibilité de l'approche subjective avec l'abord rigoureux et transmissible de l'expérience soignante. Certes, son idée de revendication de singularité comme urgence politique est revigorante dans ce monde où, dit-il, le sport a été récupéré par le profit, la thérapie repliée sur les médicaments, le conditionnement et les statistiques, la spiritualité dévoyée en sectes ou en fondamentalisme, l'art et la pensée pauvrement conformes ; mais le non-spécialiste a du mal à saisir quels patients peuvent bénéficier de ce mode de psychothérapie et quelles en sont les limites. Parfois ardu, ce petit voyage iconoclaste intéressera néanmoins les cliniciens curieux, amateurs de lecture de cas uniques dont J.-P. Klein estime qu'ils en disent plus sur l'universel qu'une généralité réductrice.
« Aimer ses enfants ici et ailleurs. Histoires transculturelles », Marie-Rose Moro, Odile Jacob, 256 pages, 22,50 euros.
« Petit Voyage iconoclaste en psychothérapie », Jean-Pierre Klein, Presses universitaires de Grenoble, 315 pages, 25 euros.
* Editions La Découverte, 2002.
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