La génétique, c'est pas automatique

Eloge de la complexité

Publié le 17/11/2004
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LE TEMPS DE LA MEDECINE

« IL TIENT ÇA de sa mère », « Elle est comme son père », « Mais d'où cela peut-il bien venir ? » : les jugements les plus simples consistent à rechercher dans l'hérédité l'origine de tous nos maux. Ce serait oublier, comme tentent de le rappeler nombre de psychiatres de l'enfant, que l'individu est avant tout un être de complexité, qui se construit au fil de son existence.
Les progrès de la médecine génétique ont permis notamment le dépistage anténatal - voire préimplantatoire - et le conseil génétique, essentiel dans les (rares) pathologies d'origine monofactorielle. Mais les études épidémiologiques montrent qu'à patrimoine génétique égal (jumeaux homozygotes), le risque de développer des troubles psychiatriques n'est jamais égal - même s'il peut être renforcé de façon significative dans certaines pathologies comme l'autisme. La médecine prédictive peut-elle être applicable à la psychopathologie de l'enfant ? Certains praticiens aiment à rappeler que le marché du diagnostic est bien plus juteux que celui de la thérapie génique... mais là n'est même pas le propos. La médecine prédictive pose beaucoup d'autres questions : à partir de quand considère-t-on que la famille est suffisamment à risque pour proposer un dépistage ? Et si le dépistage montre qu'un enfant est porteur d'un gène fréquemment retrouvé dans une pathologie, quelle est la probabilité pour que lui-même développe réellement ces troubles ? Et si la probabilité est suffisamment élevée pour proposer une intervention, quel sera l'impact du diagnostic sur l'enfant et son entourage ? Des traitements préventifs peuvent-ils fonctionner ? Selon le Pr Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker - Enfants-Malades, psychopathologie de l'enfant et médecine prédictive ne font pas bon ménage, loin de là.

Oui à la prévention, non à la prédiction.
Pour le Pr Golse, il n'est pas très important de savoir si un bébé est spécifiquement à risque autistique ou psychotique par exemple, parce que « si on pense trop à un risque donné, paradoxalement, de manière un peu iatrogène, on risque de l'enfermer là-dedans ». Ainsi les praticiens qui rencontrent des tout-petits doivent avant tout apprendre, à partir de signes d'alerte bien définis, à repérer les enfants en souffrance, ceux qui ont besoin de soins, sans chercher à en déterminer une cause précise. En effet, ajoute-t-il, « les bénéfices de la prévention sont immenses, tandis que la prédiction est une catastrophe » qu'il qualifie de « maléfique ». L'autisme, qui touche 1 à 5 enfants pour 100 000 naissances, est, selon le Pr Golse, un bon exemple de cette distinction. Il n'y a pas de gène de l'autisme infantile, mais une configuration de 12 à 15 gènes qui entraînent une vulnérabilité particulière à cette pathologie. Certains enfants porteurs de cette vulnérabilité pourront très bien ne jamais développer d'autisme, tandis que des enfants exempts de cet héritage génétique peuvent avoir un jour des comportements autistiques. La génétique explique la vulnérabilité. Le reste se met en place - ou non - à partir de nombreux facteurs sociaux, culturels, relationnels, etc.
Il faut, selon le Pr Golse, ne « jamais lâcher le modèle polyfactoriel, sinon on entre dans un système linéaire et on désigne des coupables ». La psychiatrie de l'enfant s'attache donc à respecter l'individu dans sa complexité et à considérer le bébé à l'intérieur du système qu'il forme avec ses parents (ou ceux qui remplissent cette fonction). Les interactions précoces sont essentielles à l'intérieur de ce système, où la plasticité du cerveau non seulement permet une construction progressive, mais aussi promet une réversibilité possible. La génétique définit la vulnérabilité (facteurs primaires), tandis que les facteurs secondaires fixent ou non la pathologie. La pédopsychiatrie, discipline dans laquelle « on ne peut pas avoir de raisonnement médical et linéaire », travaille sur ces facteurs secondaires afin de prévenir le développement de la maladie. Il s'agit de maintenir au maximum une ouverture sur l'ensemble des possibles, en évitant à tout prix un déterminisme destructeur. D'autant que, ajoute Bernard Golse, on connaît encore si peu de choses en matière d'étiologie qu'il faut « s'empresser de ne pas conclure ».

Pour en savoir plus : le cours de Bernard Golse à l'Université de tous les savoirs, www.tous-les-savoirs.com.

> FLAVIE BAUDRIER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7634