La réforme du système conventionnel que vous venez de faire adopter par l'Assemblée nationale (voir encadré) est-elle de nature à rompre avec la logique comptable du plan Juppé et à revenir à une maîtrise médicalisée des dépenses de santé ?
ELISABETH GUIGOU
C'est une vraie rupture avec le plan Juppé dans la mesure où ce que je propose aux professionnels, c'est de faire le pari de la responsabilité collective, de l'engagement dans un contrat qui, dès lors qu'il est respecté, conduira à la suppression des lettres clés flottantes (1). Ce système de régulation des dépenses était contesté et d'ailleurs ne fonctionnait pas. C'est, au contraire, une participation des professionnels à la régulation que j'ai proposé et ce au terme d'une très large concertation engagée depuis le 25 janvier avec tous les professionnels libéraux. Un système de régulation des dépenses est nécessaire dès lors que des financements publics sont en jeu. Il faut donc s'assurer collectivement de la meilleure utilisation possible de ces fonds mais sans faire porter aux seuls médecins et aux professionnels l'entière responsabilité de leur progression. La mise en place de contrats qui offrent aux professionnels une amélioration des rémunérations lorsqu'il y aura de leur part des engagements spécifiques sur les bonnes pratiques de soins me paraît donc une bonne chose. En tout cas, c'est un signe de confiance à leur égard.
En aucun cas, ils ne devront négocier sous la contrainte. Au contraire, ce que nous essayons de construire, c'est un équilibre dans une relation de confiance. Je crois que les médecins sont avant tout préoccupés par la qualité des soins, le juste soin. Il est indispensable que des actions communes leur fasse prendre conscience, par exemple, de réduire l'usage des antidépresseurs et d'éviter la prescription systématique d'antibiotiques en cas d'angine.
Cela demande bien sûr du temps, mais je pense que c'est à travers ce type d'actions, la mise en place de bonnes pratiques, que nous pourrons, à terme, obtenir la disparition du mécanisme de lettres clés flottantes. Maintenant, pour ceux qui ne voudraient pas entrer dans le système conventionnel, s'engager dans un contrat, discuter, alors, là, les lettres clés subsisteraient.
C'est un choix que je propose aux médecins. Je ne cherche pas à leur dicter leur attitude, mais il faut bien voir que nous avons un système mixte qui concilie financements publics et exercice libéral. Il faut que ce système perdure car c'est le meilleur du monde. Mais pour qu'il perdure, il faut des contrats. Quant aux termes de ces contrats, ils seront discutés avec les médecins sur la base de leur pratiques médicales. Ce ne seront pas des discussions a priori comptables. C'est tout le pari de ce nouveau mode de régulation dont j'attends beaucoup plus que du système mis en place par le plan Juppé.
Pas de préalables
Le principal syndicat de médecins, la CSMF, conteste en particulier le fait qu'il subsiste un objectif annuel de dépenses qui puisse leur être opposable.
Je pense que nous avons engagé une dynamique. La mission des sages conduite dans la cadre du Grenelle de la santé a proposé que l'on fixe un objectif des dépenses d'assurance-maladie pluriannuel. Je n'y suis pas opposée, au contraire. Mais il faut bien commencer par quelque chose. Un processus de confiance, ça se bâtit petit à petit. C'est vrai que la CSMF reste critique puisqu'elle a fait de cette question (ndlr : la suppression des objectifs de dépenses opposables) un préalable. Ne parlons pas de préalables et poursuivons les discussions. Si nous arrivons à un accord, les lettres clés flottantes ne seront pas appliquées. Je note d'ailleurs que plusieurs autres syndicats représentatifs de professionnels libéraux ont soutenu cette démarche.
Je crois avoir, en tout cas, engagé un processus de discussions et formulé des propositions qui visent à introduire un autre mode de relations. C'est la première fois que cela se fait. On est à mille lieux de la philosophie et de la réalité du plan Juppé.
Ce n'est pas exact. C'est vrai que l'on a augmenté la dotation du système hospitalier au sens large - hôpitaux et cliniques - qui assume des charges sans cesse croissantes. Je pense notamment aux urgences. Mais nous avons aussi augmenté les enveloppes destinées à la médecine de ville dans des proportions qui ne sont pas négligeables. Il faut quand même rappeler que, pour les médecins libéraux, les objectifs de dépenses sont passés de 2 % en 1997 à plus de 3 % aujourd'hui et que, depuis 1998, les dépenses d'honoraires des professionnels libéraux ont progressé de 16 milliards de francs, soit de 12 %. C'est un effort important. J'ajoute qu'avec Bernard Kouchner nous avons pris des mesures spécifiques en direction de certains professionnels. Je rappelle les efforts faits pour les gynécologues-obstétriciens l'été dernier. Nous sommes en train de mettre en place avec les radiologues le dépistage du cancer du sein à la suite d'un excellent travail de concertation et nous allons publier très prochainement l'arrêté de nomenclature (2). Nous travaillons également sur la nomenclature pour les pneumologues. Et pour les généralistes, je veux rappeler que nous avons augmenté des actes spécifiques : les visites aux personnes âgées, la rémunération des actes pratiqués en urgence. C'est également un point à prendre en compte.
Honoraires : c'est du ressort des conventions
Les médecins estiment néanmoins que le tarif de la consultation (115 F) est insuffisant et qu'une revalorisation substantielle permettrait de limiter le nombre de consultations, voire les prescriptions. Etes-vous convaincue par ce type de raisonnement ?
Pas du tout. Je connais la pression que ressentent les médecins libéraux. Je pense que s'ils font des actes, c'est sous le signe du juste soin et que, par conséquent, c'est cela qui détermine avant tout leur activité. On estime généralement à un quart d'heure la durée de la consultation, ce qui est plus que dans la plupart des autres pays européens. C'est vrai que le tarif de l'acte peut paraître peu élevé mais je crois qu'il faut prendre en compte tous les éléments de la rémunération. Il y a les avantages sociaux, les majorations de nuit et de week-end pour les urgences. Si on discute des rémunérations, et cela me paraît légitime, il faut poser la question de l'ensemble des rémunérations, pas seulement mettre en évidence un seul de ces éléments.
Dans l'esprit du nouveau cadre conventionnel, je ne peux qu'être favorable à toute proposition d'amélioration des rémunérations qui irait dans le sens de l'amélioration du service rendu à la population. C'est dans le cadre du nouveau contrat conventionnel que s'inscrit désormais la question de la rémunération.
Dès que la loi sera promulguée, nous allons travailler sur les décrets d'application. Il faut ensuite déterminer les zones où il y a des besoins et qui bénéficieront de ces aides spécifiques. Les experts ont commencé à travailler pour déterminer ces besoins. Nous avons aussi des zones déjà déterminées dans le cadre de la politique de la ville. Nous n'allons pas partir de rien.
Je souhaite que l'on aille le plus vite possible car c'est une mesure très attendue et je crois que c'est une bonne mesure.
L'opposition obsédée par les comptes sociaux
L'opposition a vivement critiqué la réforme du système conventionnel et plus globalement l'ensemble de la loi de financement de la Sécurité sociale. Que vous-inspire cette attitude ?
L'opposition a la mémoire courte. Avec cette loi et avec la précédente loi de financement, nous avons considérablement amélioré les prestations dont bénéficient tous les assurés sociaux. Et nous avons pu la faire parce que nous avons considérablement amélioré l'équilibre des comptes. Evidemment, quand il y avait un déficit de 200 milliards de francs, ce qui était le cas entre 1994 et 1997, il était difficile de faire grand chose. Nous avons restauré l'équilibre et les excédents de l'année 2001 seront meilleurs que prévus, ce qui nous a permis d'utiliser ces masses financières pour améliorer l'assurance-maladie, les accidents du travail, la politique familiale, l'aide aux personnes âgées ou encore mettre en place un fonds d'indemnisation pour les victimes de l'amiante. L'opposition n'a pas su faire ça. J'observe d'ailleurs qu'elle s'obstine à parler en permanence des comptes sociaux et jamais des assurés sociaux.
Certains disent que la santé est un bien premier. Objectivement, il n'est pas étonnant que les dépenses de santé tiennent une place de plus en plus importante dans nos sociétés car la population vieillit et les progrès techniques, les équipements, les traitements coûtent de plus en plus chers. Je pense qu'il y a aujourd'hui un certain consensus de la Nation pour admettre qu'une part plus importante des dépenses publiques aille vers les dépenses de santé et c'est la raison pour laquelle nous avons voulu qu'il y ait des débats publics sur cette question. Il y avait déjà le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Maintenant, nous aurons un débat au mois de juin avant le débat sur le projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale. Cela permettra de poser des questions de manière globale, car la santé c'est d'abord la solidarité, donc la Sécurité sociale et ses cotisations, et donc l'emploi. Evidemment, quand on gouverne, on est responsable de l'ensemble des dépenses publiques. Il y a la santé, mais il y a aussi d'autres dépenses. Et on ne peut augmenter indéfiniment les prélèvement sociaux car cela finit par nuire à la compétitivité de notre pays. Ce qui est souhaitable, c'est qu'à l'intérieur d'un niveau supportable de prélèvements, qu'il faut, je pense, stabiliser, on fasse des choix sur la place des dépenses de santé par rapport aux autres dépenses publiques. Je pense personnellement qu'elles occuperont une place de plus en plus importante, mais cela ne les exonère pas de l'effort de modération qu'on impose à toutes les autres.
Le plus grand mal. Parce que je pense que cela nous entraînerait dans un système à deux vitesses avec sélection des risques qu'en France nous avons réussi à éviter. Chez nous, on n'est pas obligé pour accéder à un hôpital ou à une clinique de montrer sa carte bancaire. C'est un bien qu'il faut absolument préserver.
Arrêt Perruche : éviter les dérives
Allez-vous modifier le projet de loi sur le droit des malades afin d'élargir l'indemnisation de l'aléa thérapeutique notamment à la lumière de l'arrêt Perruche ?
Sur l'aléa thérapeutique, les dispositions que nous avons présentées sont déjà un pas très important. Maintenant, si l'on parle de l'arrêt Perruche, le même projet de loi sur le droit des malades dit que la responsabilité des médecins ne peut être engagé que si la faute est avérée et que nous instaurons une obligation d'assurance des professionnels de santé qui n'existe pas aujourd'hui. Celle-ci doit nous permettre de négocier avec les compagnies d'assurance le montant des primes. C'est ce que nous allons faire. Je vois bien l'inquiétude des échographes et des gynécologues qui redoutent la judiciarisation excessive et l'augmentation consécutive de leurs primes.
Je crois qu'il faut regarder ces questions le plus objectivement possible. Mon analyse des arrêts de la Cour de cassation, c'est qu'on n'indemnise pas le fait d'être né mais le handicap. D'autre part, toutes les décisions d'indemnisation prises par la Cour de cassation sont liées à des fautes lourdes. Quand un médecin ne prescrit pas une amniocentèse à une femme qui a déjà fait deux fausses couches avec des foetus trisomiques, c'est une faute lourde. Et quand il y a faute, il y a faute. Ce qu'il ne faut pas c'est qu'il y ait des dérives, que des médecins se voient reprocher de ne pas avoir prévenu la patiente pour des handicaps mineurs. Je comprends l'émotion des professionnels qui demandent à la loi de poser des limites. Qu'à cela ne tienne, c'est ce que nous faisons, car c'est la loi et non les tribunaux qui doit dire ce qui est possible et ce qui n'est pas possible. La combinaison de la loi sur le droit des malades et sur l'IVG cadre les choses dans ce domaine. En effet, le problème ne peut être posé que dans les cas listés très précisément dans la loi pour justifier une interruption médicale de grossesse. Mais je suis prête à en débattre. Qu'on me prouve que le dispositif n'est pas suffisant et qu'il y a des risques de dérive et nous l'améliorerons.
Et puis, nous avons également décidé, avec Bernard Kouchner, de saisir l'ANAES pour élaborer un guide des bonnes pratiques en matière de diagnostic prénatal.
(1) Le dispositif dits des lettres clés flottantes permet à la Caisse nationale d'assurance-maladie de modifier dans une limite de 20 % le tarif des actes professionnels de santé si leurs dépenses augmentent plus rapidement que l'objectif fixé en début d'année.
(2) Il s'agit de la création d'une lettre clé Zm spécifique à la mammographie qui sera coté Z41 soit 435 F.
Ce que prévoit la réforme du système conventionnel
La réforme du système conventionnel, adoptée par l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale modifie les relations entre les caisses d'assurance-maladie et les professionnels de santé.
Les conditions d'exercice de ces derniers seront désormais déterminées à deux niveaux : d'abord par un accord-cadre négocié par le Centre national des professions (CNPS) qui définira les règles communes à tous les professionnels libéraux et tentera d'instaurer des mécanismes de coordinations entre eux. Ensuite, il y aura des conventions par profession qui fixeront à la fois les tarifs des actes des professionnels et les modalités de régulation de leurs dépenses. Négociées entre les caisses et les syndicats représentatifs, ces modalités de régulation devront prendre la forme d'engagements collectifs et individuels des professionnels sur l'évolution de leur activité, par le biais d'accords de bon usage de soins ou de contrats de bonnes pratiques qui pourront être déterminés au niveau national ou local. Les engagements individuels qui seront laissés à la libre adhésion des professionnels pourront donner lieu à des rémunérations complémentaires sous forme de forfait. Ces rémunération complémentaires pourront également être accordées aux professionnels qui souscrivent des contrats de santé publique en échange de leurs engagements dans la prévention, la permanence ou la coordination des soins.
Les professions qui ne parviendraient pas à un accord avec les caisses d'assurance-maladie sur ces engagements seraient régies par un règlement conventionnel et retomberaient sous le coup du dispositif des lettres clés flottantes (baisses des tarifs d'honoraires en cas d'évolution des dépenses plus rapide que prévu).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature