De notre envoyé spécial
Faut-il rappeler la fréquence de la dermatite atopique (DA) qui touche de 10 à 15 % des enfants européens, la prévalence ayant été multipliée par deux ou trois au cours des trente dernières années. Le Pr T. Ruzicka (Düsseldorf) a rappelé que 65 % des DA apparaissent durant la première année de la vie et que 90 % se développent avant l'âge de cinq ans. Si 40 % de ces enfants guérissent de la maladie spontanément en vieillissant, les autres doivent vivre avec elle, en sachant que la maladie affecte la qualité de vie de façon plus ou moins importante, en particulier à l'adolescence où les éruptions visibles affectent la vie sociale.
A l'heure actuelle, le traitement repose sur l'utilisation des crèmes stéroïdes associées à des hydratants et des antihistaminiques, des antibiotiques devant être fréquemment utilisés pour traiter les surinfections. Dans les formes sévères, on doit recourir aux corticoïdes par voie systémique et, parfois, à la photothérapie et à la photochimiothérapie.
L'arrivée des immunomodulateurs topiques non stéroïdiens pourrait bouleverser ces règles thérapeutiques. Comme l'a rappelé le Pr Sergio Romagnani (Florence), l'utilisation de ce type de produits, et en particulier du tacrolimus pommade, repose sur un constat physiopathologique : si la maladie apparaît comme le résultat d'interactions complexes entre facteurs génétiques environnementaux, immunologiques et pharmacologiques, les cytokines produites par les cellules T helpers de type 2 (TH2) semblent jouer un rôle clé dans la réponse inflammatoire caractéristique de la maladie, alors que les cytokines Th1 produites en réponse à des infections bactériennes et fongiques semblent prévalentes dans l'eczéma chronique. Or des études expérimentales ont montré que le tacrolimus inhibait fortement la production des cytokines Th1 (IL2 et interféron gamma) et des cytokines de type Th2 IL4, IL5 et IL13) ; l'effet du tacrolimus sur les cytokines Th1 s'observe à des concentrations plus faibles, ce qui suggère que le tacrolimus peut être particulièrement efficace sur les réductions de l'inflammation secondaire aux infections surajoutées, au cours de l'eczéma chronique. Quoi qu'il en soit, ces données ont justifié la mise en route d'essais cliniques dans la dermatite atopique.
Le rationnel des TIMS
A ce jour, plus de 10 000 patients ont été traités avec l'onguent de tacrolimus dans le cadre d'essais cliniques effectués chez les adultes et chez les enfants.
Le Pr Malcolm Rustin (Londres) a présenté les résultats d'un essai de phase 3 randomisé en double aveugle et effectué en parallèle, ce qui a permis de comparer l'onguent de tacrolimus dosé à 0,03 et 0,1 % et un onguent de butyrate d'hydrocortisone à 0,1 % chez un total de 570 patients (recrutés par vingt-sept centres répartis dans huit pays européens), présentant des formes sévères à modérées d'eczéma atopique. On demandait aux patients d'appliquer le produit sur toutes les lésions deux fois par jour pendant trois semaines, traitement qui devait être poursuivi même en cas de disparition des lésions. Le critère d'évaluation principal était le mEASI, autrement dit l'index de sévérité et d'étendue de l'eczéma, ce critère étant exprimé comme un pourcentage de la valeur observée avant traitement. L'interprétation des résultats étant faite par la comparaison des aires sous la courbe (AUC) moyennes pendant tout le traitement.
La moyenne de ces valeurs, exprimée en pourcentage des données basales fait état d'une amélioration notable ou d'une disparition (amélioration de plus de 90 %) chez 39 % des patients ayant reçu le plus faible dosage de tacrolimus et de 50 % dans les deux autres groupes. Autrement dit, le corticoïde et le tacrolimus à la dose de 0,1 % donnent des résultats équivalents, en sachant que les patients sous tacrolimus enregistrent une amélioration rapide, apparente dès le 3e jour.
Aucun effet secondaire sérieux n'a été enregistré, les manifestations les plus fréquentes ayant été des brûlures et des prurits cutanés au niveau d'applications du tacrolimus, irritations locales transitoires, particulièrement pendant le premier jour du traitement.
Pour sa part, le Pr Jan D. Bos (Amsterdam) a présenté les résultats d'une étude multicentrique, réalisée au Canada et en Europe, randomisée en double aveugle et en parallèle, ayant comparé les deux mêmes dosages de tacrolimus à un onguent d'acétate d'hydrocortisone à 1 % chez 560 enfants âgés de deux à quinze ans, et présentant des formes sévères à modérées d'eczéma atopique. Les critères d'évaluation étaient les mêmes et la durée du traitement était de trois semaines. On constate ainsi que les deux dosages de tacrolimus ont une efficacité significativement supérieure (p < 0,001) et que, en outre, le plus fort dosage (0,1 %) est significativement supérieur au plus faible dosage à 0,03 % de tacrolimus (p = 0,006). Sur une période de trois semaines, l'amélioration médiane par rapport à l'état basal est de 55 % et de 60 % avec tacrolimus 0,03 % et 0,1 % et de 36 % sous acétate d'hydrocortisone. Les guérisons ou améliorations de plus de 90 % sont respectivement notées dans 38, 48 et 15,7 % des cas, sur la base de l'évaluation clinique globale effectuée par le prescripteur. Là encore, les irritations locales représentent le seul événement indésirable significatif (p < 0,05). La bonne tolérance d'ensemble du tacrolimus est soulignée par le Pr Bos, un élément effectivement très important dans cette population.
Résultats à long terme
Enfin, le Pr S. Reitamo (Helsinki) a présenté les premiers résultats obtenus chez des patients traités pendant un an par tacrolimus. En premier lieu, on constate que l'efficacité clinique est maintenue sans phénomène de tachyphylaxie, et que la tolérance reste bonne, sans développement d'immunodépression. Le Pr Reitamo insiste sur le fait que ces résultats sont obtenus à condition de ne pas associer le tacrolimus aux corticoïdes. Au-delà de ces données basales, plusieurs données suggèrent des effets favorables du traitement par le tacrolimus : amélioration des réactions d'hypersensibilité de type retardé (ce qui suggère une amélioration de la fonction Th1), diminution des taux d'IgE chez les patients enregistrant l'amélioration clinique la plus nette (ce qui suggère une diminution de la fonction Th2), diminution de l'incidence des infections virales et de la colonisation cutanée staphylococcique. Par ailleurs, on enregistre une diminution de l'atrophie cutanée et une amélioration de la croissance chez les enfants sans que l'on puisse pour l'instant dire si ces phénomènes sont plus liés à l'arrêt des corticoides et/ou à un effet direct du tacrolimus.
Des données qui devraient être précisées par d'autres études en cours, en particulier en Europe.
Quoi qu'il en soit, le tacrolimus apparaît comme une nouvelle option de traitement et un espoir d'améliorer nettement la qualité de vie des patients, comme en témoigne l'intervention d'une jeune patiente finlandaise qui a pu retrouver une vie sociale, dominée par la danse, quasi normale, après traitement par le tacrolimus. Le tacrolimus pommade ou Protopic, déjà disponible en Amérique du Nord et au Japon, est donc attendu par les spécialistes européens avec une certaine impatience.
(1) Congrès satellite organisé dans le cadre du Congrès 2001 de l'EADV, Munich.
Protopic vient d'obtenir son AMM européenne.
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