ECRIRE pour exprimer le non-dit, pour faire passer des émotions, pour libérer des tensions, tout le monde connaît cela : littérature, journaux intimes, blogs autoqualifiés de « thérapeutiques » sur Internet, voire écriture épistolaire..., qu'est-ce qu'un atelier d'écriture pourrait faire de plus ? Paradoxalement, l'atelier ne se caractérise pas par son travail sur l'écrit, mais par son corollaire : la lecture. Les formateurs ne s'y trompent pas, en proposant aux soignants désireux de lancer des ateliers, de commencer par « réapprendre » à lire.
Des mots à partager.
L'atelier d'écriture thérapeutique est avant tout un lieu de rencontres, d'échanges et d'expérimentations, structurés autour de la chose écrite. En dehors de ces points, il y a peu de règles communes. Certains ateliers sont réservés aux patients (spécifiquement en psychiatrie), d'autres sont ouverts également aux soignants, voire à l'extérieur de l'institution. « Nous avons par exemple formé des infirmières qui, après avoir suivi elles-mêmes des ateliers d'écriture, voulaient en proposer à des groupes de patients dans l'hôpital psychiatrique où elles travaillaient », explique un formateur. Certains fonctionnent avec un groupe fermé et à dates fixes, d'autres changent de participants à chaque séance. Un atelier invite par exemple chacun à apporter « ses » mots. Ces derniers sont mis en commun, listés, échangés : à chaque séance, on produit des textes à partir de ses propres mots, ou à partir de certains mots des autres participants. Paradoxalement, les limites formelles libèrent la créativité avec un effet à la fois contenant et de mise à distance. La tension émotionnelle, ramenée à deux dimensions, est réduite d'autant. Dans d'autres ateliers, on va simplement laisser libre cours à l'imagination de chacun.
La plupart des ateliers sont animés par des binômes soignant-écrivain, dont les compétences doivent être réelles et la formation sérieuse. Il ne s'agit pas seulement de faire émerger de l'écrit, il faut ensuite gérer l'après : comment réagir face à des textes choquants pour le groupe ? Que faire des émotions suscitées par la lecture d'un texte ? Comment contenir le glissement fréquent vers le groupe de parole, ce que l'atelier n'est pas ? Et surtout, comment inscrire ce travail dans le projet de l'institution : l'atelier est-il une thérapie de groupe, une part du projet de soins, un loisir salvateur, une soupape pour les patients et le personnel ?
Déplacer les problématiques.
L'écriture, comme la parole, n'est pas thérapeutique en elle-même. Elle peut le devenir dans certaines conditions, avec des limites, comme le montre une expérience menée auprès de patients alcooliques dans le 14e arrondissement de Paris. Les initiateurs ont pu évaluer « la progression psychologiquedes patients mais aussi la récupération de leurs fonctions cognitives ». « Aussi faut-il être vigilant et éviter d'entraîner certains patients dans ce type d'activité alors qu'ils ne peuvent l'assumer tant intellectuellement que psychologiquement et risquent de se retrouver en situation d'échec », estiment les auteurs.
Surpris par la qualité des écrits « chez des personnes n'étant pas familières de ce mode d'expression », ils ont néanmoins constaté que la contrainte permettait « de déplacer l'angoisse de fond vers une angoisse de forme », puisque la question n'était plus de maîtriser le contenu du discours, mais simplement d'arriver à s'exprimer en respectant certaines règles formelles. « Nous ne craignions pas seulement d'avoir l'air étrange ou de faire pitié ; nous avions peur de mal écrire », rapporte le patient d'un autre atelier. Autre forme de déplacement : celle qu'autorise la lecture publique du texte, comme en témoigne un autre patient selon lequel deux personnes participaient à chaque histoire, « l'auteur et le lecteur, et le lecteur percevait souvent des choses dont l'auteur n'était pas conscient ».
On le voit, le travail d'écriture dépasse largement la question de l'expression écrite. Le fait de laisser une trace revêt une double importance : celle d'être relu, mais aussi la possibilité d'archiver les textes, d'y revenir, de les confronter d'une période sur l'autre. Ce travail n'est possible que si le patient a l'assurance que les productions de l'atelier vont y rester et ne seront pas transmises au médecin, ce qui n'exclut pas des réunions de synthèse entre soignants pour évoquer les questionnements du patient lors de la séance.
Enfin, les soignants ne sont pas oubliés non plus : s'ils ne participent pas eux-mêmes à des ateliers mixtes avec leurs patients, ils peuvent intégrer des ateliers spécifiques qui s'apparenteront à un travail de mise à distance de leurs tensions professionnelles, voire à des groupes d'analyse de la pratique.
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