Dystrophie unguéale : l'eczéma des ongles existe aussi

Publié le 15/05/2001
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PRATIQUE

• Tableau de panaris multiples
Mme M. Olga, 72 ans, est vue pour la première fois en septembre 1995 pour une éruption de la matrice des ongles de l'index et du majeur gauches ainsi que du majeur droit, ayant débuté un mois auparavant par un œdème et un érythème des pulpes de tous les doigts des deux mains. Son traitement usuel antihypertenseur, hypolipémiant et veinotonique n'a pas été modifié depuis trois ans. L'épisode d'œdème douloureux des doigts un mois auparavant a été suivi d'un écoulement de pus autour des ongles des 1, 2 et 3e doigts gauches et 3e droit. Il existe à ce niveau une dystrophie modérée et un œdème des matrices des ongles.
On évoque en premier des panaris multiples d'autant que la patiente signale un épisode de « croûtes » nasales à la même époque. Un traitement antibiotique per os antistaphylococcique pendant huit jours n'entraîne pas d'amélioration. Le prélèvement retrouve un Candida et un traitement antifongique par Griséfuline est prescrit pour un mois. Devant l'absence complète d'amélioration, un nouveau prélèvement bactériologique et mycologique est effectué dans l'hypothèse d'un champignon résistant et un traitement par Lamisil per os et Locéryl vernis localement est prescrit en attendant les résultats de la culture.
• Aggravation de l'onychodystrophie
L'absence d'amélioration des ongles avec, au contraire, aggravation de l'onychodystrophie et la culture négative font alors évoquer un psoriasis bien qu'il n'y ait pas d'antécédent personnel ni familial, mais l'examen retrouve une langue scrotale et une hyperkératose des deux coudes non prurigineuse. De plus, la patiente signale, depuis un an, des épisodes au niveau des bras et des genoux, qui disparaissent simplement avec l'hydratation. Un corticoïde local puissant appliqué pendant un mois sur les matrices des ongles n'entraîne aucune amélioration. Un traitement par Soriatane est alors proposé après bilan sanguin. Après deux mois de traitement, des sept ongles atteints au début du traitement par Soriatane, cinq ongles sont guéris et il persiste une atteinte sur le pouce gauche et le majeur droit, qui sont les doigts dont la patiente se sert le plus, dit-elle.
• Les gants et... les doigtiers
Mais la constatation d'un eczéma craquelé du menton, des cuisses et surtout des mains et des avant-bras remontant jusqu'à la limite du bord des gants de façon linéaire fait discuter un eczéma de contact au latex. Le Soriatane est arrêté et les gants de latex sont remplacés par des gants en vinyle. Les tests épicutanés alors réalisés sont négatifs à 48 heures, mais la lecture à une semaine montre une positivité au mercaptobenzothiazole et au mercapto-mix correspondant à des agents de vulcanisation du caoutchouc. L'interrogatoire nous apprend alors que, depuis le début, la patiente utilisait sans le mentionner, à cause du « risque de contagion », des doigtiers en latex qu'elle se procurait chez son pharmacien régulièrement et qu'elle avait « gentiment » continué d'utiliser sur certains ongles sous les gants de vinyle !
La suppression du contact entraîne l'amélioration rapide du problème cutané et un peu plus lente des ongles ; en effet, le délai de renouvellement complet d'un ongle de main est d'environ six mois.
• Commentaires
Cette observation appelle de nombreux commentaires :
1. L'eczéma des ongles existe et il faut y penser devant une atteinte de la matrice qui est œdémateuse et érythémateuse, rarement micro-vésiculeuse. L'onychodystrophie n'apparaît que secondairement après l'inflammation et est la conséquence de la souffrance de la matrice sous l'épiderme inflammatoire. Les principaux facteurs de contact à ce niveau sont la colophane des sparadraps et les éventuels antiseptiques utilisés. (Pour mémoire, les eczémas de contact aux vernis à ongles ne donnent pas de dystrophie unguéale mais des plaques d'eczéma des paupières, des faces latérales du cou et/ou des lèvres, qui sont les zones où l'allergène est déposé machinalement.)
2. Les contacts sont souvent totalement occultés par les patients en toute bonne foi et c'est tout l'intérêt d'une batterie standard européenne de « débrouillage » qui permet de poser les bonnes questions, une fois qu'un allergène est identifié, lorsque le premier interrogatoire n'a rien permis de suspecter.
3. La lecture tardive des tests est essentielle, car un certain nombre de patients ne présentent aucune réaction à 48 heures. Dans ce cas précis, l'absence de lecture tardive aurait conduit à un diagnostic de psoriasis rebelle qui aurait sans doute été pérennisé par le port des fameux doigtiers, la composante cutanée de cet eczéma étant masquée par l'utilisation régulière de corticoïdes locaux.
4. La patiente a probablement fait une authentique candidose d'un ou de plusieurs ongles au départ et s'est secondairement sensibilisée au latex du fait du port des doigtiers.
• En conclusion
Lorsque les différents traitements appliqués classiquement efficaces sont inopérants, le diagnostic initial doit être remis en cause.

Dr Aude NASSIF hôpital Tarnier-Cochin, Paris.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6918