« LA DECOUVERTE de l'existence d'Helicobacter pylori en 1982 dans l'estomac a tout d'abord créé l'incrédulité. Et deux camps sont apparus, les pour et les contre », se remémore le Pr Marc-André Bigard (centre hospitalier Brabois, Nancy). Il faut savoir que les travaux de l'Américain Palmer, le « pape » de l'endoscopie, dans les années 1954-1955, avaient conclu de façon péremptoire que l'estomac était un milieu stérile. Des débats contradictoire sont donc apparus en France entre les anciens et les modernes.
On découvrait à l'époque une bactérie associée à l'inflammation, mais on ne savait pas si elle colonisait la muqueuse en raison de cet état inflammatoire ou si elle était là auparavant. Un ulcère récidivait dans 60 à 80 % des cas dans l'année, 80 % du point de vue symptomatique et 80 % au cours d'endoscopies systématiques. A la fin des années 1980, « ce fut une étape essentielle pour les cliniciens » de découvrir qu'en éradiquant H. pylori avec un bithérapie ou une trithérapie (métronidazole, anti-H2 et amoxicilline) l'ulcère ne récidivait pas. Les trois études publiées et concordantes à l'époque annonçaient moins de 10 % de récidive. Même si elles n'avaient pas une méthodologie irréprochable, elles ont pesé d'un poids énorme sur la conviction des gastro-entérologues.
Le passif des connaissances sur l'ulcère.
« C'est à ce moment que j'ai été convaincu », se souvient le Pr Bigard. D'autres l'ont été moins. Il faut reconnaître que c'était lourd à cette époque. C'était une maladie au long cours, qui durait toute la vie ; elle rechutait au printemps et à l'automne. Les ulcéreux consultaient deux fois par an, en annonçant : « Ça y est, docteur, ça recommence. » Dans les années 1960-1970, les médecins prescrivaient alors de l'oxyferriscorbone sodique, en I.M., pendant un mois, et un pansement gastrique. Les traitements étaient lourds, « mais c'était normal ». De temps à autre, un patient était perdu de vue : il avait fait une complication (hémorragie, perforation) et avait été opéré. « On voyait également de vieux ulcéreux avec des sténoses médiogastriques ou du bulbe. »
Un constat avait été fait, rapporte le Pr Bigard : si on diminuait l'acidité gastrique, la muqueuse cicatrisait mieux. Les premiers essais faits avec la cimétidine, au début des années 1970, montraient davantage de cicatrisation que sous placebo. « Un constat qu'avait permis le développement de l'endoscopie », la radiographie étant plus limitée dans ce domaine. C'est ainsi qu'ont été mis au point des traitements d'entretien de la maladie. Après le traitement d'attaque par 800 mg de cimétidine, ou 300 mg de ranitidine, un anti-H2 était prescrit au coucher. Ce traitement, pris de façon continu, permettait de réduire le taux endoscopique de récidive à 20 % environ, à six-douze mois, au lieu des 60 à 70 % attendus. « Mais ce traitement n'était que suspensif. A l'arrêt, les récidives survenaient dans les trois à quatre mois. » De plus, chez les patients asymptomatiques, le plus souvent jeunes, entre 35 et 40 ans, stressés, le traitement était arrêté au bout de quelques mois. Le plus souvent alors, ils rechutaient, ou survenait une complication.
Un traitement d'une quinzaine de jours.
C'est dans ce contexte qu'est arrivée la notion de traitement d'une quinzaine de jours qui guérissait l'ulcère : métronidazole et amoxicilline, au congrès de Sydney en 1990. Il était présenté comme le standard, qui préviendrait les rechutes.
« En 1992, j'ai été nommé secrétaire de la Société française de gastro-entérologie, raconte le Pr Bigard. L'un de mes premiers soucis a été de mettre sur pied une conférence de consensus sur H. pylori . C'est un moyen puissant de faire diffuser des recommandations. » La réunion avait été précédée d'enquêtes de pratique. Quasiment personne n'éradiquait la bactérie, alors que le rôle important du traitement était connu depuis cinq ans déjà. Le traitement avait du mal à entrer dans la pratique, parce qu'il était lourd, que les galéniques n'étaient pas adaptées. La conférence de consensus a fait changer les mentalités. « Il faut reconnaître que l'Agence du médicament avait été réactive et que les AMM ont suivi. » La confirmation est aussi arrivée d'essais thérapeutiques de bonne qualité qui se sont multipliés. Ils établissaient le taux de récidive à moins de 2 à 3 %, notamment grâce aux tests respiratoires.
« Pour les jeunes médecins, cela semble vraiment de l'histoire ancienne, ces cas de patients hospitalisés pendant quinze jours dans un service de gastro-entérologie, auxquels on faisait boire du lait et dont on traitait les douleurs. De même, les complications ont quasiment disparu, que ce soit la sténose pylorique ou les perforations, qui sont maintenant dues à des ulcérations par prise d'anti-inflammatoires. »
Aujourd'hui, le diagnostic d'ulcère repose sur l'endoscopie avec biopsies gastriques, seul endroit où réside H. pylori (dans le mucus acide). Plus simplement, l'éradication est attestée par un test respiratoire réalisé de six à huit semaines après la fin du traitement. Il est très sensible et très spécifique. Les mentalités ont définitivement changé.
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