LES INFIRMIÈRES et le médecin ont été reconnus coupables et condamnés à mort par un jugement du 6 mai 2004. Alors que personne, ni le gouvernement libyen ni les organisations internationales, ne croit à la culpabilité des soignants, le colonel Kadhafi espère, d'une part, noyer la responsabilité de ses propres services sanitaires dans un procès à grand spectacle assorti des cris de mort des manifestants et, d'autre part, négocier la libération des six malheureux détenus contre une forte somme. Celle-là même qu'il a dû verser aux familles des appareils de ligne qu'il avait fait abattre quand il a voulu normaliser ses relations avec les Etats-Unis et l'Europe.
Triplement criminel.
Le gouvernement bulgare lève les bras au ciel : il n'a pas les moyens, et il trouve inique de devoir payer l'innocence de ses ressortissants. Cela fait six ans que les infirmières et le médecin (le colonel n'a pas hésité à enfermer dans cette nasse immonde un « frère » palestinien) sont retenus en otages en Libye.
Les accusateurs libyens se sont appuyés sur les aveux des prisonniers, lesquels ont affirmé ensuite qu'ils n'avaient parlé que sous la torture. Bien entendu, les juges libyens n'ont pas retenu le témoignage du Pr Luc Montagnier lors du procès en première instance : il avait attribué la contamination au manque d'hygiène de l'hôpital de Benghazi. Or c'est très précisément ce que les autorités libyennes refusent de reconnaître à tout prix.
Il n'en demeure pas moins qu'on ne peut pas juger le colonel Kadhafi dans le cadre de la pantomime sinistre qu'il nous joue. La manœuvre qui lui a permis de reporter sur des étrangers la charge de l'épouvantable erreur commise par ses services en dit long sur la compétence d'une dictature en matière de gestion et sur les manipulations de sa justice. Le pouvoir libyen, qui cherche pourtant sa réhabilitation aux yeux de l'Occident, est triplement criminel : pour avoir abandonné des enfants à une contagion mortelle, pour avoir menti et inventé de faux coupables et pour avoir fait en sorte que ces innocents fussent condamnés à mort.
Et quand l'Autrichienne Benita Ferrero-Waldner, commissaire européenne aux relations extérieures, déclare compter « sur le système judiciaire libyen pour que justice soit rendue », on éclaterait de rire si des vies n'étaient en jeu. On devine que la commissaire ne s'est jamais rendue à Tripoli.
La presse internationale (sauf celle de Bulgarie) est pourtant bien discrète sur cette affaire. En ce moment, elle n'a d'yeux que pour le régime du président tunisien, Zine el Abidine Ben Ali, coupable d'avoir fait tabasser successivement deux journalistes français qui enquêtaient sur les libertés en Tunisie à l'occasion du sommet mondial de l'ONU sur l'information qui s'est ouvert hier à Tunis. Par un entêtement dommageable pour lui, le président tunisien a renforcé les contrôles qu'il exerce sur ses médias, mais aussi sur la presse étrangère, de sorte que le sommet n'a pas de meilleur exemple pour la méditation que les excès de M. Ben Ali. Mais il est tout de même curieux qu'on s'intéresse plus à un régime qui se conduit mal avec la presse qu'à un autre qui joue avec la vie des innocents. On s'est indigné de ce que l'ONU ait songé à la Tunisie pour un sommet sur un sujet où ce pays n'est pas vraiment exemplaire ; mais qui a protesté quand la Libye a pris la présidence du conseil de l'ONU pour les droits de l'homme à Genève ? Peut-être y avait-il alors un commissaire européen qui comptait sur l'humanisme libyen pour assurer leur sécurité aux passagers des avions de ligne ?
Où L'ON S'EN PREND AU RÉGIME TUNISIEN TOUT EN ABSOLVANT LE RÉGIME LIBYEN
Sauver six vies.
Sans dire ici que M. Ben Ali est excusable, il nous semble que les médias français et étrangers devraient à la fois ignorer le stupide sommet onusien et se concentrer sur les vies palestinienne et bulgare qu'il faut sauver à tout prix. Car si le jeu ne tourne pas à son avantage, le colonel Kadhafi ne manquera ni du cynisme ni de la cruauté nécessaires pour faire exécuter des innocents, après leur avoir infligé six années de tortures et autres souffrances.
Il faut avouer que, en vérité, les libertés que nous avons si chèrement acquises sont menacées ou pire encore, inexistantes dans de larges parties du monde. Les intégristes de la liberté seront prompts à nous rappeler que l'Amérique elle-même a mis aux points des procédures de détention à Guantanamo, à Abou-Ghraïb et ailleurs qui font bon marché de sa propre constitution. Nous n'en disconviendrons nullement. Tout au plus ferons-nous remarquer que, aussitôt libérés, les anciens prisonniers arrêtés en Afghanistan se retournent contre le gouvernement américain. Deux Français nommés Mourad Benchellali, 24 ans, et Nizar Sassi, 26 ans, ont notamment porté plainte contre les Etats-Unis. On ne sait pas très bien ce que nos concitoyens faisaient au Pakistan où ils ont été arrêtés en décembre 2001. Mais M. Sarkozy a indiqué tout récemment que plusieurs Français ont été arrêtés ou sont morts en Irak où ils avaient été recrutés par les insurgés.
Il demeure que les deux rescapés français de Guantanamo sont libres aujourd'hui et peuvent se livrer à des accusations graves contre les Etats-Unis, qui les auraient maltraités. On voudrait pouvoir en dire autant des infirmières bulgares et du médecin palestinien.
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