Traitement hormonal de la ménopause

D’un extrême à l’autre

Publié le 01/06/2006
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Le Pr Bernard-Jean Blanc, comme tous les généralistes présents (2), reconnaît qu’il a fortement réduit ses prescriptions de THM, après l’étude WHI, en 2002. La principale raison, sans minimiser les résultats mêmes de l’étude, réside dans leur hypermédiatisation et dans un effet « douche froide » (ressenti aussi par de nombreux généralistes). «On est passé d’une époque “Woman for ever” où l’on parait le THS de toutes les vertus (…) », « (…) où l’on n’avait pas le droit de ne pas le prescrire, si l’on n’était pas réactionnaire (…)», «à une autre époque où les mêmes médias expliquent aux femmes que le THS tue. »«Face au déferlement médiatique et aux peurs féminines produites par ce phénomène», beaucoup de généralistes ont «appliqué le principe de précaution à eux-mêmes», sans chercher à convaincre des femmes réticentes à prendre un THS. Néanmoins, surtout au vu des résultats de récentes études françaises, certains généralistes essayent d’introduire le THS chez des femmes qui présentent des troubles climatériques sévères et/ou invalidants… en privilégiant les estrogènes cutanés et la progestérone naturelle micronisée. «On y arrive, mais cela demande du temps.»

Lecture critique des études.

Pour le Pr Bernard-Jean Blanc, il y a beaucoup de raisons d’oeuvrer pour un retour à une vision plus réaliste, plus équilibrée, du THS. La première vient de WHI elle-même, dont il ne s’agit pas de critiquer la rigueur méthodologique : grande étude prospective, randomisée, contrôlée, versus placebo portant sur de nombreuses patientes (24 000 environ) suivies pendant plusieurs années (7 ans étaient prévus). «En revanche, poursuit le Pr B.-J. Blanc, ilest juste de dire que le THS utilisé dans WHI (estrogènes conjugués équins per os et acétate de médroxyprogestérone) n’est pas celui habituellement présent en France.» Par ailleurs, la population étudiée était bien particulière : âge moyen élevé (environ 65 ans), obésité fréquente (30 % et 30 % de femmes en surcharge pondérale !), risque vasculaire globalement élevé. «On est loin du profil des femmes à qui on peut proposer le THS en France», poursuit le Pr B.-J. Blanc. Enfin, s’il ne s’agit pas de remettre en cause les résultats publiés, il est vrai que la présentation des résultats n’est pas neutre : en effet, tout le monde a retenu que le risque relatif de cancer du sein était augmenté de 26 % sous THS. On a peu entendu que le risque absolu (pour 10 000 femmes suivies pendant 5 ans) passe de 32 (sans THS) à 38 (sous THS), ce qui représente en fait 6 cas supplémentaires. «Cela ne fait pas le même effet, en communication.»

L’autre abus de communication est venu quand on a affirmé que la Million Women Study (MWS) confirmait WHI. «Or, contrairement à WHI, MWS a une méthodologie très contestable: enquête rétrospective relativement grossière effectuée chez des femmes venant subir une mammographie pour dépistage du cancer du sein.»

Les données françaises.

Par ailleurs deux études françaises, non sponsorisées par l’industrie pharmaceutique, ont confirmé ce que beaucoup de cliniciens pensaient : on ne peut pas mettre tous les estrogènes et tous les progestatifs dans le même sac. La première étude, E3N, est une étude prospective de cohorte portant sur près de 100 000 femmes (à l’inclusion) appartenant à l’Education nationale et âgées de 50 à 55 ans (l’âge habituel d’initiation d’un THS).

Or cette étude, avec un recul de 7,7 ans (soit 5,5 ans de TSH pour celles des femmes prenant le traitement hormonal) montre que si, globalement, le risque relatif de cancer du sein est augmenté, il n’y a pas d’augmentation de ce risque chez des femmes traitées par estrogènes et progestérone naturelle micronisée. De fait, l’augmentation du risque relatif ne s’observe qu’avec les estrogènes seuls ou associés à des progestatifs de synthèse.

L’autre étude, ESTHER, est une étude cas-témoin qui a évalué l’impact du choix du THS sur le risque thrombo-embolique veineux ; «le principal enseignement de cette étude est que ce risque n’est pas augmenté avec les estrogènes cutanés, alors qu’il est majoré, surtout la première année suivant la mise sous estrogènes oraux».

Partant de ces données (mentionnées sur les recommandations de l’Afssaps), le Pr B.-J. Blanc souligne : «Je donne moins de THS qu’avant mais si j’en donne un, il ne me paraît pas raisonnable de ne pas choisir des estrogènes cutanés et de la progestérone naturelle, sauf demande formulée clairement par la patiente (préférence pour une forme orale).»

Ne pas abandonner les femmes.

En dehors des données scientifiques, il y a aussi la nécessité de ne pas rester sourd aux plaintes générées par les nombreux et divers troubles climatériques : de 4 à 500 000 femmes arrivent à la ménopause chaque année en France et la moitié d’entre elles présentent des troubles vasomoteurs plus ou moins invalidants et longs. Or tous les participants à la table ronde admettent que le traitement hormonal est très efficace sur ces symptômes et qu’il est le seul ; les alternatives marchant peu ou pas, reconnaissent tous les médecins présents, même si beaucoup les essayent en première intention, devant les fortes réticences des femmes «à prendre des hormones».

«D’ailleurs, remarque le Pr B.-J. Blanc, l’Afssaps recommande le THS en première intention en cas de troubles climatériques gênants ou vécus comme tels, la durée de la prescription étant fonction des troubles, après discussion du rapport bénéfice/risque avec la patiente.» La poursuite du traitement devant être régulièrement réévaluée. Une première étape serait donc de mieux informer les femmes sur les recommandations officielles et sur les études récentes qui montrent que toutes les hormones ne sont pas équivalentes. Pour le Pr B.-J. Blanc, il ne s’agit surtout pas de revenir aux erreurs d’hier et aux « surpromesses », mais plutôt de rétablir l’équilibre entre les informations données sur les risques et les bénéfices (prouvés ou possibles) du traitement hormonal de la ménopause.

A ce sujet, le Pr B.-J. Blanc et certains généralistes croient déceler un «frémissement» annonçant des débats moins passionnels et/ou tronqués, ce qui faciliterait grandement la tâche des médecins.

* Réunion organisée par « le Quotidien du Médecin » avec le soutien institutionnel des Laboratoires Besins International.
(1) Chirurgien-gynécologue, hôpital Ambroise-Paré, Marseille.
(2) Assistaient à cette réunion : les Drs Danièle Ballot (Marseille), Fatima Kherfi (Marseille), Radhia Vidal Benferhat (Vitrolles), René Brassac (Marseille), Jean-François Deleage (Vitrolles), Pierre Esnault (Marignane), Jean-Paul Grazzini (Martigues), Monique Husson (Marseille), Patrick Lenzini (Plan de Cugues), Jean-Claude Rakoto (Marseille), Chiristian Ravier (Marseille), Alain-Robert Vidal (Vitrolles).

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> Dr ALAIN MARIÉ

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7971