LES CHIFFRES sont alarmants : 47 % des médecins libéraux présentent des symptômes de burn out, les affections psychiatriques sont la première cause d'invalidité dans la profession (37,94 %, étude CARMF 2005) et le suicide représente 14 % des causes de décès des médecins en activité (enquête CNOM 2003). Dans une étude de l'URML (union régionale des médecins libéraux), les répondants pointent toute une liste de contraintes professionnelles jugées trop lourdes (de l'excès de paperasserie au manque de temps pour la vie privée, en passant par le manque de reconnaissance) et leurs conséquences : diminution de l'accomplissement professionnel (87,2 %), dégradation de la relation médecin-patient (84,4 %), altération de la qualité des soins (82,6 %)… ; 12,3 % d'entre eux envisagent alors de changer de métier.
Or plusieurs études témoignent d'une prévalence non négligeable de troubles anxiodépressifs dès le stade des études de médecine. À Harvard, Raymond comptabilise 15 % d'étudiants ayant souffert d'épisodes dépressifs (non pris en charge) en 2005 ; à Karolinska, en 2007, 27 % des étudiants de première année souffrent de problèmes psychologiques d'après Dalhin ; à Barcelone, en 2004, Sender trouve un taux de 30 % d'étudiants souffrant de stress parmi les première et deuxième années… Selon le Dr Donata Marra, qui a présenté ces travaux dans le cadre des Entretiens de Bichat, ces troubles augmenteraient au cours des années d'études et pourraient concerner jusqu'à 20 % des étudiants.
«Les études de médecine sont parmi les formations les plus difficiles, que ce soit par la charge de travail nécessaire, par leur durée, par des situations répétées d'examens et de concours –avant même d'envisager le stress que peut représenter la pratique de la médecine elle-même», explique-t-elle. Parmi les causes incriminées : des stratégies de coping (adaptation) mises à mal, des compétences toujours remises en question, peu de temps personnel, peu d'investissement social, sans oublier la proximité avec la maladie et la mort.
Ces troubles ne sont pas sans répercussions sur l'apprentissage. Une étude réalisée par Yates, à Nottingham en 2007, relève que 24 % des étudiants en difficultés pédagogiques (de 10 à 15 % de chaque promotion) sont en dépression. Stewart (1999, Hong Kong) note, quant à lui, que les performances académiques avant et pendant les études de médecine sont inversement corrélées au niveau de stress. «L'expérience acquise dans notre faculté (Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI) par la mise en place d'un bureau interface professeurs-étudiants, dont l'un des objectifs est la détection, l'évaluation et l'orientation des étudiants en difficulté, confirme que les troubles anxiodépressifs sont une cause fréquente de difficultés pédagogiques, atteste le Dr Marra. D'où la nécessité de tenir compte de ces troubles psychologiques pour optimiser les soutiens pédagogiques dans les facultés de médecine.»
Les étudiants consultent peu.
La prévalence de ces troubles chez les étudiants en médecine soulève plusieurs questions. Au premier rang desquelles : les études de médecine sont-elles génératrices de troubles psychologiques ? Quelles sont les limites du soutien pédagogique que peut et doit apporter le corps enseignant ? Une faculté peut-elle être responsable de l'absence de moyens de dépistage et d'orientation des étudiants en difficultés psychologiques ? Peut-elle être tenue pour responsable du suicide d'un étudiant ?
Ce qui induit la question de la prise en charge des troubles psychologiques des étudiants. «Comme leurs aînés, les étudiants consultent difficilement et avec une crainte du retentissement sur leur dossier universitaire et leur future carrière, avec des conséquences parfois graves et souvent méconnues du corps professoral, comme le recours à l'automédication, le burn out et la dépression, note le Dr Marra. Le retentissement pédagogique est vraisemblablement important et pourrait retentir sur l'acquisition et le maintien de leurs compétences médicales, problèmes qui se posent aussi pour leurs aînés.» Mettre en place des structures et circuits dédiés, en dehors des lieux de formation, apparaît donc comme une nécessité. À l'instar de l'Association d'aide professionnelle aux médecins libéraux* et du site dédié à la souffrance du soignant, lancé en 2008 par un groupe d'assurance des professions de santé**.
* Site : www.aapml.fr, tél. 0826.004.580.
** www.souffrancedusoignant.fr.
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