Après les réjouissances du Grand Emprunt en fin d'année dernière, Nicolas Sarkozy ne pouvait pas ne pas aborder, en ce début d’année 2010, le jour de son anniversaire, les sujets qui fâchent : à savoir les déficits publics, en particulier sociaux. Petit rappel : le déficit de la France a atteint en 2009 7,9 % du PIB. Le déficit de l’État atteint 140 milliards d’euros contre 64 milliards en 2007 (2,7 % du PIB). Le déficit de la Sécurité sociale, quant à lui, devrait dépasser 30 milliards en 2010, après 24 milliards prévus fin 2009. Des déficits abyssaux inégalés, dus en grande partie à la crise économique et financière mondiale débutée en 2008. Problème : le montant de ces déficits va à l’encontre du pacte de stabilité, signé par les pays membres de l’Europe, qui prévoyait un plafond pour les déficits publics fixé à 3 % du PIB. Les États qui violeraient cette règle d’airain pourraient être sanctionnés. À ce titre, la France fait, depuis 2009, l’objet d’une procédure pour déficit excessif, à l’instar de l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, la Lettonie et Malte… C’est donc un euphémisme que de dire que cette conférence sur les déficits publics était attendue avec inquiétude par les représentants de l’État, des collectivités locales, de la Sécurité sociale. Et qu’une question, lancinante et obsédante hantait tous les esprits : qui va payer ? Les invités présents dans le grand salon de l’Élysée, ce 28 janvier, en ont été pour leur frais. Aucune décision, aucune piste n’a émergé à l’issue de cette première réunion, qui n’avait d’autre but que de tirer un constat apocalyptique des finances publiques, et de viser avec acuité le déficit des collectivités locales. Des commissions, néanmoins, ont été mises sur pied, qui devront rendre leurs conclusions en avril prochain. Mais surtout, le président a fixé un objectif pour l’année 2010, qui devrait mobiliser les énergies et du gouvernement et de l’Élysée, et du parlement, et du Sénat, et des partenaires sociaux, sans compter l’opposition politique : il s’agit de la réforme des retraites. Nul doute que l’on assistera donc à une réforme a minima de l’assurance maladie cette année. Néanmoins, lors de la conclusion de la conférence sur le déficit, le président n’a pas fait l'impasse sur la (les) couverture(s) santé : « Sur l’assurance-maladie, nous devons réduire la dépense et ramener à l’équilibre les hôpitaux publics d’ici à 2012. D’ores et déjà, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 fixe un objectif des dépenses d’assurance maladie à 3 %. »
De fait, deux commissions seront chargées de plancher sur l’assurance maladie, et de rendre leurs conclusions en avril. La première de ces commissions, présidée par Éric Woerth, ministre du Budget et des Comptes publics, devra faire part de solution pour résorber le déficit conjoncturel de la Sécurité sociale, « qui a atteint 27,6 milliards d'euros fin 2009 sous l’effet de la crise ». Cette commission formulera ses propositions en juin prochain.
La seconde commission, dirigée par Raoul Briet, conseiller-maitre à la Cour des comptes et membre de la Haute Autorité de santé (HAS), se chargera quant à elle de proposer de nouveaux mécanismes « permettant au gouvernement de mieux suivre l’évolution de la dépense au cours de l'année », et « de proposer des mécanismes efficaces pour corriger, le cas échéant, l’évolution de la dépense au cours de l’année ».
Reste que, même si priorité cette année est donnée aux retraites, la branche maladie de la Sécurité sociale est aussi dans la ligne de mire de l’Élysée et du gouvernement. N’a-t-on pas entendu le grand argentier Éric Woerth promettre un Ondam à 2 %, tout de suite corrigé par François Fillon, chef du gouvernement, qui a tout de même spécifié que l’Ondam cette année serait en deçà des 3 % ? Et rappelons que Nicolas Sarkozy, lors d’un fameux discours de politique sociale en septembre 2007, avait fait, de l’équilibre de l’assurance-maladie une nécessité, en annonçant, entre autres que « l’assurance maladie n’a pas vocation à tout prendre en charge […] C’est pourquoi je vais ouvrir un grand débat sur le financement de la santé. Qu’est-ce qui doit être financé par la solidarité nationale ? Qu’est-ce qui doit relever de la responsabilité individuelle à travers une couverture complémentaire ? » Dès l'année 2010, faute de réformes d’ampleur, des mesures drastiques seront mises en œuvre pour redresser les comptes sociaux.
1/ Dégraisser l’hôpital
Après avoir intimé l’ordre, fin 2008, à la HAS, de produire beaucoup plus de référentiels médico-économiques, Éric Woerth s’est, en fin d’année dernière, tourné vers une nouvelle agence, l’Anap*, nouvelle source, selon lui, d’économie substantielle. « Je souhaite que l’Anap signe 150 contrats de performance avec les hôpitaux d’ici à 2011 », a-t-il notamment déclaré. Alors que Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, avait été plus modeste, et s’était contentée de demander à la toute nouvelle agence 50 contrats signés dans un premier temps en 2010. Nolens volens, la toute nouvelle agence a présenté son programme de travail début janvier (cf. pp. 16 et 17 de ce cahier), qui comprend bien la signature pour 2010 de 50 contrats de performance, mais aussi la transformation de blocs opératoires jugés trop peu efficients, l’aide à la mobilité pour les personnels soignants, l’aide à l’investissement... Bref, lu entre les lignes, ce programme de travail pourrait fort bien passer pour un plan de restructuration masqué. Ce dont se défend Christian Anastasy, directeur général de l’Anap : « Nous n'avons pas signé de contrats de performance uniquement avec des établissements déficitaires, mais aussi avec des hôpitaux qui se portent bien, d’un strict point de vue comptable. Le but, je le répète, est d’améliorer les performances de l’hôpital, d’un point de vue organisationnel. Cela peut avoir des répercussions sur les finances, mais ce n’est pas l’objectif. »
Yves Gaubert, de la FHF, reste sceptique quant aux marges d’économie à gagner dans les hôpitaux publics : « Je ne pense pas que la fermeture de quelques dizaines de blocs opératoires va nous permettre de résorber les déficits de l’assurance maladie. Les déficits des CHU sont surtout dus aux structures d’activité de ces établissements qui posent problème. Certaines activités coûtent cher ! »
Autre solution : attaquer le problème par la face Nord. C’est-à-dire réduire les emplois. Dès cette année, l’AP-HP devrait supprimer 1 000 emplois, en se fixant, à l’horizon 2013, une économie de 300 millions d’euros. Le CHU de Nantes avait déjà mis en place en 2008 un plan social, tout comme celui de Caen. Les HCL ont également signé un plan de retour à l'équilibre. Nice et Marseille également… Les exemples sont pléthore. Autre signe : depuis 2009, on constate à l’échelle nationale une baisse de l’emploi dans les hôpitaux. « Il faut relativiser : la décroissance de l’emploi a été de -0,5 % dans les hôpitaux, soit -1 350 emplois sur quelque 900 000, détaille Yves Gaubert. Après avoir connu une forte hausse de nos effectifs jusqu'en 2007, en grande partie due à la mise en place des 35 heures, nous connaissons actuellement une stabilisation de nos effectifs. Mais je ne crois pas à une chute drastique des effectifs dans les années qui viennent. » Surtout, Yves Gaubert anticipe les effets néfastes, d’un strict point de vue comptable, de la réforme LMD appliquée aux infirmières : « Quand bien même nous gagnerions quelques points d’efficience, ils seraient tout de suite engloutis par la mise en place sur cinq ans, de la LMD appliquée aux infirmières. » Selon Yves Gaubert, la réforme de la LMD coûterait 300 millions d’euros par an sur cinq ans aux hôpitaux… Enfin Yves Gaubert pense que le gouvernement ne s’attaque pas au fond du problème : la pertinence des actes. « Il n’est pas scientifiquement compréhensible que l’on fasse deux fois plus d’opérations de la cataracte en Charente-Maritime que dans les Ardennes. Les tarifs en imagerie et biologie sont aussi trop élevés. Les lettres clés B en biologie sont très bien payées. Et lorsqu’on baisse les tarifs en imagerie, on compense grâce au financement de l’archivage et au volume. » Faute de bien contrôler les tarifs de biologie et d’imagerie, le gouvernement a tout de même décidé cette année de mettre sous entente préalable les transports sanitaires à l’hôpital. Une première.
2/ la maîtrise médicalisée
La liste en sus est également dans le collimateur des pouvoirs publics. Notre confrère Prescrire écrivait : « En pratique, les firmes pharmaceutiques ont réussi à échapper largement au "contrôle" des prix remboursables en France, en exploitant la liberté des prix existant à l’hôpital, et en obligeant les patients à se rendre à l’hôpital pour se procurer leurs médicaments (la « rétrocession »). Cette dérive coûteuse et contraignante pour les patients aura duré plus de dix ans avant que les pouvoirs publics ne se décident à agir. » Il semble que 2010 devrait marquer un tournant. Dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2010, il est en effet prévu une extension de la procédure de sauvegarde à la liste en sus, pour le moment épargné par ce dispositif. En clair, si les dépenses liées à la liste en sus sont trop importantes, à charge pour les laboratoires de rembourser les éventuels dépassements. Par ailleurs, la sortie de molécules de la liste en sus devrait s’accélérer. En effet, deux arrêtés en préparation, qui pourraient être signés le 1er mars prochain, devraient officialiser la sortie de la liste en sus d’une série d’érythropoïétines, mais aussi d’anticancéreux comme le paclitaxel. La liste en sus croît chaque année de 15 %, ce qui représente peu ou prou 300 millions d’euros de plus à rembourser chaque année…
3/ Augmenter le reste à charge
L’article a fait grand bruit. Didier Tabuteau, dans un entretien au Monde, affirmait que le remboursement de l’assurance maladie, hors hospitalisation et maladies chroniques, était passé à 55 %, plutôt que 75 %. Et il enfonce le clou dans nos colonnes (cf. p. ???). De fait, force est de constater que, ces dernières années, le reste à charge a augmenté. La dernière mesure allant dans ce sens étant la mise en place des franchises médicales, qui ont rapporté quelque 900 millions d’euros l’an dernier. Cette année, ces mesures que redoutent les représentants des usagers vont encore s’accentuer (cf. entretien p. ???). Le forfait hospitalier augmente de 2 euros et passe à 18 euros, tandis que certains médicaments, remboursés jusqu’alors à 35 %, ne le seront plus qu’à hauteur de 15 %.
4/ Sous-traiter aux complémentaires
L’assurance maladie pourrait-elle sous-traiter une partie de ses charges aux mutuelles, en particulier la prise en charge des affections de longue durée (ALD) ? C’est en tout cas, le vœu formulé par Nicolas Sarkozy en 2009 lors du congrès de la Mutualité française. Des expérimentations sont actuellement en cours en Lorraine, initiées par la MGEN. Force est de constater que ces expérimentations n’ont pas encore donné lieu à une généralisation, inscrite dans la LFSS 2010. Pour cette année, la loi de financement prévoit seulement de faciliter la sortie des ALD. La loi crée un régime « post-ALD » assurant, pendant une durée déterminée, une prise en charge à 100 % des seuls actes médicaux et examens biologiques nécessités par le suivi médical de la personne sortie du régime.
Néanmoins, si les complémentaires n’ont pas eu gain de cause, pour le moment, quant aux ALD, on ne peut ignorer leur montée en puissance. Didier Tabuteau fait ainsi remarquer que l’article 36 de la LFSS pour 2009 « deviendra peut-être le symbole d’une métamorphose des assurances maladie ». Dans le cadre d’un accord avec des professionnels de santé, dès lors que le taux de remboursement de l’assurance maladie passe en dessous des 50 %, les mutuelles pourront désormais faire valoir leur droit de veto.
De manière plus pratique, les mutuelles sont également mises à contribution, puisque la taxe exceptionnelle sur leur chiffre d’affaires en 2008, représentant près de 1 milliard d’euros, a été reconduite cette année. Elles ont également participé à « l’effort de guerre » sur le front de la grippe A, en participant aux dépenses à hauteur de 300 millions d’euros. Conséquence de ces prélèvements : les mutuelles ont d’ores et déjà augmenté leurs cotisations entre 5 et 15 %. In fine, c'est l’assuré qui paie. Tant au niveau du désengagement direct de l’assurance maladie, comme dans le cas des franchises, qu’au niveau du retrait face aux complémentaires.
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