Les gaz thérapeutiques

Du protoxyde d'azote au xénon : un siècle et demi déjà

Publié le 08/10/2008
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PAR LE Dr LOÏC BEAUDROIT ET LE Pr JACQUES RIPART

L'ADMINISTRATION de gaz médicinaux constitue aujourd'hui encore une part importante des gestes thérapeutiques et l'éventail des produits proposés par l'industrie s'est considérablement étoffé. En tant que médicaments, tous sauf l'oxygène sont inscrits sur la liste 1 des substances vénéneuses.

L'oxygène.

L'oxygène (O2) est le gaz thérapeutique le plus répandu et le plus utilisé. Son administration peut être réalisée de manière isobare, couramment en vue de corriger une hypoxémie aiguë ou chronique, ou hyperbare grâce à l'emploi d'un caisson de pressurisation. L'oxygénothérapie hyperbare peut être indiquée au cours des intoxications au monoxyde de carbone, des accidents de décompression et des embolies gazeuses, des lésions tissulaires radio-induites, des infections à germes anaérobies, ainsi que dans le traitement des plaies chroniques, notamment chez les patients diabétiques (1). La banalité de l'oxygénothérapie ne doit pas faire oublier sa potentielle toxicité en cas de FiO2 élevée, tant chez l'adulte (atélectasies, fibrose pulmonaire) que chez le nouveau-né (hémorragie intracérébrale, fibroplasie rétrolentale).

Le protoxyde d'azote.

Doté d'une action à la fois hypnotique et analgésique de surface, le protoxyde d'azote (N2O) est historiquement le premier gaz « anesthésique ». Il est distribué pur exclusivement pour le bloc opératoire et la salle d'accouchement où il doit être administré par un personnel médical, associé à de l'oxygène en mélange non hypoxique. C'est un anesthésique peu puissant, requérant l'association d'autres agents narcotiques (inhalés ou injectables). Il possède un effet inhibiteur sur les récepteurs glutaminergiques NMDA postsynaptiques, impliqués dans la chronicisation de la douleur. C'est également un agent inotrope négatif. Depuis novembre 2001, il est également distribué sous forme de mélange équimolaire oxygène-protoxyde d'azote (MEOPA). Ce mélange analgésique est efficace pour les soins peu à modérément douloureux (2, 3) (pansements, ponctions). Il peut être administré par des médecins ou des IDE non anesthésistes.

Le monoxyde d'azote.

C'est un puissant neurotransmetteur endogène, possédant de nombreuses propriétés physiologiques, notamment cardio-vasculaires. Sur le plan pulmonaire, le monoxyde d'azote (NO) entraîne une vasodilatation et une baisse de la pression artérielle pulmonaire. Par ailleurs, en présence d'une vasoconstriction hypoxique, il permet de diminuer l'effet shunt en augmentant le débit sanguin dans les zones bien ventilées. Afin de limiter sa toxicité, il doit être administré à l'aide d'un matériel spécifique à faibles doses (de 5 à 20 ppm). Il est principalement indiqué en néonatalogie au cours des détresses respiratoires hypoxémiantes, associées ou non à une hypertension artérielle pulmonaire (4, 5). Il peut également être utilisé chez l'adulte au cours du SDRA, ainsi qu'en cas de défaillance ventriculaire droite. Les bénéfices de l'administration inhalée de NO sont discutés (6).

L'hélium.

Inodore et non toxique, l'hélium (He) est un gaz inerte. Ses propriétés thérapeutiques lui sont conférées par sa faible masse atomique. En effet, sa faible viscosité diminue les résistances à l'écoulement des gaz dans l'arbre respiratoire. Malgré l'absence d'AMM, il peut être utilisé en réanimation en association à l'oxygène (mélange non hypoxique) afin de diminuer le travail respiratoire au cours des syndromes obstructifs sévères (état de mal asthmatique, exacerbation de BPCO) (7). L'utilisation de l'He en anesthésie-réanimation reste exceptionnelle.

Les gaz halogénés.

Ce sont les gaz anesthésiques de référence. Les gaz halogénés se divisent en deux familles : éthers (desflurane, sévoflurane, isoflurane, enflurane) et alcanes (halothane).

Ce sont des agents exclusivement narcotiques, administrés au moyen d'évaporateurs spécifiques, insérés dans le circuit du respirateur. Ils se différencient par leur cinétique, directement proportionnelle à leur solubilité (coefficient de partage). Moins un halogéné est soluble, plus son délai d'action (et d'élimination) est bref (8).

Les halogénés possèdent des effets bronchodilatateurs suffisants pour avoir été proposés dans le traitement des bronchospasmes sévères. Récemment, des propriétés cardioprotectrices du sévoflurane ont été mises en évidence au cours de phénomènes d'ischémie-reperfusion (9) (préconditionnement). Les halogénés sont hypotenseurs, par effet inotrope négatif (isoflurane) ou par diminution des résistances artérielles (sévoflurane, desflurane). Tous sont des agents proémétisants. Enfin, tous peuvent entraîner une hyperthermie maligne chez des patients susceptibles. Les cinétiques rapides du sévoflurane et du desflurane associées à une très faible toxicité leur ont permis de supplanter les autres halogénés.

Le xénon.

Comme l'hélium, le xénon (Xe) est un gaz inerte. Il possède une AMM en France depuis novembre 2007. C'est le gaz le moins soluble parmi les anesthésiques volatils, ce qui lui confère une cinétique d'action très rapide. Comme le N2O, le Xe inhibe les récepteurs NMDA postsynaptiques ; cependant, il n'a pas d'effets délétères sur le système cardio-circulatoire. Il en résulte une grande stabilité hémodynamique peranesthésique. Cela en fait un produit particulièrement intéressant chez les patients ASA 3, ASA 4 et/ou cardiopathes, bien qu'à ce jour son AMM en restreigne l'usage aux patients ASA 1 et 2 (10).

Les limites de l'utilisation du Xe sont physiques et économiques. Physiques d'abord puisqu'il s'agit d'un gaz visqueux, diffusible dans les espaces clos. Son usage est donc contre-indiqué en cas de pneumothorax ou en présence d'un syndrome respiratoire obstructif. Économique ensuite car, du fait de sa rareté, le coût d'une anesthésie au Xe est quatre fois supérieur à celui d'une anesthésie « classique ».

BEAUDROIT Loc, RIPART Jacques

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8436