Le modèle de Lille

Du nouveau dans la prise en charge de l'hépatite alcoolique aiguë

Publié le 26/09/2007
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PAR LE Pr PHILIPPE MATHURIN*

L'HÉPATITE ALCOOLIQUE aiguë (HAA) est définie histologiquement par l'association d'une nécrose des hépatocytes, d'une infiltration hépatique à polynucléaires neutrophiles et de corps de Mallory. L'HAA est une des présentations les plus sévères de la maladie alcoolique du foie.

L'indice pronostique de Maddrey (score = 4,6 x (temps de Quick du malade en secondes - 12,5) + ([bilirubinémie en µmol]/17)) permet une sélection rigoureuse des formes sévères définies par un score ≥ 32 qui, en l'absence de traitement, sont associées à une survie à deux mois approximativement de 50 %. La corticothérapie améliore la survie à court terme des malades atteints de forme sévère (1, 2).

La corticothérapie améliore la survie à court terme.

La complexité de l'évaluation de la corticothérapie dans l'HAA tient au fait que :

a) des résultats discordants ont été observés dans les essais randomisés dont la plupart n'avaient pas utilisé le score de Maddrey, ce qui a été la source d'une grande hétérogénéité de survie ;

b) sur six métaanalyses publiées, cinq (3) ont conclu à l'efficacité probable du traitement et une (4) à l'absence de bénéfice. L'absence d'efficacité retrouvée dans cette dernière métaanalyse a jeté le trouble et relancé le débat. Afin de mettre un terme à cette controverse, l'analyse des données individuelles des patients ayant un score de Maddrey ≥ 32 a été réalisée. Les 113 patients traités par corticoïdes ont eu une survie à un mois significativement supérieure aux 102 patients traités par placebo : 84,6 ± 3,4 % versus 65,1 ± 4,8 % (5). En dernier lieu, une étude randomisée récente a confirmé la meilleure survie à court terme des patients traités par corticoïdes (6). Cette dernière étude randomisée confirme, s'il en était encore besoin, la démonstration du bénéfice de survie à court terme liée à l'administration de corticoïdes. Le schéma préconisé est 40 mg de prednisolone par jour pendant un mois, avec arrêt sans décroissance. En pratique, chez un patient buveur excessif hospitalisé pour ictère, avec un score de Maddrey ≥ 32, il faut :

a) effectuer la biopsie hépatique le plus souvent par voie transjugulaire et réaliser un bilan infectieux exhaustif (radiographie de thorax, Ecbu, hémocultures et ponction d'ascite) ;

b) instituer une corticothérapie (prednisolone 40 mg par jour pendant un mois) dès la réception du résultat histologique ou dès l'admission si la biopsie hépatique est impossible, en l'absence de contre-indications.

La survie à moyen terme : un objectif prioritaire.

L'effet bénéfique des corticoïdes s'estompe à distance de l'épisode aigu et la survie n'est plus que de 50 à 60 % à six mois (1). Des données récentes suggèrent que la pentoxyfylline pourrait constituer une alternative à la corticothérapie (7). En effet, une étude randomisée en double aveugle a observé que les patients traités par pentoxyfylline (1 200 mg par jour) avaient une survie significativement supérieure aux patients traités par placebo : 75,5 % versus 54 % ; p = 0,04 (7). L'effet protecteur de la pentoxyfylline semblait lié principalement à une prévention du syndrome hépato-rénal.

Les corticostéroïdes induisent dans 76 % des cas une réponse biologique précoce (Ecbl), définie par une diminution de la bilirubine au septième jour. La survie des patients avec Ecbl était significativement supérieure à celle des patients sans Ecbl à un et six mois : 97 ± 1 % versus 59 ± 7 % et 84 ± 3 % versus 26 ± 6 %. En conséquence, la réponse biologique précoce est une variable simple pour prédire la résistance aux corticoïdes (8). Cependant, ce critère très spécifique, mais peu sensible, ne permet pas de prédire la mortalité sur l'ensemble des patients traités. Le développement d'un modèle pronostique ayant une sensibilité plus importante afin d'identifier les patients résistants aux corticoïdes était nécessaire pour progresser dans la prise en charge des patients atteints de forme sévère. Une collaboration française multicentrique a généré un modèle prédictif de la mortalité à six mois combinant les variables pronostiques indépendantes chez les patients ayant une hépatite alcoolique sévère (9). Le score du modèle s'échelonne de 0 à 1. Ce modèle est hautement prédictif de la mortalité à six mois (p < 0,000001). L'aire sous la courbe est de 0,85 et le taux de patients bien classés en termes de mortalité est de 82 %. Les patients ayant un score au modèle de Lille ≥ 0,45 et classés comme résistants avaient une survie à six mois inférieure aux patients classés répondeurs (score au modèle de Lille < 0,45) : 25 ± 3,8 % versus 85 ± 2,5 %, p < 0,0001 (9). Chez les patients résistants au traitement, le traitement corticoïdes n'était pas plus efficace que le placebo (9). En conséquence, la corticothérapie peut être interrompue dans les jours suivant l'identification de la résistance (après le septième jour).

En résumé, chez les patients ayant une hépatite alcoolique sévère, un score au modèle de Lille supérieur à 0,45 prédit près de 80 % des décès. Ce modèle puissant permet d'identifier les patients pour lesquels de nouvelles alternatives thérapeutiques sont requises (9). Le modèle est disponible sur un site Internet (www.lillemodel.com).

* Service d'hépato-gastroentérologie, hôpital Claude-Huriez, Chru de Lille.
1) Mathurin P. J Hepatol 2005;43:526-533.
2) Ramond MJ, et al. N Engl J Med 1992; 326:507-512.
3) Imperiale TF, et al. Am J Gastroenterol 1999;94:3066-3067.
4) Christensen E, Gludd C. Gut 1995;37:113-118.
5) Mathurin P, et al. J Hepatol 2002;36:480-487.
6) Phillips M, et al. A J Hepatol 2006;44: 784-90.
7) Akriviadis E, et al. Gastroenterology 2000;119:1637-1648.
8) Mathurin P, et al. Hepatology 2003;38: 1363-1369.
9) Louvet A, et al. Hepatology 2007; 45: 1348-54.

MATHURIN Philippe

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8224