Comment synthétiser électivement l'isomère d'un médicament dont la configuration correspond de manière spécifique à un récepteur donné et dont la fixation déclenchera l'action biologique recherchée, avec le moins d'effets délétères potentiels ?
La réponse a été apportée indirectement par les découvertes des trois chimistes récemment récompensés par le prix Nobel.
En règle générale, la synthèse d'un médicament donne naissance à un racémique qui contient, en quantités égales, deux composés de même formule moléculaire (isomères), mais de structure tridimensionnelle différente.
Etant symétriques dans un miroir par rapport à un plan (comme la main droite et la main gauche), ces substances sont appelées énantiomères ou structures chirales. Du fait de leur susceptibilité métabolique propre et de leur affinité sélective pour un récepteur donné, les deux énantiomères R et S possèdent des propriétés pharmacocinétiques et pharmacologiques distinctes. L'un est « utile », l'autre potentiellement « nocif » dans l'organisme.
Catalyseur chiral et production de l'énantiomère choisi
Dès 1960, l'objectif de W. S. Knowles fut de « dévier » la réaction chimique afin de synthétiser exclusivement l'énantiomère le plus actif, le plus « pur » d'une substance donnée. Il utilisa pour cela un catalyseur de nature chirale qui, tout en accélérant le processus, transfère sa propre chiralité au substrat non chiral pour le transformer en un produit final chiral. En 1968, naissait la catalyse asymétrique, qui génère des millions de molécules de l'énantiomère sélectionné. Elle fut par la suite étendue par deux autres chimistes, Noyori et Sharpless, et son rendement fut accru. La L-dopa fut le premier médicament élaboré grâce à la technologie des isomères.
L'ésoméprazole, isomère S de l'oméprazole
Dès la commercialisation de l'oméprazole en 1988, AstraZeneca lança un programme de recherche ayant pour objectif la mise au point d'un inhibiteur de la pompe à protons H+ K+ ATPase de la cellule pariétale gastrique, contrôlant davantage la sécrétion acide.
Grâce à l'utilisation des procédés des Nobel de chimie, les chercheurs purent séparer les deux isomères de l'oméprazole et les tester isolément. En 1994, ils démontrèrent que l'isomère S (ésoméprazole, INexium) est quatre fois plus efficace que la forme R chez l'homme à dose équimolaire, et comprirent bientôt pourquoi : cette différence est liée au fait que les deux isomères subissent un métabolisme hépatique différent, de déterminisme génétique.
Biodisponibilité accrue de l'ésoméprazole
L'ésoméprazole a pour particularité, chez la majorité des sujets, d'être moins métabolisé par les systèmes enzymatiques hépatiques que l'oméprazole racémique (et que l'oméprazole R). Il s'ensuit une biodisponibilité plus élevée (1) que celle de l'oméprazole et une moindre variabilité interindividuelle du pH intragastrique.
Guérison des œsophagites érosives par reflux
Les études cliniques comparant les effets de l'oméprazole à ceux de l'ésoméprazole chez des patients ayant une œsophagite érosive par reflux œsophagien ont montré la supériorité de l'isomère : les taux de cicatrisation à la 8e semaine sont plus élevés dans le groupe traité par l'ésoméprazole (2) ; l'amélioration de la symptomatologie est habituellement très rapide, dès le 1er jour de traitement.
D'après les communications du Pr Per Ahlberg, professeur de chimie organique, université de Göteborg (Suède), et du Dr Per Lindberg, AstraZeneca Suède.
(1) Spencer C. M. et coll, « Drugs », 2000 ; 60 : 321-329.
(2) Richter J. E. et coll., « Am J Gastroenterol », 2001, 96 ; 3 : 656-665.
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