LE TEMPS DE LA MEDECINE
Atout coeur
« LE MOUVEMENT du cœur est constamment circulaire et il est entretenu par les battements du cœur. » Il aura fallu attendre le XVIIe siècle pour que cette évidence d'aujourd'hui soit reconnue. En démontrant l'existence d'une double circulation sanguine, pulmonaire et générale, activée par une pompe cardiaque, William Harvey rompt avec l'ancienne tradition du pneuma. Chère à Aristote et à Galien, cette substance semi-organique mystérieuse était censée transporter et transmettre la chaleur, du cœur à l'ensemble du corps. Ainsi explique-t-on alors les palpitations, phénomènes physiques déclenchés par le désir ou les émotions fortes. Avec Harvey, le cœur quitte donc le monde des symboles pour celui de la science. La médecine s'en empare. La connaissance de cette simple mais prodigieuse mécanique se fera de plus en plus précise avec les progrès spectaculaires de la cardiologie, de la chirurgie cardiaque et des techniques d'exploration cardio-vasculaire. Le coeur aura rendu l'âme au cerveau. Il n'est plus, comme l'écrit Étienne Pasquier dans ses « Recherches de la France », en 1561, le siège de « nos volontez et affections », ajoutant que « notre cerveau ne fait ses opérations en nous sinon que tant et en tant que nostre cœur l'y convie ». Des neurophysiologistes affirment aujourd'hui avoir mis en évidence les bases neurales de l'amour romantique. Selon Andrea Bartels et Semir Zeki (« Neuroreport », vol. II, 2000), pour qu'il y ait sentiment amoureux, certaines zones situées dans le système limbique doivent être activées, alors que d'autres, situées dans le complexe amygdalien (responsable des affects négatifs comme la tristesse, la peur ou l'agression) sont inhibées.
En dépit de cette désacralisation, le cœur reste dans l'imaginaire populaire, cet « organe creux où se logent magiquement les êtres aimés », comme le décrit Françoise Dolto. Organe vital, il bat, palpite et ses moindres irrégularités sont immédiatement perçues et interprétées comme le signe d'une grande émotion, d'une maladie grave ou d'une mort imminente.
Peinture rupestre.
Il n'est alors pas étonnant que les plus anciennes civilisations l'aient placé au centre de leurs cérémonies divinatoires et de leurs rituels sacrificiels. L'homme préhistorique a cherché à le représenter. Une peinture rupestre de la grotte d'El Pindal, dans les Asturies (nord de l'Espagne), montre un mammouth arborant une tache rouge à l'endroit du coeur. Cette première représentation du coeur date de la fin du paléolithique (15 000 à 10 000 ans avant notre ère). En Mésopotamie, le prêtre médecin soigne en scrutant le coeur ou le foie d'animaux sacrifiés pour tenter de deviner la nature de la maladie et le dessein des dieux. Dans l'Inde ancienne, le coeur ne fait l'objet d'aucune analyse médicale et il n'y est pas décrit de pathologie médicale, mais il est le centre absolu de la conscience et de la méditation. Dans le système des chakras, son symbole est un lotus à 12 pétales et d'une couleur rouge lumineuse. A l'inverse, les nombreuses descriptions de rituels d'éviscérations cardiaques pratiquées sur des victimes sacrifiées traduisent le rôle central du cœur dans les civilisations précolombiennes. Cependant, c'est sûrement en Égypte que la symbolique reste la plus proche de celle qui se développera dans le monde occidental. Le papyrus d'Ebers, conservé à Leipzig, témoigne d'une connaissance médicale du fonctionnement cardiaque déjà très approfondie. Il s'ouvre d'ailleurs sur un chapitre au titre sans équivoque : « Commencement du secret du médecin : connaissance de la marche du cœur. » Mais l'Égyptien en fait surtout un centre de la vie spirituelle, des sentiments, de la personnalité ou de la conscience. C'est autour de lui que s'organisent les rites mortuaires. Le coeur est le seul organe à être conservé sur place lors de la momification. Il est le véhicule de la réincarnation, celui qui, d'après le « Livre des morts », va être pesé au moment de la cérémonie de la « pesée des âmes ».
Le Cuer médiéval.
Kardia en grec ou cor en latin, il désigne pour l'homme méditerranéen, à la fois un élément important de la circulation sanguine et partage, avec le foie ou parfois le cerveau, le rôle de siège des émotions, des passions, de la pensée, de l'intelligence et celui de la volonté. Cependant, notent Jacques Louis-Binet et Philippe Meyer, c'est à partir du Moyen Age, tout imprégné par le christianisme, que le cœur connaît un « épanouissement symbolique jamais égalé dans les autres civilisation »*.<\!p>Le monde chevaleresque de l'amour courtois dessine l'image si familière aujourd'hui d'un coeur aux lignes épurées et rondes ou parfois désincarné et percé d'une flèche. Les manuscrits enluminés de la littérature médiévale décrivent d'ailleurs les multiples variations du Cuer (coeur) incarnant tantôt la passion et le désir, tantôt la jalousie, l'attente délicieuse ou angoissante. Cette appropriation profane sera prolongée par le thème du coeur sacré de Jésus développé par l'Église du XIII au XVIIe siècle. Les visions de la religieuse Marie Alacoque, canonisée en 1920, en fixeront le culte. C'est elle qui demande à Louis XIV la construction d'un sanctuaire ainsi que la représentation du cœur de Jésus sur les étendards royaux. Un sanctuaire sera construit entre 1876 et 1912, au sommet de la butte Montmartre d'après les plans de l'architecte Paul Abadie pour « expier l'effondrement spirituel et moral de la France jugé responsable de la défaite en 1870 ».
* « L'Art et le Coeur », Ed. L'iconoclaste, Paris 2002, 29 euros.
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