«LORSQUE j’ai commencé mes études médicales, raconte Henri Nahum en avant-propos, je ne me doutais pas que certains des patrons dont je suivais respectueusement la visite avaient été, peu d’années auparavant, exclus, traqués, cachés dans un village du Lot ou du Vaucluse, condamnés à vivre d’expédients.» Petit à petit, cependant, le futur spécialiste de radiologie découvre ce qu’a été l’existence des médecins juifs sous l’Occupation et commence à se poser des questions. Comment le milieu médical «que je considérais, que je considère toujours, comme ouvert, tolérant, soucieux seulement de compétence et d’éthique» a-t-il pu consentir «à exclure un certain nombre de ses membres sur des critères d’appartenance raciale et à les priver de tout moyen d’existence»? Lui-même, s’est-il demandé, comment aurait-il réagi s’il avait été victime des lois d’exception ? Et qu’aurait-il fait s’il avait, au contraire, été désigné pour les appliquer ? Autant d’interrogations auxquelles le professeur de médecine aujourd’hui à la retraite, qui fut le chef de l’école de radiologie de Beaujon, peut maintenant répondre après avoir mené de longues recherches dans des archives publiques ou particulières et recueilli de nombreux témoignages.
« Limiter l’invasion métèque ».
Plusieurs textes édictés par le gouvernement de Vichy vont exclure les praticiens juifs : en août 1940, l’exercice de la médecine est interdit aux praticiens étrangers, à ceux qui ont acquis la nationalité française après 1927 et à ceux qui sont nés en France mais de père étranger ; en octobre de la même année, le statut des Juifs stipule qu’il leur est interdit d’être professeur de faculté, chef de travaux, chef de clinique ou assistant ; en août 1941, un décret instaure un numerus clausus de 2 % pour les praticiens juifs d’exercice libéral et de 3 % pour les étudiants. Pour le Pr Nahum, la contrainte de l’occupant n’explique pas grand-chose. Ces mesures «étaient envisagées depuis plusieurs années par les représentants qualifiés du monde médical». Dans les années 1930, explique-t-il, les médecins sont très nombreux. Trop nombreux aux yeux de certains, avec l’afflux d’étudiants étrangers, Juifs roumains surtout, dont un accord intervenu soixante ans auparavant favorise la formation puis l’installation en France. Dès lors, «limiter l’invasion métèque» devient un leitmotiv. «Insensiblement,on passe de la défense corporatiste à une xénophobie sans nuance, puis de la xénophobie à l’antisémitisme».
Après la débâcle, des médecins voient, avec l’installation du nouveau régime, la possibilité de faire aboutir des revendications exprimées avec force depuis une dizaine d’années, et le gouvernement de Vichy ne rate pas l’occasion de se concilier le corps médical et d’en faire un auxiliaire influent. La création du Conseil de l’Ordre, vieille demande, devient une réalité. Le nouvel organisme est chargé de la réorganisation de la profession, mais l’une de ses premières tâches sera d’appliquer les mesures d’exclusion. Selon Roger Nahum, «fiers d’avoir été choisis pour une mission importante, celle de réorganiser la médecine française», les membres des conseils de l’Ordre «considèrent qu’il leur faut appliquer les consignes du gouvernement, même s’ils ne les approuvent pas complètement». En 1941, après l’internement de médecins juifs à Drancy, l’Ordre de la Seine s’inquiète, mais n’émet finalement aucune protestation. Et ce n’est qu’à l’été 1942, après la rafle du Vel’d’Hiv et lorsque commencent les rafles en zone non occupée, hors de toute participation allemande, que nombre de médecins non juifs prennent leurs distances avec la politique de Vichy. «Sans pourtant paraître se rendre compte qu’ils avaient, dès 1940, mis le doigt dans l’engrenage en ne désapprouvant pas les mesures d’exclusion.»
Jean Langlois, ancien président du Conseil de l’Ordre, a tenu à préfacer l’ouvrage. «Les propos d’Henri Nahum relatifs à l’Ordre des médecins de l’époque font très mal, mais la vérité est là, et il faut la reconnaître. Des responsables de l’Ordre ont mal agi (...) Conscients ou non de ce qu’ils faisaient, volontaires, timorés ou lâches, ils ont gravement manqué à leurs devoirs.» Pourtant, ajoute le Pr Langlois, «prudente, la résistance passive était possible». Quoi qu’il en soit, le livre «est une leçon pour tous et pour les médecins en particulier».
Henri Nahum présentera et dédicacera son ouvrage le jeudi 18 janvier au musée de l’Assistance publique, à Paris*, une signature organisée par le Groupe de recherche sur l’eugénisme et le racisme (Grer) de Paris-VII.
« La Médecine française et les Juifs, 1930-1945 », L’Harmattan, coll. « Racisme et eugénisme », 412 pages, 39 euros.
* Hôtel de Miramion, 47, quai de la Tournelle, Paris 5e, de 17 h à 19 h. Contact : prum.michel@wanadoo.fr.
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