Vous commencez une nouvelle vie, en intégrant un cabinet d'avocats international et en tournant en quelque sorte le dos au secteur public. Pourquoi ce changement ?
NOELLE LENOIR
Il s'agit d'un changement dans la continuité. Je ne quitte pas le droit dont j'ai fait mon métier depuis le début de ma carrière. De plus, j'en poursuis la pratique sur un plan international - ce qui était pour moi essentiel - puisque j'ai choisi d'intégrer un grand cabinet d'avocats international, Herbert Smith. Je le rejoins pour y créer et développer un département « Sciences de la Vie, Alimentation, Santé » qui correspond à l'un de mes centres d'intérêts depuis plus de dix ans. La création d'un tel département est une première. Les entreprises de ces secteurs ont en effet besoin de pouvoir s'adresser à des praticiens du droit qui comprennent leurs préoccupations spécifiques, dans un marché globalisé. Tel est le pari.
Je suis enthousiasmée à l'idée de pouvoir aujourd'hui tirer parti de mon expérience en matière d'éthique et de droit des biotechnologies, aux plans tant national que communautaire et international : la brevetabilité du vivant, la sécurité sanitaire, l'étendue de la responsabilité du fait des produits, ou encore le commerce international des produits du vivant, sont aujourd'hui des questions cruciales qui se posent du reste à l'Etat comme aux entreprises privées. C'est pourquoi, dans ces domaines, il m'apparaît artificiel de séparer le secteur public du secteur privé. Les deux ont à mon sens des responsabilités complémentaires. Je l'ai constaté à l'occasion de mes activités internationales à l'UNESCO ou auprès de la Commission européenne qui m'ont donné la chance d'être au cur du dialogue entre le privé et le public : entre, d'une part, les entreprises et les groupes d'intérêt et, d'autre part, les Etats et les instances internationales. Entre le public et le privé, il y a parfois même coopération, comme on le voit lorsque des laboratoires de recherche publique s'allient à des compagnies privées. Ce partenariat est une bonne chose.
Le droit des brevets : une place majeure
Concrètement, comment allez-vous procéder ? J'ai déjà commencé à travailler sur des dossiers. Toutefois, il me reste à renforcer l'équipe d'avocats spécialisés dans les différentes disciplines en relation avec les sciences de la vie. Parmi celles-ci, le droit des brevets occupe une place majeure dès lors que la propriété intellectuelle est devenue le mode privilégié de financement de la recherche. C'est le cas de la recherche médicale. Demain, ce sera peut-être celui de la recherche sur les nouveaux aliments.
Le droit de la santé porte non seulement sur les médicaments, les vaccins et les tests diagnostiques mais sur tous les produits et services visant à améliorer ou préserver la santé : dispositifs médicaux, cosmétiques et produits alimentaires sans oublier, bien sûr, l'immense chantier de la responsabilité médicale ou industrielle en cas de dommages de santé. Il faut aussi prendre conscience du fait que dans l'industrie de la santé comme dans celle de l'alimentation, les fusions, acquisitions et cessions sont à la fois nombreuses et variées tant ces secteurs sont soumis à de constantes évolutions.
En clair, la montée en puissance des associations de consommateurs, des associations de malades rend nécessaire, à vos yeux, la mise sur pied d'un tel département.
Vous avez raison d'évoquer parmi les conséquences de la mondialisation l'apparition de nouveaux acteurs socio-économiques : à côté des organisations internationales gouvernementales, comme l'Organisation mondiale du commerce en particulier, on voit apparaître des ONG - comme Médecins sans Frontières, Greenpeace, l'Association médicale mondiale ou encore des associations de malades - dont l'influence est grandissante à côté des entreprises. Chacun de ces acteurs a son rôle et sa stratégie propres, mais tous sont obligés de composer sur un marché de plus en plus ouvert. C'est ainsi un nouvel ordre international qui émerge autour des enjeux de santé dont la dimension est à l'évidence mondiale.
La dernière conférence de l'OMC a montré, une nouvelle fois, que des conflits ou du moins des incompréhensions pouvaient opposer l'opinion, les politiques et des industriels. Espérez-vous avoir l'opportunité d'agir dans un tel contexte ?
Ces conflits reflètent les tensions inhérentes à un libre marché. A cela s'ajoute le fait que les produits alimentaires et les médicaments - indispensables à notre survie - ne sont pas des biens commerciaux tout à fait comme les autres. Le récent sommet de l'OMC à Doha a montré que des solutions concertées étaient possibles. Il s'agissait, en l'occurrence, de favoriser l'accès des plus pauvres aux médicaments anti-SIDA, car il n'est pas possible de baisser les bras face à l'inquiétante progression de l'épidémie. Il existe au niveau de l'OMC une convention internationale sur les brevets, dite « accords TRIPS » (en français, l'accord sur les droits de propriété liés au commerce). Il est intéressant de constater que cet accord aborde la question de l'adaptation des brevets aux intérêts généraux de la santé publique. Comment, face aux exigences d'une diffusion équitable des médicaments à travers le monde, assurer aux grandes entreprises la sécurité juridique qui leur est nécessaire pour développer leurs activités scientifiques, mais aussi commerciales ? Comment garantir aux financeurs publics ou privés de la recherche un juste retour d'investissements, grâce à l'exploitation des brevets portant sur les inventions qu'ils ont promues ? Comment aider les grandes entreprises et les compagnies de biotechnologie à nouer des liens contractuels favorables à la recherche et à un meilleur financement de l'innovation ? Comment gérer au niveau des industries de la santé et de l'alimentation le fameux principe de précaution si cher à l'Europe, malgré sa relative imprécision ? Comment promouvoir l'idée d'un développement durable des biens de consommation pour que la sécurité et la qualité des produits prévalent en tout état de cause ? Ces interrogations, parmi d'autres, appellent des réponses juridiques précises qu'un grand cabinet d'avocats doit être en mesure d'apporter.
Concurrence ne signifie pas réglementation
Quels sont clairement les partenaires que vous pourriez conseiller et quelle est donc, plus concrètement, la clientèle qui pourrait être intéressée par votre initiative ? En dehors des grandes entreprises, les organisations professionnelles peuvent utilement recourir à des services juridiques extérieurs pour préparer notamment des négociations sur des législations nationales ou internationales. La dérégulation vise à garantir les conditions d'une concurrence, mais elle ne signifie pas qu'il n'y a plus de réglementation. Elle crée au contraire une nouvelle régulation, qui peut être très contraignante, qui découle des nécessités du libre échange. Les industries de la santé et de l'alimentation, dont la production touche au bien-être des individus, sont tenues d'entretenir un dialogue constant avec toutes sortes d'interlocuteurs : notamment la société civile internationale, les gouvernements des Etats et les organisations internationales gouvernementales.
L'équipe d'avocats que je constitue ne répond pas seule à l'ensemble des problèmes que se posent les acteurs socio-économiques de ces secteurs ; elle peut s'appuyer sur les autres départements du cabinet qui sont spécialisés dans les différentes branches du droit des affaires : droit de la concurrence, droit boursier ou fiscal ou encore conseil à la réalisation de grands projets d'infrastructure tels que l'installation d'équipements de soins dans les pays en développement pour ne citer que cet exemple très actuel. L'idée est d'offrir une variété de compétences juridiques permettant de traiter un problème sous ses différents aspects.
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