> Idées
Le sida ? Un complot de la CIA. L'affaire Omar Raddad ? Un règlement de comptes lié au Temple solaire. L'explosion d'AZF ? Une opération islamo-terroriste, etc. Bien avant ces exemples récents, Frédéric Charpier fait remonter l'histoire de cette notion à un personnage peu connu, l'abbé Baruel, qui sévissait à la fin du XVIIIe siècle.
Ce jésuite affilié à la Compagnie de Jésus le 15 octobre 1756 a longtemps fréquenté les loges maçonniques. Opposant à la Révolution, il quitte la France en 1792 et s'expatrie à Londres. Il conçoit alors un récit fantasmatique évoquant un complot visant à mettre à bas la monarchie. A l'origine de cette machination : les loges maçonniques, entreprise criminelle selon lui, ainsi que tous les philosophes des Lumières, les encyclopédistes, etc. Ainsi, la Révolution française était prévue de longue date par ceux qui voulaient voir se réaliser leurs vues philosophiques. On trouve dans cet exemple raccourci tous les ingrédients postulés en général dans l'idée conspirationniste : des sectes secrètes tirant les fils de l'Histoire, une conception haineuse et paranoïaque des événements, le raisonnement spécieux. Ajoutons-y un autre élément important : l'existence de documents truqués ou fabriqués.
Bien entendu, les « Protocoles des sages de Sion », apparus en Russie entre 1903 et 1907, constituent l'exemple phare de toute étude sur la mentalité conspirationniste. Rappelons très brièvement, car l'affaire est compliquée, qu'il s'agit de textes évoquant les tentatives faites par les juifs pour mettre la main sur le monde. On y trouve de machiavéliques conseils pour créer des crises économiques, exciter la populace et imposer à la planète un gouvernement juif, le « Kahal ». Rappelons aussi qu'il a été clairement établi qu'il s'agissait d'un faux recopiant un pamphlet dirigé contre Napoléon III en octobre 1864 : « Dialogue aux enfers entre Montesquieu et Machiavel », de Maurice Joly. Ce faux fabriqué par l'Okhrana, la police tsariste, avait, entre autres, l'intérêt de justifier les pogroms dirigés contre les juifs*.
On sait que ces textes, souvent exposés et disponibles dans les pays arabo-musulmans, continuent d'être pris au sérieux tant il est vrai que, tout comme la rumeur, la négation d'un complot est chose pratiquement impossible.
L'horreur ploutocratique.
Bien sûr, les Protocoles renvoient à toute l'histoire de la conspiration juive, mais cette constellation d'idées trouve ses succédanés dans ce que l'on nomme l'horreur ploutocratique.
La naissance de la société industrielle et du capitalisme forme le cadre idéal de la recherche des très riches. Disciple de Saint-Simon, un certain Pierre Leroux devient le spécialiste du sujet avec son livre « De la ploutocratie, le gouvernement des riches », des riches qui, bien sûr, forment une secte secrète qui tire les fils de toute politique. Les chiffres volent, mais tout se stabilise avec la célèbre formule de Daladier : les deux cents familles.
Frédéric Charpier fait ici remarquer le caractère à la fois ridicule et vieillot du conspirationnisme. En effet, on sait aujourd'hui parfaitement qui, en France, possède les grandes banques, les compagnies d'assurances, les usines automobiles, les textiles, etc. Il n'est plus nécessaire d'évoquer des rencontres nocturnes dans une cave, lorsque les fusions et acquisitions constituent l'information de base des journaux financiers. Remarquons que nos hebdomadaires continuent, eux, de tirer sur cette corde en titrant parfois « Le pouvoir protestant », « Franc-maçon », et cela ad nauseam.
Rien de tel qu'un immense accident historique pour que renaisse la thèse du complot, c'est alors, dit l'auteur, que les théories « s'éloignent de la loge, de la synagogue et de la cellule du parti ». Bien sûr, l'assassinat le 22 novembre 1963 à Dallas de John Fitzgerald Kennedy constitue une riche « fabrique à mystères ». D'autant que rien n'est convaincant dans les conclusions de la célèbre commission Warren.
Ce qui caractérise l'idée du complot sous-jacent, c'est la pauvreté et le mécanisme de ses explications. Quand on ne postule pas un groupe secret visant à s'emparer du monde, on crée le mythe du mythe, tel le négationnisme avec la Shoah ou bien, plus modestement, Thierry Meyssan avec l'avion fantôme du Pentagone.
Ce livre montre qu'en matière d'imagination folle, l'extrême-droite a le pompon de l'amalgame délirant, et ce des deux côtés de l'Atlantique. Son creuset mêle agréablement occultisme, action d'extraterrestres, influences magico-religieuses et néo-nazisme. De ce point de vue, le succès de la « littérature Da Vinci Code » devrait un peu inquiéter.
Il est sûrement plus excitant d'imaginer la reine d'Angleterre décrétant la mort de Diana que de penser que la malheureuse fut victime d'un chauffeur un peu poivrot. Le complot allume les fantasmes, brouille les repères. Il réunit gaiement le bovarysme quotidien et la paresse intellectuelle.
Bourrin Editeur, 230 p., 19 euros.
* L'occasion d'apprendre en se distrayant avec la parution de la BD de Will Eisner, publiée chez Grasset, consacrée aux « Protocoles ».
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