Le projet de loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé devrait être adopté définitivement par le Parlement avant la fin de la session, le 22 février. Après le passage du projet de loi au Sénat, qui a modifié le texte, notamment les dispositions relatives à l'arrêt Perruche (voir ci-dessous), une commission mixte paritaire (composée de sept sénateurs et de sept députés) est parvenue à un accord sur une version commune. C'est ce nouveau texte qui sera examiné demain à l'Assemblée nationale, et probablement le 19 février au Sénat. Voici l'essentiel des mesures contenues dans le projet de loi à l'issue des travaux de la commission mixte paritaire :
DEMOCRATIE SANITAIRE
Droits de la personne et des usagers
Le texte inscrit dans la loi les droits fondamentaux des personnes à la protection de la santé, au respect de la dignité, au respect du secret médical. Il pose le principe de non-discrimination, notamment en raison des caractéristiques génétiques, et définit les principes de l'accès aux soins les plus appropriés à l'état de la personne, de la sécurité sanitaire et de la continuité des soins.
Surtout, le projet de loi consacre et précise le droit à l'information des patients et de leurs familles en vue d'un consentement libre et éclairé.
Toute personne pourra accéder à son dossier médical, « directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne, et en obtenir communication au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de 48 heures aura été observé ». Ce délai de réflexion, avant la demande du dossier, peut être porté à deux mois dans certains cas (informations médicales datant de plus de cinq ans, hospitalisations psychiatriques). Le médecin qui fournit le dossier médical peut, par précaution, recommander la présence d'une tierce personne lors de la consultation de certaines informations. Mais le refus par le patient de la présence de cette tierce personne « ne fait pas obstacle à la communication de ces informations », précise le texte.
Par ailleurs, trois amendements du gouvernement donnent un cadre juridique à l'hébergement et à la conservation de données de santé à caractère personnel. L'accord express des patients concernés, un contrat limitant le droit d'accès des professionnels et l'agrément des sites hébergeurs de données sensibles sont rendus obligatoires, sous peine de sanction.
Mieux représentés dans les établissements de santé par des associations agréées, les droits des usagers seront renforcés lorsqu'ils portent plainte devant les ordres des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes. Désormais, ils pourront faire appel des décisions disciplinaires de ces ordres prises au niveau régional (voir aussi la réforme des Ordres).
Le projet de loi protège les personnes souffrant de troubles mentaux puisqu'elles ne pourront plus être hospitalisées d'office sans leur consentement, sauf en cas d' « atteinte grave à l'ordre public ».
Réforme des instances de l'Ordre des médecins
Bien que les députés aient envisagé de rebaptiser chacun des Ordres professionnels « conseils du collège professionnel » (des médecins, des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes), les Ordres garderont finalement leur appellation actuelle, selon le vu des sénateurs.
Désormais, les conseils national et régionaux de l'Ordre des médecins sont dessaisis de leurs attributions disciplinaires. Ces fonctions sont en effet confiées respectivement à des chambres disciplinaires régionales (en première instance) et à une chambre disciplinaire nationale (en appel). Ces chambres seront professionnalisées car elles sont présidées, non plus par un confrère, mais par un magistrat. En outre, la réforme de l'Ordre instaure le non-cumul des fonctions ordinales avec celles de membres de la chambre disciplinaire.
Les conseils régionaux ou interrégionaux de l'Ordre assureront des fonctions de représentation de la profession dans la région et de coordination des conseils départementaux. Ils gardent leurs fonctions administratives relatives à l'inscription au tableau et à la suspension temporaire du droit d'exercer.
Responsabilités des professionnels de santé
En cas de risques sanitaires « dus à une anomalie survenue lors d'investigations, de traitements ou d'actions de prévention », le projet de loi permet à l'autorité administrative de mettre en demeure les professionnels, organismes ou établissements impliqués de procéder, si besoin, au rappel des personnes concernées. L'obligation de déclaration à l'autorité administrative est étendue à l'ensemble des accidents médicaux.
Le projet de loi stipule aussi que « les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de les faire connaître au public lorsqu'ils s'expriment lors d'une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle sur de tels produits ».
Un article étend le champ de la loi « anticadeaux », applicable aux médecins (et aux pharmaciens depuis 1999). A l'avenir, non seulement les professions médicales n'auront pas le droit de recevoir des avantages versés par des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé remboursables par l'assurance-maladie, mais il sera aussi interdit à ces entreprises, sous peine de sanction, de « proposer ou de procurer ces avantages ».
Orientations de la politique de santé
Les compétences de la Conférence nationale de santé sont élargies. Elle donnera notamment un avis sur le rapport relatif aux orientations de la politique de santé que le gouvernement remettra chaque année au Parlement pour qu'il soit débattu un an avant l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. La conférence nationale de santé pourra aussi être saisie par le gouvernement sur d'autres questions et faire des propositions pour améliorer le fonctionnement du système de santé.
Est institué par ailleurs un Haut Conseil de santé, chargé à la fois de contribuer à la définition des priorités pluriannuelles de santé publique et d'évaluer leur application.
Organisation régionale de la santé
Le projet de loi crée de nouveaux conseils régionaux de santé, dont le rôle est consultatif en matière d'élaboration, de suivi et d'évaluation des politiques régionales de santé.
QUALITE DU SYSTEME DE SANTE
Compétence professionnelle
L'Ordre des médecins aura maintenant pour mission de veiller à la compétence des médecins. Le préfet peut prononcer la suspension d'exercice immédiate d'un praticien « en cas de danger grave ».
Le projet de loi prévoit une procédure d'autorisation pour toute création ou maintien d'installations de chirurgie esthétique.
Formation médicale continue (FMC)
Le projet de loi rend obligatoire la FMC pour tous les médecins inscrits à l'Ordre, qu'ils soient libéraux, hospitaliers ou salariés non hospitaliers (voir « le Quotidien » du 18 septembre). Des conseils nationaux et régionaux de FMC sont créés pour chacune des trois catégories de médecins. Les conseils nationaux seront chargés de donner les grandes orientations, d'agréer les organismes formateurs et les structures d'évaluation. Chaque médecin a l'obligation (sous peine de sanctions disciplinaires) de faire valider, tous les cinq ans, le respect de son obligation de FMC par le conseil régional de FMC dont il relève. Pour cela, il pourra choisir de : suivre des actions de formation agréées, se soumettre à une procédure d'évaluation des connaissances, ou présenter oralement un dossier au conseil régional de FMC.
Gynécologie médicale
Le texte crée un diplôme d'études spécialisées de gynécologie médicale (dont les modalités seront précisées par arrêté). Il garantit le droit d'accès direct des femmes à leur gynécologue.
Professions paramédicales
Est institué un conseil national (avec des collèges nationaux et régionaux) regroupant les professions d'infirmier, masseur-kinésithérapeute, orthophoniste, orthoptiste et pédicure-podologue libéraux.
Prévention
La politique de prévention sera développée et les frais relatifs aux actes de prévention seront couverts par l'assurance-maladie.
Tests angine
Un amendement du gouvernement permet aux médecins de réaliser des tests angine dans leur cabinet en bénéficiant d'un remboursement, par l'assurance-maladie, du dispositif médical de diagnostic utilisé.
Réseaux de santé
Le rôle des réseaux dans le système de santé est reconnu. Dès lors qu'ils rempliront un cahier des charges, ils pourront bénéficier d'aides de l'Etat, de l'assurance-maladie et des collectivités territoriales. Les réseaux pourront prendre la forme de réseaux coopératifs.
Mutuelles
Les mutuelles ont jusqu'au 31 décembre 2002 pour se conformer au nouveau code de la Mutualité.
REPARATION DES RISQUES SANITAIRES
Un des points clés du projet de loi est le droit à réparation des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé : accidents médicaux sans faute, infections nosocomiales (contractées en établissement de santé) et complications iatrogènes (consécutives à la prise de médicaments).
En cas d'aléa thérapeutique, il est créé un nouveau droit à indemnisation. La commission mixte paritaire a abouti à un compromis en la matière. La commission, à l'instar du Sénat, a retenu un taux d'incapacité minimal de 25 % ouvrant droit à réparation.
Le texte oblige tous les professionnels de santé libéraux, tous les établissements de santé et organismes de prévention, de diagnostic ou de soins, à souscrire une assurance en responsabilité civile. Les sénateurs ont obtenu que l'assurance couvre aussi les médecins, sages-femmes et dentistes des établissements.
Jurisprudence Perruche : le diagnostic prénatal est « sauvé »
Députés et sénateurs se sont entendus pour porter un coup fatal à la jurisprudence Perruche. Les spécialistes de la médecine foetale, qui exerçaient sous la forme d'un service minimum depuis le 1er janvier, sont appelés par leurs représentants à « retravailler normalement ».
La Commission mixte paritaire (CMP), composée de 14 membres, est parvenue à un accord, le 7 février, sur la mise en place d'un dispositif anti-Perruche, examiné dans la cadre du projet de loi sur les droits des malades. Par 8 voix contre 6, un parlementaire de gauche ayant joint son vote à ceux de la droite, elle a écarté toute dérive relative à l'eugénisme et à la responsabilité médicale, qui serait liée à la naissance d'un handicapé. L'arrêt Perruche du 17 novembre 2000, établissait un rapport de causalité entre l'intervention médicale (non dépistage de la rubéole de la mère pendant sa grossesse) et l'existence d'une malformation foetale, en introduisant la notion d'une indemnisation du handicap. Il « fait peser de lourdes menaces, pouvant conduire à une disparition des échographies morphologiques systématiques », écrivait l'Ordre national le 14 janvier. En premier lieu, le texte adopté pose pour principe législatif que « nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ». Il stipule que « la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer ».
Pour le Dr Philippe Kolf, président du Syndicat national de l'Union des échographistes, ce qui a de l'importance n'est pas écrit, mais suggéré, à savoir qu'« un enfant, né avec un handicap qui n'est pas dû à une faute médicale, ne peut se prévaloir d'un préjudice ». Un dernier alinéa met l'accent sur la responsabilité des professionnels ou des établissements de santé. Lorsque celle-ci « est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice (moral, NDLR) ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ». Seuls, Nicolas (Perruche) et Lionel (arrêt de la cour de cassation du 28 novembre 2001), dont la trisomie aurait pu être détectée, ne sont pas concernés par ces dispositions.
« Ainsi, députés et sénateurs ont sauvé le diagnostic prénatal », dit au « Quotidien » le Dr Philippe Kolf, qui appelle à la reprise du travail « normal » ses confrères échographistes, radiologues, gynécologues et obstétriciens, qui avaient mis en veilleuse leur activité depuis le 1er janvier afin de faire pression sur le Parlement. Rien, effectivement, ne devrait changer, en théorie, d'ici au vote définitif du texte le 21 février. Bien sûr, le gouvernement, et lui seul, a les moyens de l'amender, le 12 à l'Assemblée ou le 19 au Sénat. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour. Reste un éventuel recours, avant promulgation, devant le Conseil constitutionnel. Claude Evin pourrait se laisser tenter. L'ancien ministre des Affaires sociales de Rocard (mai 1988-mai 1991) invoquerait, alors, la limitation du droit de porter plainte. De son point de vue, quand la responsabilité médicale est en cause, le préjudice parental ne saurait être réduit au préjudice moral. Puisqu'il y a « acte fautif », le médecin devrait payer en partie ce qui revient à la solidarité nationale. L'arrêt Carrez, rendu par le Conseil d'Etat le 14 février 1997, va dans ce sens. Il a accordé des dommages-intérêts aux parents sous la forme d'« une indemnité en capital, représentant le versement (par le CHU de Nice) d'une rente mensuelle de 5 000 F pendant toute la vie de l'enfant ».
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