L'affaire du jour férié supprimé pour la Pentecôte a donné lieu d'abord à une cacophonie dans la communication du gouvernement, puis à un charivari dans les partis et les syndicats.
Jean-Pierre Raffarin voulait annoncer sa décision à un moment stratégique, en tout cas pas maintenant, un membre du gouvernement ou de son cabinet a vendu la mèche.
Vraie-fausse information
Le démenti qui a suivi était pitoyable : l'information est vraie, mais comme elle est prématurée, elle est présentée comme fausse. Bien entendu, dans l'opposition, dans les syndicats et même à droite, on a trouvé aussitôt toutes sortes de bonnes raisons pour dénoncer une mesure qui n'a pas été prise, comme si ce qui compte désormais, c'est moins ce que fait le gouvernement que d'en décrire les turpitudes.
M. Raffarin, que la révélation aurait mis en colère, aurait mieux fait de confirmer la suppression du jour férié, qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose si on consent à la juger d'une manière non partisane. Personne ne mourra de travailler un jour de plus dans l'année, surtout dans ce pays de cocagne où les vacances s'ajoutent aux semaines de congé accordées aux salariés au titre de la semaine de 35 heures.
Ce qui est plus inquiétant, c'est que dans un pays qui se débat entre le chômage, le ralentissement de la croissance et les déficits, on puisse se passionner, et même s'entre-déchirer pour le lundi de la Pentecôte. Si on reconnaît les gains en productivité de la main-d'uvre française, nous sommes sûrement les champions en production de mots. Un malheureux élu de l'UMP, dont la voix a été vite recouverte par les imprécations, s'est permis de rappeler que l'idée de la suppression d'un jour férié pour aider les personnes âgées datait de quelques mois et que, à l'époque, quelques ténors de la gauche l'ont chaleureusement approuvée.
Toujours non
Nous sommes donc entrés dans une période où quoi que dise ou fasse le gouvernement, l'opposition dira toujours non. Cette attitude ne la prépare guère à reprendre les rênes du pouvoir, car on aimerait savoir ce qu'elle ferait à la place de M. Raffarin. La simple idée d'une taxation suffisante pour combler les déficits publics, soit 55 milliards d'euros, conduirait le pays à la ruine. On veut donc espérer qu'elle a des projets plus subtils.
Malheureusement, si on est déçu par l'amateurisme de la communication gouvernementale, on constate aussi que la gauche, très divisée, n'a pour projet immédiat que la réunion du Forum social européen (FSE), encore une tribune, encore des mots, encore de la parlotte, qui commencera ses travaux le 12 novembre. L'échéance est relativement rapprochée et le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'il se prépare dans la fièvre et même dans l'ébullition. L'idée centrale consistait à laisser venir s'exprimer toutes les forces progressistes, les socialistes, les Verts, les communistes, et même l'extrême gauche, sans doute pour proposer une Europe sociale par opposition au libre-échange européen qui renforce les multinationales, accélère les délocalisations, accroît le chômage et supprime les avantages acquis.
L'ambition des organisateurs du FSE s'ajoute à l'éclectisme puisque pourra s'y rendre qui voudra, par exemple les représentants d'ATTAC et de tous ceux qui militent contre le mondialisme, et beaucoup d'intellectuels, parmi lesquels Tariq Ramadan. Professeur de philosophie et d'islamologie à Genève, M. Ramadan a accusé un certain nombre d'intellectuels français de parler non pas au nom de leur pays mais de la communauté juive à laquelle, selon lui, ils appartiennent.
D'abord, M. Ramadan a inclus dans le groupe ainsi désigné deux personnes qui ne sont pas juives, erreur qui fait aussitôt peser un doute sur sa rigueur ; ensuite, il s'est livré à un exercice déjà accompli par un certain Renaud Camus, qui n'a rien à voir avec l'autre et qui, naguère, comptait le nombre de juifs à la radio et à la télévision et en dressait la liste ; enfin, M. Ramadan a oublié les nombreux Français juifs qui, loin de parler au nom de leur communauté, dénoncent son soutien à Israël, non sans généraliser un peu sommairement.
Ira, n'ira pas
Il s'en est suivi une levée de boucliers au sein du Parti socialiste, dont trois membres éminents au moins, ont écrit dans « le Nouvel Observateur » un article d'une page pour exiger que Tariq Ramadan ne participe pas au FSE. D'autres socialistes ne sont pas d'accord ; chez les Verts, Noël Mamère estime que les propos de M. Ramadan ne changent rien ; et à la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), on juge que M. Ramadan a le droit de dire ce qu'il pense.
Il a même le droit de penser de deux façons différentes : sans doute alarmé par le risque de ne pas assister au Forum, décidément consacré comme l'événement politique de l'année, le philosophe et islamologue a publié dans « le Monde » daté de mercredi une immense tribune libre dans laquelle il s'est démenti lui-même, en rappelant qu'il existe des juifs français antisionistes et en étendant aux musulmans l'accusation de communautarisme. Plus opportuniste que ça, tu meurs.
Maintenant qu'il a gagné son ticket d'entrée au FSE, que faut-il penser de M. Ramadan ? De lui, strictement rien. Mais on peut se poser des questions sur ce qui se passe à gauche, où les connivences avec l'altermondialisme s'ajoutent aux complicités entre les militants antimondialisation et les intégristes musulmans. Nous avons déjà évoqué ce phénomène. Il prend de l'ampleur. Et il nous semble que, par rapport aux bévues du gouvernement sur la Pentecôte, le mouvement qui soude des athées notoires à des fondamentalistes est infiniment plus dangereux. Car il signifie qu'à gauche (et surtout au sein de l'extrême gauche) on serait prêt, pour réunir le plus grand nombre, à sacrifier quelques « valeurs », la laïcité, par exemple. Et si, au passage, les Juifs de France se sentent encore plus isolés et si on décrit une fois encore Israël comme un Etat fasciste, qu'importe, pourvu que l'on forme un mouvement de masse qui balaiera un jour la droite.
Vendre son âme
La prise de position de plusieurs membres du PS contre Tariq Ramadan nous rassure au moins au sujet de l'évolution de ce parti, mais pas des Verts et des altermondialistes. Et on peut toujours craindre que le PS ne soit entraîné par quelques-uns de ses éléments ou ne veuille pas être en retrait par rapport aux autres composantes de la gauche. Cela s'appelle vendre son âme au diable.
Il faudra que les historiens nous expliquent un jour pourquoi, pour défendre des idées sociales, écologiques et humanitaires, des militants de gauche se sont alliés à des obscurantistes. Pourquoi, au nom des libertés, ils auront laissé s'exprimer des gens qui veulent les réduire ou les supprimer. Pourquoi, ces antiracistes ont redécouvert l'antisémitisme et été séduits par les traits, pourtant repoussants, de la haine intégriste.
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